Les quatre puruṣārtha ou " buts de l'homme " canoniques pourraient être rangés sur une échelle dont le dharma occupe, bien souvent, l'étage le plus élevé ; les notions de profit (artha), d'éros (kāma) et de délivrance (mokṣa) sont alors comme résorbées dans ce dharma ultime, par-delà de toute hiérarchie. Pourtant, le caractère normatif du dharma se décline selon les dispositions et les actes individuels de l'homme qui l'incarne et qui en est la véritable mesure.Cet ouvrage aborde le concept de dharma par une mise en perspective selon les époques et les domaines, et permet d'en mettre en lumière les différents " visages " : non pas tel ou tel aspects du dharma, mais à chaque fois ce " tout " du système qui tire sa force d'une longue histoire et en même temps d'une capacité à se transformer, et à composer avec des situations ambigües voire contradictoires. Les articles réunis dans ce volume présentent quelques visages du dharma ainsi recomposés, considérés dans différents domaines de la culture indienne, de la poésie védique à la grammaire, des épopées au théâtre, de l'arthaśāstra aux traditions (religieuses et philosophiques) sectaires - les premières écoles bouddhiques, la Mīmāṃsā, le tantrisme, le yoga -, et jusqu'à la jurisprudence indienne au XIXe siècle, avec deux éclairages inédits sur le dharma des femmes.
À partir de cas situés en Inde et dans la diaspora, les études ici réunies tentent de comprendre comment se vivent, se formulent et se contestent les différences communautaires entre les hindous. Et comment ces différences définissent des frontières identitaires au cœur des pratiques individuelles et collectives, permettant parfois à ceux qui s'en saisissent de les franchir.
La royauté hindoue a été abondamment étudiée, notamment la relation entre rois et brahmanes (Jan Heesterman) ou, dans une perspective plus large, entre le pouvoir politique et les institutions et valeurs socioreligieuses (Louis Dumont).Cet ouvrage rappelle que le développement des études régionales a déplacé le débat vers la nature de l'État dans l'Inde ancienne. Plusieurs modèles ont été proposés: féodalisme, État bureaucratique, État segmentaire et souveraineté rituelle, État intégratif selon un modèle processuel, formation impériale. De plus, des recherches anthropologiques et ethno-historiques ont souligné le rôle central de la royauté dans la société indienne. Plus récemment, Daud Ali a ouvert une nouvelle voie de recherche, avec le concept de " société de cour " de Norbert Elias en Inde tout en reconnaissant les contributions de Michel Foucault à propos de l'appareil d'État.Celles-ci ont aidé à placer la recherche sur la royauté indienne dans la continuité de processus historiques plus vastes, sociaux, économiques et religieux.
Les médias indiens qualifient ainsi les hôpitaux de " honte nationale ". En sciences sociales, les chercheurs ont particulièrement étudié ces dysfonctionnements: violence à l'égard des aidants, corruption, négligence médicale, pratiques discriminatoires. Ce recueil rend compte des formes de tension établies entre les patients défavorisés et les auxiliaires, infirmières et médecins des hôpitaux publics confrontés à des coupes budgétaires, à des situations de pénurie de personnel et de matériel.Partant d'une réflexion sur le fardeau bureaucratique des institutions hospitalières, sur les cultures professionnelles locales ou sur les inégalités sociales structurelles, ces chercheurs révèlent les formes de frustrations éprouvées par soignants et patients. Ils mettent ainsi en lumière un paradoxe: des institutions publiques censées garantir la santé de tous reproduisent des clivages sociaux. À l'inverse, des initiatives visant à mettre en place des politiques gratuites en matière de soins de santé et d'amélioration des hôpitaux sont menées en arrière-plan. Se concentrer sur les politiques de santé ou sur le système de valeurs mobilisé par les aidants permet de se rendre compte que le souci du bien-être des patients persiste malgré les difficultés évoquées.
Chaque contribution y étudie cette même problématique articulant lieux saints, territoires et circulations religieuses selon différentes perspectives d'analyse (surtout anthropologique et géographique, mais aussi historique et architecturale) et à différentes échelles spatiales, du local (un village, une portion d'espace urbain) au transnational (l'Inde et sa diaspora, le Pakistan et la communauté sindhi en Inde).Le numéro s'organise autour de quatre axes d'analyse:– l'ancrage du religieux par les lieux (cas d'études en Inde et à l'île Maurice)– le rapport aux circulations (ex.: formes de circulation rituelle dans le contexte d'un centre de pélerinage soufi)– l'analyse des dispositifs, matériels, rituels et symboliques de mise en scène du territoire dans le champ religieux et politique– la question du franchissement des limites (ex.: la perméabilité des frontières séparant par exemple islam et hindouisme).
Le cosmopolitisme est-il un enfant de la modernité occidentale ou peut-on le trouver en d'autres temps et d'autres lieux? Cet ouvrage entend apporter une réponse à cette question aujourd'hui vivement débattue en retraçant ses contours en tant que pratique et Weltanschauung dans une région du monde – l'Asie du Sud – pôle majeur de l'espace de circulation de l'Asie musulmane et noeud des fl ux humains, matériels et immatériels reliant l'Occident à l'Orient au cours des XVIe-XVIIIe siècles.Terre d'accueil pour de nombreuses élites en quête de patronage, port d'ancrage pour d'autres ou encore simple étape au sein de parcours transocéaniques guidés par l'appétit de richesses ou de savoirs, l'Asie du Sud de la première modernité est un terreau particulièrement fertile pour la construction d'identités et de visions cosmopolites, tant au niveau individuel qu'à celui de la polis.Aussi hétérogène comme idée que comme habitus, le cosmopolitisme est abordé ici sous un angle résolument pluriel favorisant la multiplication des approches (acteurs, langues, lieux, activités à " vocation " cosmopolite) et le croisement de ses diff érentes manifestations – moghole, marathe, européennes, etc. – afi n d'en faire mieux ressortir les constantes, variantes, limites et interactions.Dans cette optique, les études réunies au fi l de ce numéro illustrent bel et bience que le " citoyen du monde " des Lumières doit aux " Indes orientales ".
On l'appelle l'île-écriture. Carrefour de l'Afrique, de l'Europe et de l'Asie, l'île Maurice, de par sa situation géographique et son passé colonial, n'est pas sans points communs avec les Antilles et le monde caribéen, mais s'en démarque par une dynamique distincte entre indianité et créolité.L'objet de ce volume est de creuser son mystère en abordant ses rives par la géographie, l'ethnologie, l'histoire, l'économie et la littérature, à travers le regard conjugué d'indianistes et de spécialistes de l'aire indianocéanique. Se situant hors de l'Inde et de l'Asie du Sud, cet ouvrage explore la façon dont l'indianité s'adapte dans ce contexte insulaire. L'hindouisme créole mauricien, par exemple, est un modèle inédit. Une littérature indo-francophone novatrice et foisonnante s'y épanouit.Tissés par l'histoire maritime du commerce et de l'engagisme, les liens économiques avec l'Inde se voient concurrencés par un autre acteur qu'est la Chine. L'adoption d'un multiculturalisme inspiré du modèle indien de l'" unité dans la diversité " se fait parfois au détriment des minorités. Sans nier les tensions inhérentes à une société portée à l'extrême ethnicisation des critères qu'elle retient, ce volume donne à voir, dans le mêlement de ces deux mondes, une posture cosmopolite originale, qui renouvelle la perception de l'indianité.
Dans le contexte de l'expansion coloniale et de la concurrence commerciale mondiale entre les puissances européennes, la question de savoir exactement quelles sont les modalités dont les divers acteurs des Lumières usaient tant pour le renforcement et la privation des droits que pour les effets cumulés de multiples efforts, au cours d'une trajectoire amorcée avec les "Grandes découvertes" et achevée avec les Empires, reste peu explorée. Comment le passé et le présent de l'Asie du Sud ont inspiré les savants européens pour théoriser à propos de la nature de l'État, de la société et de la connaissance ? Quels rôles les nouveaux forums – académies, salons, la circulation des livres et des lettres à la fois officiellement sanctionnés et condamnés jouent-ils en offrant un espace public pour le dialogue qui a propulsé le discours européen sur l'Asie du Sud ? Le rôle de l'Asie du Sud en tant que topographie cartographiée par l'Europe dans une tentative de se connaître elle-même est explorée en revisitant les archives, en faisant revivre les itinéraires de ses divers acteurs (missionnaires, commerçants, voyageurs, philosophes), et en entrelaçant les chronologies, les géographies et les pratiques de fabrication du savoir de la période. Ce volume rend hommage à Sylvia Murr et élargit son champ d'investigation. Une attention particulière est portée à la production, à la circulation et à la dissémination de savoirs utiles sur l'Inde, dont certains sont textuels, mais peuvent aussi être contenus dans des images et des objets.
Ce numéro de " Purushartha " s'attache à comparer les relations qu'entretiennent politique et religion(s) en Asie du Sud . Le sujet, tel qu' il est abordé, revêt un intérêt particulier pour trois raisons principales. Premièrement, il traite d'une région où le processus de sécularisation n'a pas eu la même ampleur qu'en Occident.Deuxièmement, la zone abrite toutes les grandes religions du monde et permet donc de tester la part des variations revenant à la culture. L'islam domine dans trois pays (Pakistan, Bangladesh et Afghanistan), l'hindouisme dans deux autres (Inde et Népal) tandis que le bouddhisme joue un rôle prépondérant à Sri Lanka et important au Népal et en Inde. Quant à la minorité chrétienne, elle est présente presque partout.Enfin, la diversité des trajectoires suivies par les régimes sud-asiatiques dans leur rapport à la religion offre une large palette à la comparaison.
Selon la théorie brahmanique, la reconnaissance du savoir est d'emblée une affaire socioreligieuse, liée à l'affirmation d'un ordre social hiérarchisé. Pourtant, les savoirs pratiques font partie de toutes les activités humaines et la manière dont ils sont définis, élaborés, transmis, appropriés ou diffusés est une question cruciale pour comprendre la formation et les transformations des sociétés. Les auteurs explorent, de l'intérieur, plusieurs métiers et pratiques de diverses castes. Depuis le théâtre et la danse, pratiques liées à des traditions prestigieuses, aux métiers que les préjugés considèrent comme sans qualification – éleveurs de dromadaires, constructeurs de bateaux, pêcheurs en mer, potières au tour –, en passant par des activités modernes, comme le forage ou le cinéma, ces articles nous parlent de savoir faire au cœur de la division du travail, de l'organisation des métiers et de l'évolution personnelle et sociale.
Si le développement économique a intensifié les mouvements et si l'insertion dans la mondialisation a mis en route d'autres circuits, l'Inde est un pays qu'on ne peut taxer de "fixité". Géographes, ethnologues et sociologues étudient les motivations de mobilité en Inde : logiques symboliques et religieuses, logiques économiques des ménages, et ouverture à de nouveaux espaces par les circulations transnationales. Les circulations remettent-elles en cause l'ancrage au territoire, particulièrement fort en Inde, depuis l'attachement au village jusqu'à la glorification des frontières nationales ? Non seulement cet ouvrage réfute l'idée fausse d'un pays découvrant les flux de population, mais il montre que loin d'affaiblir la notion de territorialité il la renforce. L'Inde des réseaux n'a rien d'incompatible avec l'Inde des territoires, bien au contraire.