Ce volume rassemble une série d'articles ayant pour point commun de proposer une vision complexe des modes de présence du droit. Le droit n'y est jamais saisi comme une évidence ou comme un simple révélateur de mutations et rapports sociaux qui l'engloberaient. Les contributions, théoriques et empiriques, ont pour point commun de montrer comment les acteur·ices du monde social mettent à l'épreuve, dans leur pratique et leur discours, la réalité même de l'institution juridique et ses frontières. Qu'il s'agisse de s'intéresser à des espaces sociaux ordinaires ou des scènes proprement judiciaires, les articles décrivent les ambiguïtés du droit, la variabilité de sa réalité et de sa matérialité, les inquiétudes des acteurs quant à sa nature et à l'adéquation des pratiques qui s'appuient sur sa justification. Les concepts issus des sciences sociales d'inspiration pragmatique et pragmatiste ouvrent ainsi la voie à une conception renouvelée de la norme juridique, libérée des regards nostalgiques et essentialisants quant à la véritable nature du droit.
Étonnant destin que celui du performatif: tout juste après avoir inventé ce concept dans les années 1950, le philosophe du langage ordinaire John L. Austin en affirmait le caractère trivial et superficiel. Et pourtant, un demi-siècle plus tard, le performatif connaît un essor considérable dans le champ philosophique comme dans l'ensemble des sciences humaines et sociales, depuis la théorie de la littérature jusqu'aux Gender et Visual Studies, en passant par les études de communication ou l'épistémologie de l'économie.Ce volume vise à clarifier les enjeux théoriques de cette dissémination conceptuelle. Comment le performatif est-il mobilisé par les chercheurs de ces différentes disciplines? Quelles ressources y trouvent-ils? Quelles réappropriations en font-ils? Ce sont de telles questions que les contributions réunies dans cet ouvrage prennent en charge, par un travail précis d'explicitation des divers sens et usages du " performatif ", qu'ils soient fidèles à la lettre austinienne ou qu'ils s'en départissent, afin de montrer ce qui les distingue, et leurs possibles points de convergence.Contributions de:Bruno Ambroise, Valérie Aucouturier, Sémir Badir, Anna Caterina Dalmasso, Mauricio Garcia Peñafiel, Anaïs Jomat, Quentin Landenne, Daniele Lorenzini, Claire Lozier, Martin Mees, Isabelle Ost, Jeanne-Marie Roux, Arnaud Timmermans
La plupart des philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles discutent l'idée que le progrès des connaissances puisse avoir des effets sur la conduite de la vie. Doit-on penser que le développement des savoirs favorise nécessairement l'accès des hommes à la sagesse, ou bien faut-il en douter? Les différentes contributions de l'ouvrage s'efforcent de répondre à cette question. Si ce sont le progrès des connaissances et la quête de nouveaux savoirs qui caractérisent la modernité, pourquoi ne pas se demander comment les philosophies morales des XVIIe et XVIIIe siècles intègrent ou, au contraire, résistent à ces bouleversements?Contributions deThibault Barrier, Christian Bonnet, Iris Douzant, Kyriakos Fytakis, Marion Gouget, Louis Guerpillon, Éric Marquer, Jordan Messerlé, Paul Rateau, Clément Raymond, Louis Rouquayrol, Anne Texier et Mélanie Zappulla.
Cet ouvrage rassemble une quinzaine de courts textes de Lucien Febvre, dispersés jusque-là dans des publications très différentes, et qui ont tous trait à la question du rapport entre l'histoire et les sciences, humaines mais surtout naturelles. Febvre, très intéressé par la véritable révolution que connaît la physique au début du XXe siècle et attentif aux sciences de la terre, a en effet défendu, tout au long de sa vie, une approche globale des sciences, dans laquelle les sciences expérimentales devaient faire l'objet d'une véritable analyse historique, mais devaient également partager avec les sciences de l'homme et de la société un même horizon épistémologique.En portant ces propositions des Annales jusqu'à l'Encyclopédie française, dont il a été le maître d'œuvre, Lucien Febvre a tracé les contours d'un programme intellectuel qui a été largement oublié dans la seconde moitié du XXe siècle. L'évolution interdiscplinaire des recherches, des sciences cognitives aux sciences de l'environnement ou du patrimoine, montre pourtant que ce programme intellectuel est profondément actuel.L'historien des sciences Éric Brian, éditeur du volume, qu'il accompagne d'une postface développant ces enjeux, nous livre ainsi, comme en pointillés, l'ouvrage majeur du fondateur des Annales sur l'histoire et les sciences qu'il n'a jamais eu le temps d'écrire, mais qui est si nécessaire à la réflexion de notre temps.
" Au lieu d'une induction des principes théoriques à partir des phénomènes empiriques, on ne nous offre qu'une pseudo-science cosmythologique invertébrée et on nous enjoint de nous suicider pour éviter de mourir. " Herbert Dingle, 1937" L'idée d'un Univers unique, d'un Tout vraiment solidaire, correspond à une totalisation négligente, à une unification trop tôt faite, bref à une définition non systématique d'un système. " Gaston Bachelard, 1939" Ce n'est pas de la science, d'après ma conception. " Karl Popper, 1994" La bonne méthodologie scientifique ne consiste pas en un ensemble de règles abstraites dictées par des philosophes. " Leonard Susskind, 2008De quoi parlent ces scientifiques et ces philosophes en des termes aussi forts? De la cosmologie physique, une science très particulière tant par son objet — l'Univers — que par son histoire. Elle a en effet connu, depuis un siècle, de vives controverses non seulement scientifiques mais aussi philosophiques. Comment une connaissance de la structure englobant tous les phénomènes physiques est-elle possible? Qu'est-ce qu'une hypothèse scientifique légitime? Une théorie doit-elle être fondée sur des observations? Comment différencier la science de l'Univers de la métaphysique? Ces questions, habituellement réservées aux ouvrages de philosophie, ont été débattues par les cosmologistes dans les plus prestigieuses revues scientifiques. Ce livre retrace l'histoire de ces controverses, depuis la question de l'expansion de l'Univers jusqu'à celle des univers multiples, afin de démontrer par l'exemple l'intérêt des interactions entre science et philosophie.
Si Pierre Bourdieu condamne les sociologies qui ramènent tout à l'économie, il a lui-même un vocabulaire théorique qui semble dériver de l'économie. Comment expliquer ce paradoxe? Cet ouvrage mène l'enquête et s'interroge philosophiquement sur le sens qu'il convient de donner, dans son corpus, au concept d'économie. Nous tentons alors de redéfinir une constellation de notions que l'on réserve généralement à la discipline économique standard. La valeur, l'échange, l'intérêt, l'investissement, le capital ou encore le crédit ont des significations élargies sur lesquelles nous nous proposons de réfléchir afin de lever les équivoques propres à la pensée de Bourdieu. Mais ce livre a également une ambition critique. Nous aimerions montrer que les économistes usuels doivent abandonner leur prétention au monopole sur ce lexique. Ils ne l'appréhendent en réalité que dans une sphère restreinte de pratiques, qui doit être de nouveau articulée à une économie symbolique étendue.
Unanimement considéré comme l'astronome le plus influent de l'entre-deux-guerres, Arthur S. Eddington (1882-1944) participa aux premières confirmations expérimentales de la théorie de la relativité d'Einstein. On sait moins que son rôle fut décisif pour l'émergence des premiers modèles d'univers en expansion, à l'origine de la théorie du Big Bang. Acteur et témoin des principales révolutions scientifiques du XXe siècle que furent la théorie de la relativité et la mécanique quantique, Arthur Eddington a aussi investi le champ épistémologique par plusieurs ouvrages majeurs, et fut un philosophe de la physique parmi les plus lus de son temps.Explorant l'intégralité des œuvres du physicien ainsi que de nombreux documents inédits, Florian Laguens dresse à travers cette étude un portrait riche et précis de la philosophie d'Eddington. Se déploie peu à peu une conception stimulante de la nature et de la portée de la science physique, parfois déroutante mais non sans cohérence, à condition de la reconduire à ses intuitions originaires. Au fil du texte se noue un dialogue à trois niveaux: d'abord entre les œuvres mêmes d'Eddington, de sorte à manifester les grandes phases de sa réflexion sur la signification du monde physique. Ensuite, entre les composantes de la vie d'Eddington, à la fois scientifique, philosophique et religieuse. Finalement, avec trois inspirateurs: Bertrand Russell, Emmanuel Kant et René Descartes.Eddington révèle ainsi la profondeur de ses intuitions, l'originalité de sa démarche et l'actualité de sa pensée.Préface de Michel Bitbol
Mathématicien russe, prêtre orthodoxe, déporté et mort au goulag au début du vingtième siècle, Paul Florenski conçoit les mathématiques comme une science de l'être humain. Sa synthèse philosophico-mathématique s'inspire notamment des idées de théorie des ensembles pour non seulement comprendre le monde, mais plus radicalement façonner les phénomènes et fonder la culture spirituelle pour les générations futures. Cette démarche l'amène à relire les intuitions mathématiques comme une forme de spiritualité qui rend capable de comprendre la finitude du monde.
L'Histoire du scepticisme de Richard H. Popkin, qui a dominé la recherche aux États-Unis et en Europe depuis les années 1960, était essentiellement consacrée aux rapports entre scepticisme et foi entre la fin du Moyen-Âge et le début du xixe siècle. Et lorsque Stanley Cavell a réintroduit la question de l'homme dans les études sceptiques contemporaines, c'est dans le sillage d'une interprétation du doute hyperbolique des Méditations métaphysiques de Descartes qui conduisait à faire des sceptiques des anti-humanistes renonçant au monde. C'est pourquoi il importait, suivant la suggestion d'Hans Blumenberg, de poser la question anthropologique à partir du rôle clef joué par le remodelage du scepticisme antique dans les Essais de Montaigne. Après s'être demandé s'il y a un sens à parler d'un " naturalisme sceptique " ou encore d'une " anthropologie sceptique de la croyance ", le présent ouvrage s'interroge sur les limites d'une approche exclusivement rationnelle de l'humanité et réfléchit à l'importance de la relation pour la penser non plus en termes de nature mais de condition. Il montre ainsi la contribution paradoxale mais constante du scepticisme philosophique à l'étude de l'homme.
" Perdre la tête, ne plus savoir où donner de la tête, tel est peut-être l'effet de la dissémination ". Seize ans après sa mort, hériter de Jacques Derrida signifie hériter de sa philosophie de l'héritage dont l'autre nom serait dissémination, in(ter)vention par-delà le connu et le déterminé, au-delà du sens et du signe.Mais dans le vivant, rien que dans le vivant, car le séminal ne fait jamais oublier son acception la plus organique. Parce que Jacques Derrida résistait à séparer le penser du vécu, hériter de sa pensée opère dans l'expérience et l'épreuve de nos vies. Ce que montre la série de textes ici réunis.Dans son parti pris pour penser une mémoire comme dynamis, ce volume souhaite montrer comment la constellation conceptuelle et épistémologique inaugurée par Jacques Derrida a pu être efficace dans les différentes sciences humaines et sociales, autant pour en ouvrir les méthodologies que pour aider à la compréhension des transformations socio-politiques contemporaines (les nouvelles formes de terrorisme, les migrations, les nouvelles technologies, le biopolitique…).
Extrait d'une revue ou d'un ouvrage relié à part en un petit livret. Destiné habituellement à faire connaître un article récemment publié, la collection détourne l'usage et la fonction du tiré à part pour inviter à la (re)découverte d'un texte. En lieu et place du traditionnel mot d'accompagnement de l'auteur, Pierre Judet de La Combe partage ici, dans une courte présentation, son expérience de lecture de: " Le métier de philologue " de Heinz Wismann.
La différence sexuelle de l'homme et de la femme est-elle un simple fait physiologique, ou bien également un effet des normes sociales? En 1990, dans Trouble dans le genre, Judith Butler soutient que la catégorie de " sexe " ne se contente pas de décrire une différence naturelle entre l'homme et la femme, mais contribue à la produire, par la répétition des normes du genre dans les discours et les pratiques sociales. Pour déconstruire ces catégories naturalisantes (" homme " et " femme "), Butler inscrit sa critique du sexisme dans une critique plus globale de l'hétérosexisme, c'est-à-dire de l'injonction sociale à l'hétérosexualité. Trouble dans la matière s'ouvre sur le contexte polémique de la réception de Judith Butler en France, dans les cercles où l'on reproche aux études de genre de semer le trouble dans la lutte des classes. En mettant au jour la dimension matérialiste de la thèse butlerienne de la construction discursive du sexe, l'ouvrage interroge en retour la fécondité de son analyse du pouvoir des mots pour la critique sociale d'inspiration marxiste. En explorant la postérité singulière de Marx, d'Althusser à Foucault, au prisme de l'épistémologie de Canguilhem, Audrey Benoit fait de la construction discursive du " sexe " le point de départ d'une réflexion générale sur la production de la réalité sociale par les discours qui prétendent la décrire. Elle propose ainsi des éléments pour une épistémologie matérialiste qui considère le pouvoir du discours de produire et de transformer la réalité sociale.