Le présent essai se propose d'ouvrir une réflexion sur le concept de cinéstase, que nous avions forgé à l'origine pour désigner une situation filmique particulière observée lors de la longue halte au village dans Et la vie continue... (Abbas Kiarostami, 1992). Par ce néologisme, nous voulions signifier la tension dramaturgique auquel le film, alors, nous soumettait: d'un côté le mouvement incoercible du drame (kine), porté par la translation physique de la voiture et de ses occupants, de l'autre son immobilisation soudaine figurée par cette escale au village (stasis). Au cœur de ce rapport de type nouveau, cinéstasique, un mouvement d'une autre nature se faisait jour, à forte coloration persane en l'occurrence, mais où la puissance d'évocation du réel avait toute sa place. Dans ces moments de catalyse que constitue la cinéstase, les mobiles du scénario apparent passent en effet au point mort au profit d'une expérience d'une autre nature, sensible, poétique, paysagère. Une dépression narrative se crée, où quelque chose des impératifs dramatiques qui gouvernent le film se relâche, se met en suspens. Se proposant d'en vérifier plus largement l'opérativité, cet ouvrage s'inscrit dans une perspective d'extension et de transposition du concept, avec pour objectif de le mettre en danger, d'observer ailleurs sa manière de résonner (chez Rossellini, dans le cinéma muet), et partant d'en vérifier, ou pas, la transhistoricité.