Depuis les années 1950, l'antique question du libre arbitre fait l'objet d'un vif débat en philosophie analytique. Comme on pouvait s'y attendre, les philosophes issus de ce courant ne se sont pas contentés de reposer classiquement le problème de la liberté métaphysique; ils l'ont aussi reposé à nouveaux frais, en étudiant avec précision les liens logiques entre les concepts qu'il comprend. Leurs discussions ont abouti à des versions perfectionnées d'arguments anciens, de nouveaux arguments pour des positions bien connues, et peut-être aussi de nouvelles positions. Cet essai défend l'idée que la liberté morale – c'est-à-dire la liberté requise par la responsabilité morale – consiste dans un pouvoir d'agir autrement, incompatible avec le déterminisme causal. Cette position classique a été doublement remise en question dans le débat contemporain sur le libre arbitre : selon certains, la responsabilité morale ne requiert pas le pouvoir d'agir autrement; selon d'autres, le déterminisme causal n'exclut pas le pouvoir d'agir autrement. De puissants arguments ont été avancés à l'appui de ces deux thèses. Le but de ce livre est de les exposer et de les réfuter.
L'adjectif " social " qualifie les expériences et les activités qui constituent la dimension collective de la vie humaine. En sciences sociales et en philosophie, son usage substantivé aborde les normes de l'action collective et les finalités des institutions. Si bien que " le social " peut désigner à la fois un état de la réalité (sens ontologique), un principe d'évaluation des actions (sens normatif) et un enjeu politique (sens critique) – sans que l'on puisse décider a priori entre ces sens. Mais est-il légitime de faire du " social " une catégorie théorique, qu'on la tienne pour ontologique ou méthodologique, analytique ou descriptive, comparative ou normative? L'ouvrage interroge les significations que philosophes et sociologues attribuent au " social " afin de clarifier et de faire dialoguer leurs points de vue respectifs. Il détaille les enjeux de sa conceptualisation à partir de ses usages catégoriels : rapport social, action et institution sociales, obligation, norme et critique sociales, etc. Les contributions adoptent des perspectives diverses, s'inspirant du pragmatisme, de la phénoménologie sociale, de la sociologie de Chicago, de la psychologie clinique, ou de la Théorie critique. Toutes participent d'un questionnement commun?: l'étude du " social " selon ses usages ontologiques ou normatifs, à des fins d'explicitation et de comparaison. L'ouvrage débute par un entretien croisé entre un philosophe et un sociologue, puis fait alterner des contributions d'auteurs venus des deux disciplines. Il montre qu'au-delà d'objets spécifiques et de références communes, le problème des sens du social constitue l'un des principaux terrains d'entente de la philosophie et de la sociologie.
Le pari de cet ouvrage est d'explorer les facettes multiples à travers lesquelles se donne le soi. Parler de soi plutôt que de moi implique une rupture franche avec les philosophies qui placent le sujet humain en position fondatrice. Le soi est moins une " chose " qu'un mode d'être ; le soi n'est pas une donnée mais une conquête dont le devenir est en partie indéterminé. C'est donc sous le signe des épreuves (authenticité, multiplicité…) qu'il faut penser les variations phénoménologiques et herméneutiques sur le soi. Si la philosophie reste la discipline dominante des réflexions qui parcourent les contributions du volume, l'originalité de cet ouvrage est d'offrir en même temps au lecteur d'autres variations (littéraires, historiques, sociologiques) par lesquelles se décline le soi.
Figure de l'antifascisme et de la gauche italienne, juriste et philosophe, Norberto Bobbio (1910-2004) est l'auteur d'une œuvre considérable, éparpillée entre plusieurs centaines d'essais. Son style clair et analytique, nourri de l'histoire des idées, ainsi que sa légendaire ouverture au dialogue, témoignent de sa volonté d'éclairer les alternatives politiques dont doivent se saisir les citoyens. La question internationale, dans la mesure où elle est, d'ordinaire, soustraite arbitrairement au jugement du public, a fait l'objet d'un traitement spécial de sa part. Dans l'esprit de Bobbio, cette question se confond bien souvent avec le problème de la guerre. Avec l'apparition de l'arme nucléaire, ce problème déborde l'espace habituellement dévolu à la diplomatie et à la stratégie, et se confond avec celui du mal dans l'histoire. Or, les catégories morales qui permettent de penser la guerre ne paraissent pas avoir été affectées par cette mutation. Les acteurs de la vie politique de la seconde moitié du XXe siècle, pressentant l'inadéquation de la guerre moderne avec ses justifications traditionnelles, n'ont pourtant pas encore renoncé à ces dernières. Comment expliquer un tel paradoxe ? Après avoir montré l'échec du marxisme à penser la guerre, ainsi que l'inconséquence coupable de la théorie réaliste des relations internationales, Bobbio va chercher une réponse du côté d'une discipline injustement décriée : la philosophie de l'histoire. L'analyse de ses échecs ne l'empêchera pas de conclure à la nécessité d'en reprendre l'écriture. Jouant les fins de l'histoire contre la fin de l'histoire, il plaidera en faveur du pacifisme institutionnel et du fédéralisme à l'échelle internationale. Cet ouvrage ambitionne de sensibiliser le public français à la question internationale dans l'œuvre de Bobbio, mais aussi, à travers elle, à la pensée politique d'un intellectuel aujourd'hui reconnu dans le monde entier.
La pensée de Max Scheler (1874-1928) a un destin paradoxal: reconnu de son vivant comme un philosophe essentiel, notamment par Heidegger qui voyait en lui " la force philosophique la plus vive " de son temps, figure majeure de la phénoménologie, du personnalisme et de l'anthropologie philosophique, son œuvre monumentale est aujourd'hui injustement passée sous silence, alors même que son influence et sa portée n'ont jamais cessé d'être reconnues. La force et l'originalité de cette pensée résident tout d'abord dans son entreprise de fondation d'une éthique philosophique rigoureuse qui s'articule autour du problème des valeurs. Il s'agit pour Scheler de montrer que celles-ci possèdent un ordre et une hiérarchie propres, dont la personne est le sommet. Cela le conduit à rendre compte de la façon dont cet ordre axiologique nous apparaît dans la sphère affective. Pour cela, il reprend à Pascal l'idée d'une " raison du cœur " irréductible à la rationalité logique, et s'efforce d'en expli - citer précisément les modalités à travers une phénoménologie de l'affectivité d'une grande richesse. Ce volume souhaite contribuer à redonner une actualité à cette pensée féconde et originale et s'ordonne autour de deux axes: d'une part le problème de l'éthique des valeurs et de la personne, et d'autre part l'apport de Scheler à la phénoménologie de l'affectivité et de l'intersubjectivité.
Kant n'a pas écrit une, mais au moins trois " esthétiques " : l'Esthétique transcendantale, qui fixe le statut de l'espace et du temps dans la connaissance des phénomènes, une théorie du respect comme sentiment moral, qui décrit l'articulation entre l'affectivité sensible et la loi de la raison pratique, et une critique du goût, par laquelle Kant retrouve le sens moderne du terme esthétique (théorie du beau). Quel est le lien entre ces acceptions ? Existe-t-il une ou plusieurs conceptions kantiennes de la sensibilité ? Qu'est-ce que le " sujet sensible " s'il doit à la fois recevoir les phénomènes, être affecté par la loi morale et capable de juger de la beauté du monde ? Ce volume répond à ces questions en réunissant les contributions de spécialistes de la critique kantienne et de l'esthétique philosophique. Les esthétiques kantiennes y sont confrontées aux doctrines classiques de la sensibilité, d'Aristote à Wolff, en passant par Leibniz et Locke, puis interrogées quant à leur postérité, de l'idéalisme allemand à la phénoménologie. On interroge la cohérence entre les trois Critiques au fil conducteur de la question de la sensibilité, l'invention d'une sensibilité transcendantale marquant une rupture par rapport à la tradition métaphysique et à l'empirisme. Peut-être comprendra-t-on alors comment un rationalisme conséquent a également pu se présenter comme une " apologie de la sensibilité ".
Philosophe de la mort et de l'immortalité. Études sur Clara (avec la traduction française du texte de Schelling)
Ce volume est le premier ouvrage entièrement consacré à Clara, texte sans équivalent non seulement dans l'ensemble de la production de Schelling mais aussi dans l'histoire de l'idéalisme allemand. Il reprend en effet des questions héritées du Phédon : celle de la survivance de l'homme après la mort et celle de la relation entre le monde d'ici et le monde outre-tombe. C'est par ailleurs une œuvre qui raconte une histoire, celle d'une femme endeuillée que ses amis conduisent vers la sérénité grâce à un vrai dialogue: d'abord sombre et plaintive, elle se prend peu à peu au jeu de ce dialogue en lui donnant un tour vif et mélancolique. Sans doute Schelling fait-il revivre dans cette figure l'épouse qu'il vient de perdre quand il écrit ce texte, mais c'est aussi lui-même qui parle à travers elle, notamment touchant l'âme ainsi que le rapport de la vie ici-bas à la vie au-delà comme rapport d'attachement (Zusammenhang) : " l'âme n'est pas où elle est mais elle est où elle aime, et la nostalgie la plus vraie est bien celle que l'on éprouve pour l'autre vie ". Les deux premières études s'occupent de replacer cette œuvre singulière dans la philosophie " en devenir " de Schelling afin d'en mesurer les principaux apports (Miklos Vetö et Philippe Grosos). Les deux études suivantes concentrent leur attention plutôt sur le tissu narratif de ce texte en vue d'analyser les détails qui font sens (Pascal David et Alexandra Roux). Deux autres études proposent une interprétation spéculative de l'œuvre qui en fait ressortir les thèses sous-jacentes entrant en résonance avec la tradition néo-platonicienne (Bernard Mabille) et certaines notions-clé de la théologie et de la psychanalyse (Virgil Ciomos). Les deux dernières études prennent, quant à elles, en vue une thématique précise afin de voir comment elle se trouve abordée dans le texte de Schelling : la personnalité (Élisabeth Grimmer), et l'immortalité (Philippe Soual). Le lecteur retrouvera en outre dans ce volume la traduction française de Clara que l'on doit à Élisabeth Kessler, entièrement révisée par Pascal David et Alexandra Roux.
L'œuvre d'Henri Maldiney (1912-2013) occupe aujourd'hui une place de premier ordre dans le paysage philosophique. Lors même qu'il n'a que tardivement publié son premier ouvrage, Regard Parole Espace , en 1973, le profond renouvellement qu'il a su introduire au sein de la phénoménologie a obligé philosophes, mais aussi psychiatres ou théoriciens de l'œuvre d'art, à repenser leurs concepts comme leurs pratiques. C'est là ce que ces études, initialement issues d'un colloque interdisciplinaire, entendent méditer. Elles abordent aussi bien la place qui est celle de Maldiney au sein de la tradition philosophique, qu'elles réfléchissent à l'impact de sa pensée sur le traitement des questions psychiatriques et esthétiques.
L'aveu est d'abord l'énonciation d'une vérité ou, tout au moins, de ce qui se présente comme telle. La critique foucaldienne a vu dans l'aveu un assujettissement. Pour des raisons similaires la psychanalyse a cherché à se démarquer d'une procédure d'aveu et le droit a dévalorisé cette preuve. Pourtant, l'aveu réapparaît aujourd'hui dans le droit sous la forme du plaider coupable ou encore de la médiation pénale. Cette résurgence a une signification. Elle montre que nous avons négligé la richesse du phénomène et sa profondeur. Même s'il ne fait pas de doute que la recherche de l'aveu en droit doit avoir ses limites, et même si l'aveu peut avoir des effets normalisants et destructeurs, il est parfois aussi une libération ou une voie vers la réconciliation. En outre, il pénètre de nombreux discours et ses effets sont très divers selon les contextes où il s'inscrit. C'est pourquoi l'ambition de ce livre est de présenter les éléments d'une réévaluation de l'aveu. Introduit par une réflexion sur son usage contemporain dans le droit, il croise des approches philosophiques profondément distinctes si ce n'est opposées. La phénoménologie, la psychanalyse et la philosophie analytique sont autant d'éclairages sur ce phénomène multiforme.
La notion de charisme s'est aujourd'hui banalisée. Reprise et réélaborée au début du siècle dernier par le sociologue allemand Max Weber à partir des travaux de Rudolph Sohm sur le christianisme primitif, pour désigner une manière de légitimer un pouvoir, cette notion s'est diffusée au point de devenir de nos jours une figure imposée, et galvaudée, du discours politique et médiatique. Le charisme s'est transformé en lieu commun, concept-réflexe qu'on dégaine à tout bout de champ pour qualifier tous ceux qu'on estime " à part ", dotés d'un " je-ne-sais-quoi " qui les fait sortir de l'ordinaire, sans qu'on cherche le plus souvent à caractériser précisément cette sorte d'" aura mystérieuse " censée entourer les êtres dits charismatiques. Mais qu'est-ce, précisément, que le charisme? Est-il seulement possible d'en proposer une définition scientifique rigoureuse qui ferait consensus, alors que Weber lui-même n'a cessé de retravailler cette notion, sans jamais proposer une systématisation des multiples usages qu'il a pu en faire dans son œuvre? C'est ce que cet ouvrage tente de déterminer, en convoquant des spécialistes de différentes disciplines (histoire, philosophie, sociologie et science politique) pour réfléchir à la fois sur la genèse du concept dans l'oeuvre de Weber, sur le contexte politique dans lequel il a été élaboré (la naissance des démocraties de masse) et sur des exemples historiques de personnalités qui ont pu être, un jour, désignées comme " charismatiques ". Ces retours critiques sur une notion complexe et laissant une très grande marge d'interprétation, permettent de mieux saisir les enjeux et les problèmes soulevés aujourd'hui encore par la notion de charisme, au point que peut se poser la question de son utilité scientifique même.
" La charité est incompatible avec la foi. Il est impossible d'aimer sincèrement Dieu et de croire qu'il existe. "Qu'est-ce que j'aime quand j'aime mon Dieu ?", demandait saint Augustin. J'aime la vérité, la droiture, la justice, la bienveillance, le détachement de soi et le respect d'autrui…, toutes choses incompatibles avec "ce que les hommes appellent un dieu". Il y a là un malentendu, un quiproquo. C'est pourquoi la charité chrétienne a engendré fi nalement une civilisation athée. " Edmond Ortigues n'a jamais cessé de réfl échir sur le rôle de la parole, sacrée ou profane, le paradoxe du désir d'absolu et le sens de la religion comme réalité historique et sociale. On trouvera dans ce volume deux textes majeurs aujourd'hui inaccessibles au public, Le temps de la parole, réfl exion sur le message évangélique et la parole de Dieu, et Le monothéisme, texte que l'auteur considérait comme une sorte de testament intellectuel. L'ensemble est complété par sept études dont une inédite sur la religion, le mysticisme et le délire, l'athéisme, l'islamisme et la laïcité, et permet de comprendre ce qui fait l'unité et la force d'une pensée qui, partie d'un catholicisme engagé et fervent, s'est orientée vers une conception anthropologique de la religion où la quête de l'absolu garde toujours son sens. Les analyses d'Edmond Ortigues sont toujours d'une acuité intellectuelle stimulante et le plus souvent d'une très grande actualité.
Le ressentiment n'a pas bonne presse : " passion irrationnelle ", " expression de l'impuissance ", " envie déguisée " – les termes ne manquent pas dans l'histoire de la pensée pour disqualifier ce qui est apparu, au mieux,comme le sentiment d'un malaise, au pire comme un désir de vengeance rentrée des classes populaires à l'encontre des élites. Trois caractéristiques du ressen- timent sont alors généralement mises en évidence. D'abord, on souligne que c'est une passion spécifiquement moderne, qui n'est théorisée qu'au xixe siècle parce qu'elle ne prospère pleinement que dans les sociétés de masse. ensuite, on montre que c'est une tradition de pensée spécifique (Nietzsche puis Scheler) qui en a définitivement fixé le sens, la comprenant comme l'émotion des faibles incapables d'affirmer leur hostilité à l'encontre de ceux qui les dominent. On précise enfin que le ressentiment conduit à une subversion des valeurs morales, et qu'il gît au creux des passions politiques d'apparence émancipatrice : la vérité de la volonté d'égalité ou de justice serait une rancune honteuse.C'est à montrer les limites de cette interprétation que cet ouvrage est consacré. Il veut montrer que le ressentiment a une histoire, et que si l'on veut identifier la spécificité de ses manifestations contemporaines, il faut les mesurer à la manière dont la philosophie ancienne et la pensée classique ont thématisé les affects approchants. Il entend également construire une critique des interprétations traditionnelles, en montrant comment celles-ci ont tendu à simplifier la pensée nietzschéenne, et ce pour restituer à cette passion son éminente complexité. Il souhaite enfin organiser une analyse du dynamisme dont le ressentiment est l'expression, en mettant à profit la richesse que signifie en la matière une approche pluridisciplinaire. Car cette passion, loin d'être seulement cette manifestation de l'impuissance à laquelle on a voulu la réduire, est réaction émotionnelle face à l'inachèvement de l'égalité dont nos sociétés démocratiques sont pourtant la promesse.Le ressentiment est création de valeurs, attention à la réciprocité, attache- ment à la justice. C'est une passion sociale qui exprime la puissance de l'affect dans la vie politique ; c'est plus encore l'une des formes, certes potentiellement pathologique, de l'élément affectif dont nos idéaux de liberté et d'égalité ont un irréductible besoin.