Hubert Damisch était un scientifique pluriel. Lui qui assumait ce qu'il appelait poétiquement la " dispersion " s'est intéressé aux beaux-arts, mais également à la littérature, à la psychologie ou encore à l'anthropologie. C'est au prisme de cette " dispersion " qu'il a interrogé et théorisé l'histoire de l'art tout au long de sa carrière. Fervent défenseur de la porosité des sciences humaines, il ancre son étude de l'esthétique dans les multiples savoirs qui ont accompagné son apprentissage.Au cours de ces échanges, il livre à Mathieu Bénézet certains éléments clés de son travail. Comment sa lecture de Freud à influencé son rapport à l'oeuvre, la nécessité de faire de l'objet le point de départ de l'analyse, et non le contraire, ou encore une compréhension de l'art comme une interprétation sensorielle, presque traumatique. Méthode et cheminement philosophiques se répondent dans ce texte vivant où le scientifique donne à voir et à écouter son regard inclassable.
Véritable autobiographie idéologique sous forme d'entretien, ce livre est le témoignage d'un des plus importants intellectuels contemporains.Il est à la fois:- Une synthèse des grands courants de la philosophie et de l'humanisme à travers le regard d'un homme de notre temps.- Les mots d'un homme issu d'une culture métisse et pour une culture du métissage, sur la pensée décoloniale.- Une réflexion riche sur les savoirs, l'épistémologie, l'histoire des sciences, l'algèbre ou encore la littérature. L'ancien élève de l'École normale supérieure de Paris revient dans cet échange avec la spécialiste des socialismes africains sur son travail, toujours ouvert sur la cité.Conseiller du président sénégalais Abdou Diouf, promoteur de la Biennale de Dakar, Souleymane Bachir Diagne dévoile les soubassements de son projet universaliste, qui réussit à articuler différentes traditions: l'islam soufi et la philosophie française contemporaine, le catholicisme de Senghor et l'oeuvre dumusulman Iqbal, l'algèbre de Boole et l'anthropologie de Lévi-Strauss. Au cours d'un dialogue nourri de confiance se dessine une doctrine multiculturelle qui prend à bras-le-corps les débats qui agitent nos sociétés sur les études postcoloniales, l'appropriation culturelle ou encore la négritude. Faisant sienne la leçon de Desmond Tutu et Nelson Mandela, Diagne pense à nouveaux frais le cogito cartésien: " Je suis parce que nous sommes ", l'autre nom d'ubuntu.
Dans le premier entretien avec l'historien Benjamin Stora dans l'émission À voix nue sur France Culture en 2006, Marc Ferro revient sur les débuts de sa carrière d'historien, comment il s'est intéressé aux images historiques et à travers elles, à la propagande qu'elles pouvaient véhiculer. Pour ce deuxième entretien, Marc Ferro se remémore la défaite de 1940. Il a d'abord vécu cette période au lycée, puis devenu orphelin, il fut brièvement enseignant et enfin à partir de l'été 44 maquisard dans le Vercors. Il parle de son ressentiment alors que la résistance de l'intérieur n'était ni reconnue, ni glorifiée. Dans ce troisième épisode, Marc Ferro aborde son expérience algérienne où il a enseigné l'histoire entre 1948 et 1956 dans un lycée d'Oran. Il évoque son engagement dans le Mouvement de la Paix puis la création du mouvement de la Fraternité algérienne sur fond d'infiltration du Parti Communiste. Dans ce quatrième volet des entretiens avec Marc Ferro, l'historien raconte par quel cheminement il s'est mis à s'intéresser à la Révolution russe et au monde soviétique plus généralement, qui est devenu son objet de recherche privilégié. Dans ce dernier entretien, Marc Ferro évoque la question du colonialisme, sujet on ne peut plus prégnant dans la société française et dans les débats politiques. Pour l'aborder pleinement, il lui semble qu'il faudrait entendre les versions, les paroles de tous les côtés, ce qui est rarement le cas.
Avant de se rencontrer à un colloque de l'École normale supérieure, elles avaient mutuellement lu leurs écrits. Annie avait suivi avec intérêt les articles de Rose-Marie dans la revue fondée par Pierre Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales, Rose-Marie attendu avec un grand empressement chaque roman d'Annie, portées par ce sentiment d'identification si rare entre deux domaines de la pensée longtemps considérés comme opposés. Et pourtant, que ce soit par la sociologie ou la littérature, les démarches des deux autrices se ressemblent: socioanalyse, " auto-sociobiographie " ou comment l'écriture de soi produit une connaissance du social. Dans ce dialogue intellectuel et intime, la romancière Annie Ernaux et la sociologue Rose-Marie Lagrave, issues de la même génération, se livrent à une réflexion sur leurs trajectoires sociales: elles évoquent autant leurs points communs – familles modestes, normandes, bercées par le catholicisme –, que la manière différente dont elles se conçoivent en tant que transfuges de classe. Elles partagent ici leurs parcours, leurs lectures (de Pierre Bourdieu à Virginia Woolf), leurs rapports au travail, à la reconnaissance et à la vieillesse, et donnent à penser l'amitié féministe et l'écriture comme voies vers l'émancipation.
Le recueil s'ouvre avec un inédit remarquable de 1967: " Épistémologie et sociologie de la sociologie ". Court, précis, clair, celui-ci esquisse le programme nouveau pour une sociologie des sciences, s'opposant à la fois aux grands discours épistémologiques à la mode à l'époque et à la philosophie néo-positiviste des sciences qui porte sur la logique ou la méthode de la science en ignorant systématiquement la pratique de la recherche. Les trois textes qui suivent datent d'un quart de siècle plus tard et sont produits dans une conjoncture historique bien différente de l'ambiance philosophico-scientiste autour du " structuralisme " des années 1960. Ainsi le deuxième texte oppose de façon sans doute un peu polémique " Réflexivité narcissique et réflexivité scientifique " (1993). Il rappelle que la réflexivité telle que Bourdieu la conçoit n'a rien d'un jeu narcissique dans lequel le savant se penche sur lui-même, mais, représente au contraire un effort pour mobiliser les outils de la science pour objectiver le travail scientifique et les conditions sociales dans lesquelles il s'accomplit. Les textes suivants, très différents l'un de l'autre quant à leur forme, poursuivent cette prise de position et sont liés au séminaire que Bourdieu consacre à l'EHESS pendant deux années consécutives (1995-1997) à l'histoire sociale des sciences sociales.
L'auteure Danièle Hervieu-Léger est sociologue des religions, directrice d'études à l'EHESS, ancienne présidente de l'EHESS. Elle travaille sur la sociologie de la modernité religieuse avancée (sécularisation et renouveaux religieux), sur les formes de la religiosité, sur les conversions et sur les institutions religieuses dans les sociétés contemporaines. Elle a notamment dirigé le Dictionnaire des faits religieux (avec Régine Azria, Presses universitaires de France, 2010) et publié Le temps des moines. Clôture et hospitalité (Presses universitaires de France, 2017).Le préfacier Pierre Antoine Fabre est historien des religions, directeur d'études à l'EHESS, et réfléchit sur l'inscription de l'histoire de la spiritualité moderne dans le champ des sciences sociales. Il a également préfacé La traversée des signes de Louis Marin publié dans la même collection aux Éditions de l'EHESS en 2019.
Dans le premier entretien, Arlette Farge revient sur son enfance et ses années de formation, qui l'ont transportée de Paris aux États-Unis: de ses études de droit aux manifestations des étudiants noirs sur les campus américains, et de son métier d'historienne à sa conscience féministe.Elle nous guide dans le deuxième entretien à travers les archives judiciaires, qui sont la matière première de son travail, depuis sa première recherche sur le vol d'aliments en 1974. Elle évoque ce qui l'a lié à Michel Foucault, avec lequel elle a travaillé en 1982 pour écrire Le désordre des familles, sur ces personnes qui demandaient au roi l'enfermement d'un membre de leur famille.Le troisième entretien est l'occasion de s'approcher encore plus près de l'historienne qu'est Arlette Farge. Pour elle, l'historien est comptable aussi du présent; il est un acteur politique dans la société. Elle montre en quoi le fait de redonner une voix à ceux que l'on a oubliés, condamnés, et qui ont souffert est un engagement, autant qu'un travail de recherche.Dans le quatrième entretien, nous retournons au milieu des années 1970, au moment où Arlette Farge, de retour des États-Unis, a côtoyé le MLF, le Mouvement de Libération des Femmes, et nous suivons ainsi le cours de son engagement féministe dans le développement d'une histoire des femmes.Enfin, il est question, dans le dernier entretien, de son écriture qui ne doit pas trahir l'époque, mais participer à la rendre vivante, toujours au creux de ce XVIIIe siècle qu'elle dit voir et entendre, quand elle fréquente ces archives.
Célestin Bouglé était très engagé (éditorialiste dans la presse, candidat au poste de député, vice-président de la Ligue des droits de l'homme, théoricien du solidarisme) et concevait la sociologie comme une science d'action. Ces textes donnent à voir l'articulation entre le travail savant, théorique, et l'engagement politique.La première conférence, populaire, prononcée probablement à Montpellier, porte sur la philosophie des races et permet à Célestin Bouglé non seulement de repousser l'antisémitisme, mais encore de limiter le matérialisme sociologique. La deuxième est la prise de position la plus nette, de la part d'un sociologue français de la première moitié du xxe siècle, appliquant une pensée par le social à la question de la différenciation sexuelle et du suffrage des femmes. La troisième mobilise les rapports de la sociologie à la morale. La quatrième démontre les services que la sociologie peut rendre à la philosophie de la solidarité, et inversement. Enfin, la dernière, prononcée sur Radio Paris, dans le cadre d'un cycle de conférences dirigé par Léon Brunschvicg intitulé " Histoire et avenir de la civilisation ", évoque la notion de progrès et l'idée d'avenir.
Il y présente le résultat de ses réflexions sur les manières de " faire la jeunesse ", autrement dit sur les façons culturelles, socialisées, pour une fille ou un garçon, hier et aujourd'hui, au village ou à l'école, de devenir adulte. Et immanquablement il revient sur les souvenirs de ses propres expériences de jeune garçon et d'adolescent, de son enfance narbonnaise puis carcassonnaise.Une part centrale des publications de Daniel Fabre concerne la question des enfants et des " jeunes ", leur apprentissage de la vie adulte, les voies de leur socialisation. Le texte ici publié synthétise ses réflexions en posant explicitement la question de l'existence ou non d'un parallélisme entre l'" initiation " des filles et celle des garçons.Il compare ainsi l'apprentissage des garçons, tourné vers l'extérieur, marqué par la transgression des limites entre le domestique et le sauvage, les vivants et les morts, et l'apprentissage des filles, centré au contraire sur l'interprétation intime des mutations de leur corps et la préparation au mariage et à la maternité. Le texte de cette conférence est suivi d'un entretien avec Alessio Catalini en 2012, qui rappelle les points de soudure entre les traditions intellectuelles française et italienne ayant dessiné les objets de recherche de Daniel Fabre.
Il évoque ses échanges, ses voyages et ses rencontres marquantes – de Greimas à Elias, en passant par Dumézil et Derrida -, qui nourissent sa réflexion sur les rapports entre le pouvoir et sa mise en représentation. Fidèle à l'ouverture intellectuelle qu'il incarna, il confronte ces interrogations aussi bien à la peinture classique et moderne qu'à la démocratie contemporaine et à la culture du divertissement.
Jacques Revel joua notamment un rôle majeur dans l'introduction de la microstoria italienne en France. Directeur des Éditions de l'EHESS puis président de l'EHESS pendant près d'une décennie (1995-2004), il bénéficia d'une place de choix pour enregistrer les mouvements qui affectèrent les sciences sociales à partir des années 1960.Dans cet entretien avec Emmanuel Laurentin, ce sont cinq décennies de leur histoire que Jacques Revel restitue avec une clarté et une précision remarquables. Le lecteur suivra sa formation d'historien, quand l'histoire défendue par Fernand Braudel était une discipline centrale des sciences de l'homme, puis le délitement de ce modèle. Il sera aussi question de politique de la recherche dans ce contexte de mondialisation et de normalisation. Cette mondialisation qui touche l'histoire avec l'émergence de ce que l'on appelle l'histoire mondiale ou l'histoire connectée, une histoire qui ouvre l'horizon de la recherche.
La publication de ces cinq entretiens privés, réalisés entre 1991 et 2000, confirme ici la vivacité de sa pensée conceptuelle, tout en permettant de révéler un autre aspect de sa personnalité, parfois impatiente mais plus souvent chaleureuse.Dans " Autobiographie ", Robbe-Grillet explique son opposition aux canons du genre et expose la manière dont il a entendu le renouveler. Dans " Rencontres ", il évoque ses lectures de jeunesse et ses convictions sur l'enseignement, ses débuts de critique et ses préférences littéraires, les hasards qui ont infléchi son parcours intellectuel et sa découverte déterminante de Kafka. Dans " Énigmes ", il affirme son intérêt pour tout ce qui relève du mystère voire de l'irrationnel (légendaire breton, imaginaire fantastique, romans et films policiers). Dans " Théories ", il revient sur les débuts du Nouveau Roman et sur ses relations aux autres membres de la mouvance. Dans " Sentiments ", le lecteur est invité dans l'intimité de l'artiste: celle de l'écriture pour laquelle il se réclame de Flaubert, celle de sa culture où l'Allemagne tient la première place, et celle de son rapport à la mort.