Dans quelle mesure les terrains africains viennent-ils déstabiliser les connaissances sur le genre? Ce numéro met en lumière, à partir de travaux empiriques menés dans plusieurs pays (Sénégal, Madagascar, Mayotte, République démocratique du Congo), les points de tension qui émergent au regard des débats épistémologiques internationaux sur le genre, et interroge les manières d'analyser les inégalités qui persistent en Afrique subsaharienne. Quels savoirs académiques et quels concepts liés au genre sont utilisés pour travailler aujourd'hui en/sur l'Afrique? Quelles théories, quels concepts et quelles méthodologies féministes sont mobilisés dans les travaux universitaires? Quelles critiques peut-on formuler à leur égard? Quelles théorisations alternatives sont avancées pour renouveler les approches? Faisant écho aux controverses contemporaines, ce numéro questionne la pertinence de l'appareillage théorique initialement conçu dans le Nord pour analyser les dynamiques de genre sur le continent africain.
L'imaginaire historique dans l'Europe du XIXe siècle
Ce livre défie de nombreux dispositifs épistémologiques occidentaux. De fait, si l'œuvre majeure de Hayden White fut longtemps contredite par les scientifiques européens, c'est notamment en raison de la force avec laquelle elle met en péril de vieux axiomes. Il s'agit du fameux turn, dont se réclament de nombreux chercheurs contemporains. Métahistoire constitue une réflexion sur la construction du savoir, mais également sur sa transmission. En faisant profit d'un regard sur soi, tel un miroir, ce livre ébranle l'idée des sciences humaines comme un phénomène figé.Publié en 1973, traduit dans plus de dix langues et discuté de l'Amérique latine à la Chine, le premier grand essai d'Hayden White, enfin traduit en français, est aujourd'hui considéré comme l'un des jalons de l'aventure postmoderne, en particulier de son tournant linguistique. Avec La Structure des révolutions scientifiques de Thomas Kuhn (1962), dans le champ de l'histoire des sciences, et La philosophie et le miroir de la nature de Richard Rorty en philosophie (1979), cette enquête sur l'histoire et la philosophie de l'histoire au xixe siècle produit une anamnèse disciplinaire dont la moindre des vertus n'est pas d'avoir suscité de très nombreux débats sur l'objectivité de l'histoire, son agentivité et ses engagements moraux.
Derrière les chiffres qui rythment le débat politique et médiatique se cache un secteur méconnu, celui des sondeurs d'opinion. Hugo Touzet a enquêté plusieurs années sur l'origine, les enjeux et les coulisses des sondages. Il nous fait découvrir une profession issue des sciences sociales qui se réclame d'une démarche scientifique tout en répondant à des impératifs commerciaux.Omniprésents dans l'espace public, les sondages d'opinion sont aussi régulièrement critiqués. Mais que sait-on vraiment de la manière dont ils sont fabriqués? Comment fonctionnent ces entreprises privées que l'on appelle communément des " instituts " de sondage? Qui sont celles et ceux qui produisent les données? Quelles activités sont nécessaires à l'élaboration d'un pourcentage d'intention de vote ou de soutien à un gouvernement?C'est à ces questions qu'entend répondre Hugo Touzet en décalant le regard du sondage vers le travail d'enquête qu'il suppose. Le livre nous emmène à la rencontre des professionnels du sondage, de leurs parcours et de leurs réalités de travail quotidiennes. Bien qu'ils œuvrent dans des entreprises privées, ces professionnel·les se positionnent à la fois comme experts scientifiques – leur discours empruntant souvent au lexique des sciences sociales – et comme facilitateur·trices du débat démocratique. En analysant la représentativité des échantillons, la formulation des questions et le rôle des commanditaires, le livre met en lumière les rapports complexes qui se jouent au sein de la " fabrique de l'opinion publique ", entre contraintes scientifiques et logiques de marché.
Une histoire sociale de la prison (France, premier XXe siècle)
Entre les années 1910 et la fin des années 1930, des dizaines de milliers d'hommes et de femmes ont connu l'enfermement dans un parc pénitentiaire français vieillissant. Pour quelques semaines, mois ou années, ils ont travaillé, écrit, enfreint le règlement, reçu leur famille, attendu une grâce ou une libération. En dépliant les archives des prisons, ce livre propose une plongée dans le quotidien carcéral de la France du premier XXe siècle, marquée par la Première Guerre mondiale et la crise des années 1930. Cet ouvrage se présente comme une enquête " au ras des murs " dans les prisons françaises des années 1910 jusqu'à la fin des années 1930. Son ambition est de donner aux acteurs et aux pratiques de l'univers carcéral un rôle de premier plan et de restituer les expériences ordinaires d'enfermement. Il scrute les parcours d'hommes et de femmes condamnés à de courtes et de longues peines pour montrer comment se construisent, se vivent et, éventuellement, se défont les rapports de domination qui enserrent les détenus dans la première moitié du XXe siècle. Au cœur de la vie carcérale, régie par un cadre réglementaire inchangé depuis les débuts de la IIIe République, se nichent de puissantes logiques de distinction, rejouant, de façon exacerbée ou décalée, les hiérarchies de la société française En revenant sur la question du pouvoir et de la discipline, déjà formulée en son temps par Michel Foucault, Elsa Génard fait une étude précise et étayée de la dynamique des rapports vécus en prison.
Ce nouveau numéro s'ouvre avec une " Chronique " sur le succès fulgurant de Javier Milei: le président argentin serait-il un leader charismatique? Un dossier thématique est ensuite consacré aux usages de la notion de " cryptotype " en anthropologie. Ce terme, forgé dans les années 1930 par Benjamin Lee Whorf, désigne des catégories grammaticales dont les significations se laissent partiellement déchiffrer par l'examen des contextes syntaxiques. S'inspirant de ce fait de langue, les contributeurs de ce dossier analysent la dialectique subtile du manifeste et du caché, de l'évident et de l'inévident, qui caractérise certains usages pragmatiques du langage. En comparant le récit autobiographique d'un missionnaire américain en Afrique du Sud et le récit de vie d'un guerrier zulu retranscrit et traduit par ce même missionnaire, le premier article met au jour un processus d'effacement ancré dans les idéologies de la langue et l'identité des protagonistes. Le deuxième article nous conduit dans une communauté quechuaphone des Andes péruviennes, où la dénonciation anonyme d'un adultère déclenche des dissensions internes traversées de non-dits et apparaît comme un stigmate genré. La contribution suivante est une étude sur les relations de parenté d'évitement qui, si elles prennent la forme d'attitudes négatives, ont cependant une dimension positive à travers des signes fugaces dont on peut montrer la structure graduelle. La dernière contribution porte sur la consultation d'un oracle du monastère tibétain de Nechung. La parole du médium est ambiguë et ouverte à de multiples interprétations, offrant la possibilité de repérer les stratégies sémiotiques et interactionnelles mises en œuvre par les participants pour composer avec cette opacité. Enfin, le numéro se clôture par la réponse de Nathalie Heinich à l'" À Propos " qui était consacré à son ouvrage sur la valeur des personnes.
Ce numéro reflète les nouvelles inflexions de la revue, qu'illustrent la biographie d'une figure emblématique de la vie politique nigériane et un écrit réflexif sur le positionnement du chercheur pendant et après l'enquête. Il explore aussi des temps d'effervescence ou de crise et leurs multiples effets: pandémie de Covid-19 au Burkina Faso, guerre de 1990 au Rwanda, conflicts fonciers au Mali, miliciarisation dans le Congo postrévolutionnaire ou encore web-prédication musulmane en Côte d'Ivoire post-crise. L'hommage à Jean-Louis Boutillier témoigne de l'exceptionnalité d'une carrière et de la puissance de l'anthropologie pour décrypter le monde social.
Reproduction familiale et industrialisation (Ivry, 1770-1860)
Entre enquête sociologique et travail d'historien, Fabrice Boudjaaba revient sur un phénomène social démographique, celui de l'enracinement. En effet, alors que les migrations vers une capitale en plein essor sont de plus en plus fréquentes dans un XIXe naissant, qu'en est-il de ceux qui choisirent de rester dans leurs terres? L'auteur fait de ces sédentaires, ces Ivryens fidèles, le sujet de son enquête.Le xixe siècle est celui de toutes les transformations, celles du passage de l'Ancien aux nouveaux régimes, de l'industrialisation, des migrations et des mobilités géographiques et sociales, du basculement des campagnes vers les villes. En décalant la perspective, ce livre s'intéresse à ceux qui semblent vouloir échapper à cet emballement de l'histoire. Il interroge le comportement de ceux qui ne migrent pas. Ceux-là mêmes qui cherchent à perpétuer des modes d'existence préexistants aux bouleversements de l'industrialisation.À travers l'étude des vieilles familles paysannes d'Ivry, gros village qui devient en une génération la deuxième ville industrielle de la couronne parisienne, cette enquête analyse les comportements d'une population d'avant l'industrie. Comment fit-elle face aux migrations, à la concurrence de nouveaux acteurs pour la maîtrise du foncier? Cet ouvrage décrit les stratégies de ces enracinés sur plusieurs générations. De fait, nous trouvons dans leurs trajectoires le dessin d'une autre histoire de la banlieue et des identités.
L'évolution récente de la méthodologie des sciences sociales impose désormais à la recherche historique un suivi individualisé et multidimensionnel des acteurs et de leurs conduites au fil du temps. Il s'agit d'étudier des processus complexes, des agencements de comportements successifs, construits progressivement par chaque acteur, à travers tâtonnements, essais et erreurs. Une telle investigation implique l'utilisation de bases de données informatisées, permettant de transformer une masse d'informations issues de sources multiples en données exploitables. Les articles présents dans ce numéro explicitent cette opération de la plus haute importance, tant sur le plan épistémologique qu'empirique, en histoire et dans les sciences sociales.
Cours de sociologie générale (Francfort, été 1930)
En 1930, Karl Mannheim, fraîchement nommé à la prestigieuse chaire de sociologie de l'université de Francfort-sur-le-Main, consacre son premier cours à la " sociologie générale ". Cet enseignement est un jalon méconnu dans l'histoire de la sociologie. Sa transcription, tardivement découverte, est pour la première fois traduite et présentée en français. Au cœur d'une Europe meurtrie et lorsque l'Allemagne s'enfonce dans la crise qui mènera à l'effondrement de la république de Weimar, Mannheim expose dans son cours une conception de la sociologie qu'il considère comme l'expression même de la conscience moderne. Cette conception prend une valeur éminemment politique. Si l'on admet que le fascisme constitue une " reprimitivisation " de la pensée, comme il l'affirme, l'attitude sociologique se pose comme un rempart civique et une opposition. Elle aguise la conscience collective dans une société en passe de modernisation, face à des forces qui ne peuvent espérer l'emporter qu'en parvenant à étouffer cette réflexivité.À l'heure où l'influence des partis populistes et nationalistes d'extrême droite ne cesse de croître en Europe, ce texte délivre un regard engagé sur la finalité politique des sciences sociales. La présentation par Dominique Linhardt, tout en situant le cours dans son contexte historique, vise à appuyer cette portée de l'enseignement de Mannheim pour surmonter la crise actuelle des sciences sociales.