Si les mythes représentent souvent la grandeur et la beauté de l'aspiration au savoir, inséparable de la condition humaine, ils en explorent aussi de manière récurrente les périls, qu'ils figurent à travers des personnages au destin terrible et fascinant: de Cassandre et d'Œdipe à Faust et Frankenstein, en passant par Prométhée, Narcisse ou Psyché, se dessine en variations potentiellement infinies le cortège des êtres qui n'ont ou ne donnent accès à la connaissance qu'au prix des plus grands malheurs pour autrui et/ou pour eux-mêmes. Or, en tête de ce cortège, se trouvent les Sirènes du chant XII de l'Odyssée, dont le chant merveilleux est promesse de mort autant que de savoir et qui, dans de nombreuses versions du mythe, sont finalement à leur tour vaincues, mutilées voire tuées. L'équation savoir = danger posée de manière à la fois implacable et énigmatique par le texte homérique autour des Sirènes a été le point de départ d'une immense chaîne de réécritures: qu'elles détiennent un savoir véritable ou n'en offrent qu'une pure virtualité, qu'elles soient dangereuses ou en danger, ces créatures hybrides, femmes-oiseaux ou femmes-poissons, dont même le nombre est instable, n'ont jamais cessé de hanter la littérature de leur présence aussi séduisante qu'inquiétante. Le présent volume se veut une enquête sur les raisons, les modalités et les effets de cette présence; du temps d'Homère à nos jours, il trace en deux volets – le premier consacré aux Sirènes grecques et romaines, le second allant du Moyen Âge au XXIe siècle – une histoire littéraire de ce mythe fondateur du savoir périlleux.