Une réflexion philosophique authentique est-elle possible là où la "vulgate" marxiste constituée en idéologie officielle est censée occuper le terrain ? Peut-on résister au totalitarisme autrement que par une dissidence politique ? À la croisée des démarches historique, sociologique et philosophique, l'ouvrage retrace, pour la première fois, une expérience unique sous le régime soviétique. Lieu de production intellectuelle, plurielle, mais aussi de sociabilité "privée", le "cercle" s'est formé autour d'un noyau de jeunes philosophes et a fonctionné pendant plus de trente ans. Le livre apporte un éclairage sur cette "zone grise" de l'univers soviétique post-stalinien, zone intermédiaire entre le permis et le défendu où, en dépit des contraintes et des risques, il était parfois possible de penser et d'agir.
Les sorties, comme les entrées, ont servi depuis deux siècles à définir la citoyenneté. Pourtant les travaux sur les migrations concernent pour l'essentiel l'immigration. Le livre renverse cette perspective. Des historiens, sociologues et politologues abordent la question des politiques d'émigration avec leurs outils et leurs manières de faire propres. Si les raisons d'émigrer sont connues, les perceptions politiques des départs n'ont jamais fait l'objet d'étude comparative. L'enjeu est d'étudier comment les nations se sont aussi définies par leurs attitudes à l'égard de celles et ceux qui les ont quittées. De l'Europe à la Chine et à l'Amérique du Nord, l'ouvrage met l'accent sur les migrations libres des 19e et 20e siècles. Le livre démontre que c'est au croisement des capacités d'agir des individus et des structures qu'il faut analyser l'émigration.
Au Japon, la notion de maladies industrielles recouvre depuis une trentaine plusieurs cas : d'une part les "accidents du travail et maladies professionnelles" et, d'autre part, les "maladies de la pollution". Les maladies industrielles renvoient ainsi à l'interaction originale qui s'est produite entre le mouvement "antipollution" et le mouvement ouvrier. La coïncidence entre ces deux courants sociaux caractéristiques des sociétés industrielles est véritablement frappante dans l'histoire. En japonais, le terme de "victime" est étroitement lié à celui de "malade de la pollution". Or l'usage lancinant du mot victime trahit la logique sacrificielle du "principe pollueur payeur". À Minamata, ce sont précisément ceux qui se sont battus avec le plus de vigueur contre l'entreprise Chisso qui ont exprimé le mieux l'ambiguïté fondamentale, la frontière parfois délicate entre "pollueurs" et "pollués" comme si c'était la seule façon de couper court aux arrangements de façade.
"Connaître sa place, savoir se montrer, affirmer sa position sociale est une préoccupation constante sous l'Ancien Régime. L'ordre au seoir et au marcher participe de la dignité, voire même de la définition des individus. Les valeurs conditionnent les postures, de même qu'aux postures sont attachées des valeurs. C'est précisément ce qui rend la question si sensible, car le rang dit le statut, mais crée aussi de l'honneur : une place gagnée est une promotion. Autre façon de dire son rang, les préséances, comme les appellations, qualifient les individus en exprimant leur statut. (…) Intervenant peu ou prou à tous les niveaux de la société d'Ancien Régime, la question est ici abordée à partir de la Cour, prise comme modèle d'un monde qui part et va au roi. (…) Analysé en tant que système, le fonctionnement de l'entourage royal peut ainsi être étendu à toute la société, par les règles qu'il suscite, formalise, impose." Fanny Cosandey, p.169.
Camille-Ernest Labrousse (1895-1988) a été le maître incontesté de l'histoire économique et sociale en France après la seconde guerre mondiale. Labrousse a influencé toute une génération d'historiens ; il fut l'inventeur en France de l'histoire sérielle dont ses ouvrages énoncèrent les règles de la méthode. Le paradoxe pourtant est que ces grandes innovations, rapidement devenues des modèles, ont progressivement été réifiées et simplifiées. L'occasion est donc venue de porter un nouveau regard sur son œuvre et les lectures qui en ont été faites. L'analyse se situe à la frontière entre la réflexion historiographique et l'histoire économique.
Les sociétés de l'Europe et de l'Amérique partagent une histoire juridique partiellement commune. La place du droit dans le procès de politisation de ces espaces suscite l'intérêt des historiens et des juristes. Les fondements juridiques de l'institution royale ; la place de la justice formelle et de l'arbitrage dans la gestion des conflits ; la construction par le droit savant du domaine de la coutume ; la traduction institutionnelle des procédures de classification des hommes et des communautés ; le lent travail politique qui finit par affirmer le caractère central de la loi : tels sont les thèmes essentiels abordés par les auteurs à partir de terrains d'enquêtes distincts et d'expériences scientifiques conjointes. La richesse de la recherche résulte d'une tradition intellectuelle qui favorise ici plus qu'ailleurs les échanges entre historiens et juristes.
Qu'est-ce qu'un récit ? Quelle est son organisation interne ? Quels sont les liens entre ce qui est raconté — l'histoire — et la manière dont cela est raconté — la narration ? Ces questions, et d'autres encore sont, au centre de l'analyse formelle du récit, et notamment de ses développements contemporains connus sous la dénomination de "narratologie". L'ouvrage collectif, par le biais d'un regard à la fois soutenu et varié de la métalepse, montre que loin d'être dépassée ou de n'être plus qu'un outil mécanique d'analyse, la narratologie ne cesse de se complexifier, de se diversifier. Aujourd'hui, elle privilégie une démarche transdisciplinaire ainsi qu'une réflexion qui confronte le récit à d'autres phénomènes artistiques. Au-delà d'une classification formelle des différents types de métalepse, ces contributions identifient les principales voies d'imbrication de ce procédé, avec ses conséquences multiples, au sein de la représentation. Toutes se consacrent de manière plus ou moins prononcée et sous différents angles — littérature, cinéma, peinture… — aux problèmes de la figure ou de la réflexivité, de la communication ou de la représentation.
Histoire de la piété copte et musulmane, 15e-20e siècles
Plus qu'une simple visite d'Égypte pèlerine à la tombe d'un saint musulman ou copte, un mouled est aussi foire, fête patronale, animation festive. Là s'exprime pleinement l'islam égyptien, là s'épanouit le culte des saints coptes, là s'observent les mille et une transformations de la religion populaire face à la modernité. Les mouled ne sont pas un phénomène périphérique ou marginal. Du 14e siècle jusqu'à aujourd'hui, ils ont rythmé l'histoire sociale et religieuse du pays, ils en ont animé les villages et les villes. Encore aujourd'hui, c'est souvent par centaines de milliers que les Égyptiens coptes et musulmans fêtent le mouled, noyau constitutif de leur culture populaire. L'ouvrage laissent apparaître toutes les ambiguïtés de la religion populaire. La démarche de l'auteure qui consiste à éclairer chaque confession par l'autre, autour d'un objet commun, le mouled, révèle une culture sociale commune et une façon similaire d'exprimer le sentiment religieux. Mais la comparaison fait également ressortir des différences irréductibles. Les mouled égyptiens sont des moments autonomes, des moments pleins de l'expérience humaine, qui reflètent l'histoire du pays dans sa complexité : régions et paysages, gens et bêtes, commerce et cultures, mets et jeux, villes et campagnes, traditions et innovations.
L'archaïsme de la banque d'Amsterdam est une idée reçue. Elle n'émit certes pas de billets et ne joua pas le rôle de prêteur ultime dans le système des paiements propres aux Provinces-Unies des 17e et 18e siècles. Elle inventa cependant des instruments financiers qui contribuèrent à l'accumulation des capitaux dont se nourrit ensuite la révolution industrielle en Europe. De même que les grands marchands du pays avaient créé des entrepôts qui servirent à redistribuer les marchandises à travers tout le continent, la municipalité d'Amsterdam avait institué en 1609 une banque qui généra bientôt une sorte de monnaie d'entrepôt alors même que cet objectif n'était pas programmé au départ. Autour de la banque d'Amsterdam se structura une communauté pour les paiements internationaux dont la référence comptable – le florin banco – ne dépendait pas strictement des règles de monnayage établies par les autorités de La Haye pour les paiements intérieurs aux Provinces-Unies. Deux unités de compte distinctes coexistèrent ainsi pendant deux siècles sur un même espace de souveraineté, en contradiction avec tous les principes établissant la viabilité d'une économie monétaire. La bourse cotait chaque jour la valeur réciproque de ces deux florins dans le même temps où s'évaluaient les taux de change du florin de banque avec les monnaies étrangères. Ce dispositif permit de soustraire partiellement le pays aux vicissitudes de la conjoncture internationale, en dépit même du rôle considérable que ses marchands y prenaient. Deux siècles plus tard, le célèbre acte bancaire divisant la banque d'Angleterre en deux départements n'aura pas d'autre finalité ; et pas davantage ensuite la création de l'actuelle Banque centrale européenne. De sorte qu'il convient de réexaminer sérieusement cette expérience hollandaise.
Guérison, religion et politique en Chine, 1949-1999
Dérivé des pratiques chinoises traditionnelles d'entraînement corporel et mental, le qigong ou "travail du souffle" a suscité un engouement de masse en Chine dans les décennies 1980 et 1990, jusqu'à la répression du falungong, secte issue du mouvement, en 1999. Comment une pratique d'abord reconnue et encouragée par les chefs du parti communiste chinois comme méthode de guérison et comme nouvelle révolution scientifique a-t-elle pu devenir le foyer d'une explosion religieuse de masse, puis déclencher une confrontation politique ? Telle est la question suivie dans l'ouvrage.
Entre économie marchande et capitalisme industriel, 1800-1850
Pendant une bonne partie du 20e siècle, on a soutenu que la révolution industrielle avait été commandée par des facteurs techniques. Le renouvellement historiographique actuel, en particulier aux États-Unis, met l'accent sur les évolutions sociales liées à l'intensification de pratiques marchandes antérieures. L'étude de cas menée ici sur le Nord-Est des États-Unis au début du 19e siècle permet de mieux analyser les mécanismes de ce phénomène, désormais compris comme une rupture avec un modèle social préindustriel particulier.
Une sociologie pragmatique de l'alerte et du risque
Parmi les actes ouvertement tournés vers autrui, le cri d'alarme occupe une place privilégiée. En s'intéressant aux procédés par lesquels des "lanceurs d'alerte" s'efforcent de faire reconnaître un danger, l'ouvrage interroge nos catégories de l'action et de la décision. En effet, l'alerte prend forme sur fond de vigilance et de participation au cours des choses. Elle naît de l'attention aux signes précurseurs et convoque des expériences marquantes, des précédents, qu'elle relie à un avenir proche ou lointain, en faisant de l'acte présent une épreuve de réversibilité, une source possible de prise sur le futur. Trois dossiers, développés ici de manière détaillée, illustrent cette problématique de l'alerte : le dossier de l'amiante, marqué par une "période muette" de près de quinze ans, cruellement exemplaire d'une perte de prise collective, celui de la radioactivité qui n'a pas fini de défrayer la chronique avec la gestion des déchets nucléaires, et, enfin, celui des maladies à prions dont le rebondissement spectaculaire, avec la "crise de la vache folle", témoigne de l'invention de nouvelles formes de vigilance face aux risques d'un monde en réseaux.