Vingt ans après sa publication, voici la traduction d'un classique résultant de plusieurs décennies de recherches, L'Italia degli Stati territoriali. Secoli XIII-XV. Isabella Lazzarini livre dans ce texte l'essence des débats qui ont agité l'historiographie italienne sur l'évolution de l'Europe politique et la naissance de l'État moderne. De plus, elle y propose une grammaire du fonctionnement politique des sociétés italiennes de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance.Cet ouvrage éclaire d'un jour nouveau le sujet complexe des " deux Italies ". À partir d'un vaste panorama historiographique, l'autrice y retrace le parcours qui mène des régimes politiques que tout oppose, tels que les communes, les royaumes ou les seigneuries, à la création d'États indépendants mais interconnectés. Réfutant la partition entre Italie du Nord, foyer de toutes les modernités (urbanisation, développement économique, etc.), et Italie du Sud, enlisée dans un supposé archaïsme (économique, social, politique, etc.), elle analyse le développement simultané de ces entités et la naissance d'un langage commun au sein du jeu global italien.Ce réseau de pouvoirs en équilibre instable, véritable laboratoire politique à l'échelle européenne dont il s'agit ici de faire la généalogie, dessine la voie italienne vers l'État moderne, barrée à la fin du XVe siècle par l'essor des royaumes de France et d'Espagne.
Publié dans la collection "Inside Technology" des MIT Press, Sorting Things Out est un classique incontournable des sciences sociales américaines.C'est l'un des tout premiers ouvrages à avoir placé l'informatique et les mondes numériques au centre de sa réflexion, à partir d'une thématisation sociologique de l'information, de la production et de la circulation des données. Singularité qui accroît sa portée: les auteurs travaillent sur les nouvelles technologies dans une interrogation plus vaste sur le travail catégoriel, et font cohabiter une analyse d'internet à ses débuts avec des terrains plus classiques comme les catégorisations raciales, du travail, et des maladies.Jalon important des infrastructure studies notamment, le livre est abondamment cité en anglais et a été discuté par la sociologie des sciences et des techniques française, notamment par Bruno Latour et Michel Callon. Certains de ses concepts centraux comme celui d'objet frontière sont également repris en français mais par un public encore assez spécialisé.Texte traduit de l'anglais et présenté par Vincent Cardon, Éric Dagiral et Ashveen Peerbaye.
De la lamentation funèbre antique à la plainte de Marie
Ernesto De Martino étudie le rapport entre la mort humaine, en tant qu'événement naturel, et le rite de la plainte funèbre lui conférant un sens culturel. Une traduction inédite sur la crise du deuil dans le monde antique, qui s'achève par un audacieux Atlas illustré des pleurs. L'existence humaine obéit à un équilibre fragile, toujours menacé par une crise sans horizon: la mort d'une personne aimée. La perte irréversible ouvre la voie à l'éloignement du monde, au délire du déni, à une fureur destructrice. D'où vient le besoin de refuser la mort dans sa scandaleuse gratuité, d'offrir le repos au défunt grâce à l'élaboration rituelle du deuil? C'est tout l'enjeu de ce grand classique de l'anthropologie, enfin traduit en français. Ernesto De Martino montre que la lamentation funèbre, adressée aux vivants non moins qu'aux morts, surgit pour transformer la crise du deuil en une discipline culturelle capable de préserver le pathos de l'irruption de la folie. Il retrace l'histoire de cette lamentation de l'antiquité à l'époque chrétienne en partant de ses enquêtes ethnographiques dans le sud de l'Italie. Observant les pleureuses et recueillant les chants funèbres, il revient aux anciennes civilisations agraires de Méditerranée au sein desquelles la complainte funéraire a connu ses manifestations les plus grandioses, avant son déclin progressif, provoqué par le christianisme triomphant. De Martino retrouve chez les paysannes de Lucanie des gestes analogues à ceux des Égyptiennes pleurant leur pharaon défunt ou à ceux des Grecques anciennes réunies autour des héros morts au combat, mettant en lumière la survivance de l'institution des lamentations dans la longue durée. Comme en témoigne, en écho à Aby Warburg, l'Atlas des pleurs rituels qui complète le livre, c'est avec toute la tradition d'histoire, d'archéologie et d'histoire de l'art du XXe siècle que dialogue cette œuvre anthropologique puissante et originale.
Qu'arrive-t-il quand une nation européenne choisit de se penser comme asiatique? C'est ce paradoxe qu'explore le livre de Balázs Ablonczy portant sur un courant de la pensée hongroise méconnu en Occident. En s'éveillant au nationalisme moderne, les Hongrois élaborèrent une doctrine originale pour penser leurs origines exotiques (finno-ougriennes, et influencées par des peuples turcs, aux confins de la Russie d'Europe et de l'Asie): le touranisme. Cette idéologie valorisait leur protohistoire steppique et soulignait leur fraternité avec les peuples turco-mongols, voire même avec un ensemble plus vaste de peuples eurasiatiques, de la Finlande au Japon. Pour la première fois traduit en français, cet ouvrage retrace le développement et l'impact de cette pensée sur les plans culturels et linguistiques, mais aussi politiques, diplomatiques et artistiques. Il montre comment le touranisme conduisit la Hongrie d'avant 1914, puis celle de Miklós Horthy à inventer une diplomatie alternative; comment il s'organisa en une multitude de courants associatifs; comment il prit des connotations toujours plus extrémistes, avant de se réfugier dans la clandestinité sous le communisme, pour ressurgir avec force dans la Hongrie actuelle. Balázs Ablonczy explore les entrelacs les plus baroques (filiation suméro-hongroise), les plus sombres (racisme) comme les plus lumineux (art touranien) de cette mouvance, levant un voile sur une facette originale de la Hongrie contemporaine.
Pratiques et idéaux de justice dans une société d'Ancien Régime
Durant la première moitié du XVIIIe siècle, le Consulat de commerce de Turin connaît une série d'inflexions radicales, qui contribuent à la disparation de la procédure sommaire. Celle-ci se fonde sur le droit naturel, les actions des plaideurs et une conception globale de la justice, tandis que la procédure ordinaire, apanage des juristes, accorde un poids très fort aux normes et aux statuts locaux.Pendant cette période, on cesse de présenter ces deux procédures comme complémentaires, pour les considérer comme opposées et antagonistes. Cette transformation met en jeu le concept même de responsabilité en justice: certains la veulent pleine et entière, résolument individuelle et liée aux actions des individus; d'autres, en revanche, la corrèlent à la réputation, aux privilèges associés au statut et aux hiérarchies sociales.Pour cette raison, le débat sur la justice au début du XVIIIe siècle fut bien loin de n'impliquer que les seuls professionnels du droit, les réformateurs et les intellectuels. Il concernait un public plus vaste de marchands, d'artisans, mais aussi d'hommes et de femmes qui se rendaient au tribunal pour des affaires portant sur de petites sommes. Ce débat touchait, enfin, toutes les personnes mobiles sur le territoire qui, malgré leur méconnaissance des normes locales, réclamaient justice devant les tribunaux.
Une enquête sur le problème de la pratique du droit
En 1912, celui qui n'est pas encore le sulfureux Carl Schmitt donne à cette interrogation une réponse surprenante qui, aujourd'hui peut-être plus que jamais, nous parle encore. Dans Loi et jugement, ouvrage de jeunesse brillant et érudit, traduit et replacé par Rainer Maria Kiesow dans une perspective critique, on perçoit déjà le goût de l'auteur pour la rhétorique, le style et, plus précisément, le goût pour les concepts en opposition, pour les mots en guerre, par lesquels il deviendra célèbre: ami/ennemi; légalité/légitimité; théologie/politique; règle/exception; État/mouvement/peuple; terre/mer; mais aussi juif/aryen. Or c'est avec l'examen de la relation loi/jugement que tout a commencé. Y a-t-il harmonie ou tension? Déduction ou déconnexion? Continuité ou rupture? Là réside tout le problème de l'État de droit et de l'état de légalité – une question toujours ouverte.
Texte établi et traduit de l'italien sous la direction de Giordana Charuty, Daniel Fabre et Marcello MassenzioL'ouvrage vient compléter la connaissance de l'anthropologie démartinienne, réduite en France aux études consacrées à la vie religieuse en Italie du Sud. Une introduction générale reconstruit l'histoire de l'édition posthume, situe le projet dans la trajectoire intellectuelle de l'auteur, restitue sa réception italienne. Des notes, un tableau des choix de traduction, des tables de correspondances et des articles publiés du vivant de l'auteur permettent au lecteur d'entrer dans l'atelier de De Martino.En passant d'une langue et d'une discipline à l'autre, cette enquête veut transformer les diagnostics portés, au début du XXe siècle sur la " crise " ou le " déclin " de l'Occident, en symptômes pour qualifier la singularité de l'Occident à travers les genèses successives de l'expérience apocalyptique, et ce dans la perspective d'une anthropologie de l'histoire.
Dans la seconde phase de la pensée de G. H. Mead (1863-1931), le temps occupe une place fondamentale. G. H. Mead partage avec A. N. Whitehead le désir de relier la structure du monde physique, telle que les derniers développements de la science de ce début de XXe siècle la conçoivent, à l'expérience quotidienne. Cette préoccupation est partagée également par des auteurs comme B. Russell, G. E. Moore et même par des écrivains comme Virginia Woolf. La restitution de la philosophie anglo-saxonne dans le monde francophone accorde, depuis une dizaine d'années, un intérêt croissant à ces philosophies.La contribution originale de G. H. Mead à ces entreprises intellectuelles tient à ce qu'il est autant psycho-sociologue que philosophe. Il introduit dans ses dernière conférences (les conférences Carus, en décembre 1930, quelques mois avant sa mort) la notion de socialité qui exprime la capacité commune aux systèmes physiques en mutation, aux sociétés humaines et aux individus d'occuper simultanément plusieurs perspectives, tentative conceptuelle issue des travaux sur la relativité.Cet ouvrage permet de situer la philosophie meadienne sur le temps et les sciences physiques par rapport aux débats sur ces sujets majeurs dans l'entre-deux guerres, débats dont on entrevoit la grande fécondité aujourd'hui pour de nombreux champs de recherche, depuis l'épistémologie de l'histoire, les expériences biographiques, la philosophie de l'aléatoire ou encore les études cinématographiques et, plus largement pour repenser les rapports entre sciences humaines et sociales et sciences de la nature.
Publiées lors de la " querelle des méthodes " opposant Menger, leur auteur, à Gustav von Schmoller, chef de file de l'école allemande d'économie alors prépondérante, les Recherches sur la méthode dans les sciences sociales et en économie politique en particulier (1883) ont réformé la théorie de la connaissance s'appliquant au domaine économique.Des débats sur les sciences de l'esprit allemandes au tournant 1900 jusqu'aux interrogations les plus récentes, la méthodologie de Menger a traversé les décennies, relayée de la Mittel Europa au Middle West par ses disciples et héritiers, dans le monde entier. Elle a contribué à forger le courant dominant de l'économie contemporaine, sans toutefois jamais se confondre avec cette dernière. Tant et si bien que le regain d'intérêt dont elle bénéficie à présent, comme source de l'économie moderne, rendait urgent de livrer le texte des Recherches au public francophone.Gilles Campagnolo traduit de l'allemand et présente cet ouvrage de référence. Il retrace les circonstances de sa publication, introduit les concepts employés par le Viennois, notamment sa classification des sciences économiques. Une partie documentaire évalue et discute les arguments de la querelle avec Schmoller ; en fin de volume, un glossaire facilite l'accès à la terminologie mengérienne.C'est donc à la découverte d'un texte fondamental et actuel, dont la permanence s'est avérée à chaque fois que les fondements de la science économique ont été ébranlés (crises, changements de paradigmes, dérives et excès), mais aussi à l'évocation de tout un contexte expliquant la valeur et la portée de cette œuvre, que le lecteur d'aujourd'hui est convié.
Une théorie de l'émergence des formations sociales
Harrison White est cité comme l'un des grands théoriciens contemporains des sciences sociales. Identity and Control, initialement publié en 1992, offre un cadre d'analyse pour étudier le déploiement des dynamiques sociales et de l'action humaine. Les deux concepts d'identité et de contrôle fournissent des outils non conventionnels, avec un vocabulaire propre et une série de cas concrets, pour penser les dynamiques de formations sociales très diverses. H. White utilise fréquemment des analogies avec les sciences de la nature (chimie, cybernétique, mathématiques, physique) ; il s'appuie aussi sur de nombreux exemples pris dans les sciences sociales américaines et européennes (Granovetter, Bourdieu, Luhmann, Boltanski…), et dans la vie quotidienne (les rencontres amoureuses, la vie universitaire américaine, la naissance du rock…).Frédéric Godart et Michel Grossetti proposent ici une traduction d'une version entièrement révisée. Le cheminement qu'ils proposent à travers les principaux concepts d'Identity and Control dégage les innovations théoriques et méthodologiques et permet de s'approprier des notions clés sur le monde social dans lequel nous vivons.