Mises en scènes, en images et en récits (XIXe-XXIe siècle)
Ce numéro s'inscrit dans le prolongement de travaux visant à reconsidérer la place des femmes (peintres, danseuses, musiciennes, compositrices ou interprètes…) dans l'histoire de la création artistique, sur le temps long. Dans une perspective interdisciplinaire, il étudie la manière dont les musiciennes, envisagées comme figures, ont été mises en scènes, en images et en récits entre les XIXe et les XXIe siècles, en littérature, dans les arts visuels, la création musicale ou encore au cinéma.Représentée dans toutes les cultures depuis l'Antiquité et au sein de nombreux mythes et légendes, la musicienne possède un caractère protéiforme et des valeurs très diverses en fonction des contextes et des usages. Elle tient une place à part parmi les artistes femmes et les modalités de sa présence réelle ou fictionnelle continuent de poser question. Largement essentialisée ou réduite à des archétypes au cours des siècles, elle est dans le même temps celle qui porte une voix singulière, à la croisée de l'intime et du politique. Elle incarne aussi la voix de l'autre, une voix parfois assourdie, essentialisée ou au contraire subversive, voire émancipatrice. Par-delà la diversité des pratiques et des répertoires, ce dossier invite à réfléchir de manière critique aux possibilités de la représentation de la musicienne et à ses enjeux.
Soigner par le geste en Grèce archaïque et classique
En 2020, la pandémie de Covid-19 a révélé la puissance ambivalente des gestes médicaux, perçus tantôt comme salvateurs, tantôt comme intrusifs, voire violents. Ce paradoxe, loin d'être inédit, invite à un retour aux sources de la médecine occidentale: comment les Grecs des époques archaïque et classique pratiquaient-ils et représentaient-ils ces gestes?? Pour répondre à ces interrogations, l'étude d'Hélène Castelli porte sur les actions manuelles visant à soigner, qu'elles soient réalisées par des médecins ou d'autres acteurs, réels ou mythiques, et restitue à ces gestes médicaux toutes leurs dimensions?: technique, sociale et symbolique. Elle s'appuie sur des textes, images et récits issus du monde grec, datés entre le VIIIe et le IVe siècle avant notre ère, et contribue ainsi à historiciser la médecine grecque dans sa dimension pratique.
Hypothèses 2022 est encore un numéro atypique: par le nombre des ateliers doctoraux qui y sont publiés et par l'ampleur des articles qu'il renferme. Dédiés pour l'un aux " Marges et marginalités: des constructions socio-spatiales ", pour l'autre à " L'étude des professions: objets et méthodes ", les deux cahiers présentés ici sont issus des rencontres de l'année universitaire 2021-2022. Trois ans après, il est heureux de lire deux cahiers très réussis, par leur richesse et leur maturité propre ainsi que par leur fidélité aux principes de ces ateliers.Les coordinateurs du premier dossier rappellent que l'historiographie des marges et des marginalités s'est beaucoup nourrie de la contestation sociale, de la remise en cause de l'ordre établi si caractéristiques des années 1960, au point que " (l)a marge n'en est plus une " aujourd'hui dans les sciences sociales. Que la marge soit spatiale, sociale ou socio-économique, tous les auteurs l'analysent en tant que processus paradoxal dont la classique relation entre centre et périphérie ne peut suffire à rendre compte.Si les marges et les marginalités constituent un objet heuristique bien identifié, quelle que soit sa diversité, on ne peut en dire autant pour les professions. Aussi les coordinatrices de l'atelier soulignent-elles la dynamique qui sous-tend leur initiative, œuvrer à une " histoire des professions " qui ne soit pas la somme des nombreuses études dédiées à différents métiers ni un simple corollaire de l'histoire du travail, mais " un carrefour historiographique majeur ", à la croisée de la sociologie et de l'histoire.
L'affaiblissement des liens sociaux et l'effritement des identifications traditionnelles dans les sociétés contemporaines constituent un défi majeur pour la critique sociale. Les instruments intellectuels qu'elle mobilisait jusqu'alors se révèlent dépassés pour déchiffrer ces ruptures. Celles-ci découlent en effet d'un problème commun : si elle veut répondre à cette crise des identités collectives, la critique sociale doit redéfinir sa forme même et ses objectifs. Fondé sur des outils philosophiques et sociologiques élaborés par des penseurs occidentaux, destinés initialement à analyser les crises traversées par leur société, cet ouvrage met ce cadre théorique à l'épreuve en élargissant son champ d'analyse à l'Europe de l'Est, notamment la Bulgarie – secouée par exemple en 2013 par deux puissants mouvements de contestation sociale –, afin d'esquisser une science sociale sensible à la singularité de contextes sociaux divers et capable de reconnaître le potentiel de conceptualisation que chacune de ces situations historiques recèle.
Depuis les années 1970, l'articulation entre l'histoire de l'art et les questions propres au genre dans les pratiques artistiques produit une réflexion critique qui occupe, jusqu'à aujourd'hui, une place prépondérante dans la sphère de la recherche et de l'enseignement à l'échelle globale. Les luttes pour les droits des femmes et des personnes queers permettent de réfléchir aux formes esthétiques plurielles qui s'épanouissent dans une histoire politique, culturelle et sociale de l'art. Celle-ci, à son tour, ouvre à des enjeux scientifiques majeurs, renouvelant les paradigmes de la recherche de façon puissante. Ce qui est à souligner, quand on considère ces enjeux, c'est la façon dont l'histoire de l'art, quelles que soient les périodes concernées, agit comme une force motrice où les idées sont littéralement tractées du présent vers le passé ou vers un futur en devenir. Les objets étudiés, dans toute leur diversité, sont des jalons de processus historiques, théoriques, critiques et esthétiques entremêlés. À la lecture des essais qui composent ce volume, on comprend que leurs autrices et auteurs engagent des réflexions qui font de l'histoire de l'art un espace de possibles, cherchant à bouger les lignes (chronologiques, thématiques, épistémologiques), renversant toute définition unique de la discipline.
Au cours de l'époque moderne, d'importants flux de réfugiés ont traversé les territoires italiens, soit pour y passer le temps d'une étape, soit pour s'y installer durablement. Venus d'horizons multiples, ces groupes d'exilés revendiquaient au besoin pour la plupart leurs spécificités ethnoreligieuses. Celles-ci ont cependant aussi pu être détournées en stéréotypes par des acteurs institutionnels, sociaux, culturels, qui y trouvaient leur intérêt. Dans ce contexte, les réfugiés ont utilisé les discriminations qu'ils fuyaient et les persécutions religieuses qu'ils subissaient comme un argument rhétorique pour convaincre les princes italiens de les accueillir. Ceux-ci ont accepté de les recevoir sur leurs terres, parce qu'ils adhéraient à leurs discours ou dans l'espoir que ces hommes et ces femmes contribuent à développer la prospérité des territoires sous leur domination. En se concentrant sur les interactions entre les migrants et les États italiens, ce dossier met en lumière l'agentivité stratégique des acteurs qui ont rendu l'installation de ces réfugiés non seulement possible, mais souvent profitable, pour eux-mêmes comme pour leur " nation ".
Dans les deux dernières décennies, les recherches sur le " corps " et celles sur la " mesure " ont fortement participé aux renouvellements des sciences humaines et sociales vers une plus grande attention aux dimensions " pratiques " de l'agir social. Elles ont contribué à penser les faits sociaux comme ancrés dans la matérialité de la vie organique et dans des conventions technico-opérationnelles. Toutefois, rares sont les travaux qui ont interrogé les rapports entre ces deux dimensions de l'agir humain. Ce numéro de Socio-anthropologie propose à des chercheurs·euses travaillant sur la place du corps et/ou de la mesure dans la compréhension des activités sociales d'interroger l'ancrage corporel des pratiques métriques et/ou le rôle de ces dernières comme condition des engagements corporels.
Comment les œuvres existent-elles dans le temps ? Judith Schlanger revient sur les lectures et les textes qui ont jalonné son parcours – ainsi que sur ceux qui, à l'inverse, l'ont étonnamment peu marquée. Au gré de ce carnet de lectures personnel, elle explore les thématiques du changement et de la durée historique, de la valeur cachée des lecteurs anonymes, et d'une vie consacrée aux idées.Entrecroisant réflexions personnelles, analyses sur son propre parcours et études des œuvres, cet essai dresse un portrait saisissant de la pensée du second XXe siècle.