ANCIENS ET MODERNES PAR-DELÀ NATURE ET SOCIÉTÉ
INTRODUCTION
Le partage Nature/Société
UN ENTRETIEN AVEC PHILIPPE DESCOLA
Notre nature si singulière
MACÉ Arnaud — La naissance de la nature en Grèce ancienne : L'aventure épistémologique de l'Occident
MOREL Pierre-Marie — Genèse, analogie, dépassement :Les voies du naturalisme aristotélicien
BENATOUÏL Thomas — Le stoïcisme : pour un naturalisme sans naturalisation
LHERMITTE Jean-François — Fondements de la justice animale chez les partisans de l'intelligence animale à l'époque impériale
GERBIER Laurent — Le spirituel, le naturel, le civil (déplacements de coupures entre le XIIIe et le XVIe siècles)
SPECTOR Céline — "De Diamond à Montesquieu : une naturalisation de culture ?"
LARRÈRE Catherine — Nature et naturalisme dans les éthiques environnementales
HABER Stéphane — Une ontologie sociale naturaliste est-elle possible ? Quelques remarques à partir de Par-delà nature et culture de Ph. Descola
D'abord, la " Nature ", avec ses composantes bigarrées, ses lois inexorables et ses principes aveugles ; et puis, au¬dessus d'elle, la supplantant, l'écrasant, la " Société ", recueil des expressions de l'ingéniosité humaine, somme des arrangements plus ou moins fiables dont nous avons convenu entre nous. Ce schéma dualiste, dans lequel se concentre une partie de l'héritage idéaliste de la pensée philosophique occidentale, a joué un rôle central dans l'autocompréhension historique de la modernité. Certains hommes seraient devenus, justement, modernes, et ils auraient conféré cette qualité éminente à leurs idées, en particulier aux savoirs qu'ils se proposaient de développer, en séparant de façon tranchante Nature et Société. Ce faisant, ils les auraient rendues, dit¬on, pensables l'une et l'autre.Le présent ouvrage prend le contre-pied de cette conception en développant deux motifs. Premièrement : la " modernité " s'est aussi construite autour de positions qui insistaient sur l'appartenance des êtres humains à l'ordre englobant de la Nature, qui, par exemple, illustraient la continuité entre les savoirs visant le corps organique et le corps social. Deuxièmement : cette modernité¬là ne rompt nullement avec l'Antiquité. Car les Grecs et les Latins n'ont pas seulement institué ce partage ; ils se sont aussi inquiétés de sa valeur et de ses limites – ils l'ont discuté, déplacé, dissout, refondé, à mesure qu'ils entendaient justifier de nouveaux savoirs, les séparer d'autres ou les unir en de nouvelles continuités. Ainsi se substitue à la césure moderne le temps long d'une histoire où la multiplicité des façons de faire et de défaire cette frontière accompagne depuis l'Antiquité la production des savoirs. Nous héritons dès lors d'une autre histoire que celle que nous nous sommes racontée.Faudra-t-il renoncer à trier les êtres ou les processus selon qu'ils paraissent relever plutôt de l'existence naturelle ou de l'artificialité sociale ? Il suffira de désinvestir ce geste : lui rendre sa juste mesure, celle de n'être qu'un moyen, tout aussi utile que le geste opposé, lorsque l'on veut faire paraître des objets de pratique ou de connaissance, selon leurs discontinuités plutôt que leurs continuités. Aucune thèse dogmatique ne sort donc du travail de déprise auquel incite cet ouvrage. Peut¬être une conviction : l'avenir de notre interprétation philosophique du " social " tiendra probablement beaucoup à notre capacité à le rapprocher du " naturel ", c'est¬à¬dire à dévoiler la masse des liens d'appartenance, de dépendance, de continuité, d'analogie, d'entrelacement, qui le rattachent à ce que l'on avait pris à tort pour son autre absolu