De notre rapport contradictoire aux migrations forcées et aux personnes déplacées
On ne peut pas simplement supprimer les droits fondamentaux pour les uns et continuer à les appliquer pour les autres. Comme l'a si bien dit Maya Angelou, écrivaine américaine et icône du mouvement des droits civiques, ils sont comme l'air: soit tout le monde les a – soit personne ".La fuite est une contradiction: on veut rester, mais on doit partir. La fuite est traumatisante: on cherche la sécurité, mais on doit pour cela mettre sa vie en danger. Et la fuite (vers l'Europe) est paradoxale: il faut enfreindre le droit, à savoir franchir " illégalement " les frontières, pour obtenir le droit d'asile. Ce n'est que pour devoir à nouveau faire face, dans le pays d'accueil, à des exigences contradictoires et à des attributions d'intégration irréalisables.Judith Kohlenberger, spécialiste des migrations, livre une analyse détaillée de notre traitement des expulsions et des personnes déplacées, retrace les évolutions historiques et récentes – et pas seulement depuis la guerre en Ukraine – dans une perspective juridique, sociale et individuelle, et montre comment nous pouvons parvenir à une politique d'asile et d'intégration humaine si nous assumons notre responsabilité morale et si nous faisons confiance à la force de nos institutions, de notre État de droit et de notre société civile.
Points de fuite de l'Holocauste et du colonialisme
Prenant comme point de départ la polémique autour de l'historien camerounais Achille Mbembe en Allemagne en 2020, Natan Sznaider met en perspective, sous l'angle de la sociologie de la connaissance, deux récits moraux qui semblent s'exclure mutuellement. Quel événement, de l'Holocauste ou du colonialisme, constitue l'archétype des plus grands crimes de l'histoire de l'humanité ? Les mémoires européenne et non européenne semblent irréconciliables sur ce point, chaque partie revendiquant de tirer les leçons d'une histoire cruelle, et donc de se trouver du bon côté de l'Histoire. Le débat ne peut-il donc qu'être unilatéral ?En revenant sur les penseurs qui ont marqué la réflexion sur cette question jusqu'à aujourd'hui, comme Claude Lanzmann, Frantz Fanon, Hannah Arendt et Edward Said, l'auteur entreprend de faire émerger la possibilité d'une troisième voie, au-delà de la dichotomie entre l'universalisme et le particularisme. Une voie où universaliser n'est pas relativiser les expériences particulières
Andreas Reckwitz et Hartmut Rosa, deux sociologues majeurs, proposent une étude approfondie sur la crise actuelle de la société moderne tardive et sur le rôle crucial que peut jouer la théorie sociale dans la compréhension et la résolution des défis contemporains. L'ouvrage, où chaque auteur développe ses propres analyses et qui se conclut par un entretien croisé permettant de confronter leurs positions, souligne l'importance de la réflexion théorique pour redéfinir les objectifs culturels et sociaux, afin de bâtir une société plus durable et plus équilibrée.Andreas Reckwitz se concentre sur les transformations sociales et culturelles qui ont mené à une société de plus en plus fragmentée et incertaine. Il décrit comment le passage d'une société industrielle à une société de la connaissance a intensifié les inégalités sociales et la polarisation. Le phénomène de singularisation, où les individus cherchent à se distinguer, conduit à une compétition accrue et à un sentiment de surcharge. Ces dynamiques créent un climat d'incertitude et d'anxiété, déstabilisant les structures sociales.Hartmut Rosa développe sa théorie de l'accélération sociale. Il soutient que la recherche incessante d'efficacité, d'innovation et de croissance entraîne une accélération des rythmes de vie, engendrant une forme profonde d'aliénation. Les individus ressentent de plus en plus une perte de contrôle sur leur existence. Rosa montre comment ces processus affectent non seulement le bien-être personnel, mais aussi la cohésion sociale et les fondements démocratiques.
L'indignation mondiale suscitée par les caricatures de Mahomet et l'attentat terroriste contre Charlie Hebdo en 2015 l'ont clairement montré : le blasphème n'est pas une relique de l'Inquisition, il est plus actuel aujourd'hui qu'il y a cent ans. Celui qui rabaisse ce qui est sacré pour les autres doit s'attendre à des réactions violentes, et celui qui se défend contre les discours blasphématoires peut mobiliser de nombreux censeurs.Gerd Schwerhoff propose ici une grande histoire du blasphème de l'Antiquité à nos jours, en passant par le Moyen Âge et les Lumières. Il explique pourquoi, depuis plus de deux mille ans, les hommes insultent Dieu, les prophètes ou les saints, et pour quelles raisons ces paroles et ces actes déchaînent les passions. Il nous donne à voir les figures changeantes du blasphème au fil des époques, depuis les paysans qui jurent au Moyen Âge et les réformateurs condamnés à mort pour avoir insulté des statues religieuses jusqu'aux tensions actuelles autour de la laïcité, en passant par le combat de Voltaire contre le délit de blasphème ou encore la Femen Josephine Witt accusée de blesser les sentiments religieux en montant sur l'autel de la cathédrale de Cologne.L'historien montre que ceux " d'en haut " sont presque toujours vilipendés par ceux " d'en bas ", poussés par l'impuissance et la colère contre les dirigeants, contre un Dieu apparemment indifférent ou contre d'autres religions. Et l'on peut ainsi voir les récentes affaires de blasphème d'un autre œil : la frontière entre la moquerie et l'insulte s'efface, l'outrage s'inscrit dans un conflit plus large, et peut entraîner une violence extrême.
Prisonniers de guerre français et femmes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, 1,3 millions de prisonniers français se retrouvent sur le territoire du Reich. Gwendoline Cicottini aborde l'histoire peu connue des " relations interdites " entre ces prisonniers de guerre français et des civiles allemandes. Dès 1939, de tels contacts sont proscrits par le décret du Verbotener Umgang mit Kriegsgefangenen, pour des raisons de sécurité militaire et au nom de l'idéologie raciale nationale-socialiste. Cet ouvrage montre l'écart entre la norme et les pratiques individuelles, reflétant la difficulté de contrôler la population civile en période de conflit. Grâce à un corpus conséquent de dossiers judiciaires, mais aussi des entretiens qui redonnent la parole aux acteurs de cette histoire passée sous silence, l'historienne retrace ces relations, depuis les conditions de la rencontre amoureuse jusqu'au devenir des " enfants de la guerre ".Au croisement de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, de la micro-histoire, du genre et du droit, son étude permet de mieux comprendre le fonctionnement de l'appareil judiciaire nazi et la situation des captifs français, mais aussi le quotidien d'une société civile en guerre marquée par de profondes mutations, le rôle de la sexualité et la fonction dévolue au corps des femmes. Elle contribue à aborder la guerre autrement, par le biais d'une histoire de l'intime, du sentiment et de la sexualité, et montre que ces relations interdites ont contribué à l'écriture d'une autre histoire des rapports franco-allemands qui contourne la volonté de l'État de contrôler les relations sociales et les corps de ses sujets.
Quand la culture jeune dépasse les frontières (années 1950-1960)
Dans les années 1950 et 1960, la culture jeune connaît un véritable bouleversement qui ébranle et scandalise la société. De nouveaux codes et pratiques de musique ou de mode ainsi que de nouveaux comportements voient le jour, déclenchant des débats houleux sur la prétendue délinquance juvénile. La culture pop naissante est interprétée comme une dégradation des mœurs et de la morale, et il convient donc de discipliner cette jeunesse " déviante " par la censure, les interdictions et les sanctions. Parallèlement, des modes de dévalorisation racistes, genrés ou reposant sur des préjugés sociaux imprègnent profondément l'opposition à ce changement culturel.Bodo Mrozek retrace l'évolution esthétique de 1956 à 1966 et son influence durable sur la culture moderne des jeunes et la culture populaire. Il s'intéresse aux acteurs, aux pratiques et surtout à la réception de cette nouvelle culture pop et aux discours qu'elle a suscités, en s'appuyant sur une large bibliographie et un travail impressionnant de recherche dans un grand nombre d'archives, notamment policières et judiciaires, mais aussi sur des références musicales ou cinématographiques, des photographies et des coupures de presse. Dans une perspective transnationale, il étudie plus particulièrement la France, les deux Allemagnes, le Royaume-Uni et les États-Unis, et révèle les bouleversements politiques ainsi que les interdépendances culturelles. Son analyse met en évidence les continuités dans les débats sur la violence des jeunes, sur les comportements déviants et la morale publique, sur la rupture des tabous musicaux et culturels.
Politique, économie et culture dans la modernité tardive
Il y a quelques années encore, le progrès social était tenu pour acquis dans l'opinion publique occidentale. Le triomphe mondial de la démocratie et de l'économie de marché semblait inéluctable; partout, la libéralisation et l'émancipation, la société du savoir et la diversité des modes de vie semblaient s'imposer. Des évènements récents comme le Brexit ou l'élection de Donald Trump nous ont douloureusement montré qu'il ne s'agissait que d'illusions. C'est seulement maintenant que l'on mesure l'ampleur du changement structurel qu'a connu la société. La modernité industrielle a cédé la place à une modernité tardive marquée par de nouvelles polarisations et de nouveaux paradoxes, et où progrès et malaise se côtoient de près.Dans une série d'essais, Andreas Reckwitz analyse cette transformation dans la culture, la politique, l'économie, le monde du travail ou encore l'éducation en s'appuyant sur de nombreuses études de sciences sociales. Il déploie ainsi une théorie inédite et lucide de la modernité qui s'inscrit dans le prolongement de son précédent ouvrage La société des singularités traduit en 2021, et qui révèle les principaux paradigmes du monde contemporain: la nouvelle société de classes, les caractéristiques d'une économie postindustrielle, le conflit autour de la culture et l'identité, l'épuisement qu'entraîne l'impératif de la réalisation de soi et la crise du libéralisme.
La mondialisation est souvent associée à l'effacement des frontières entre les États et à la liberté de circuler. En étudiant les évolutions récentes des frontières, Steffen Mau montre que loin de disparaître, elles se sont transformées au XXIe siècle en machines de tri.Avec l'aide de la numérisation et des nouvelles technologies de contrôle, elles se muent en smart borders, chargées de distinguer les voyageurs souhaités de ceux qui sont jugés indésirables. Ainsi, seuls quelques privilégiés bénéficient d'une liberté de circulation mondiale, tandis que pour le reste de la population, les frontières restent fermées.En s'appuyant sur des exemples précis, le sociologue analyse ici les formes, les fonctions et les symboliques de ces nouvelles frontières. À rebours de l'image répandue d'un monde contemporain entièrement ouvert, il met en évidence la façon dont elles établissent des inégalités face à la mobilité.Cet ouvrage propose une approche critique, rigoureuse et inédite du rôle des frontières dans le monde d'aujourd'hui. Steffen Mau y déploie sa réflexion dans une langue claire et accessible, et invite les lecteurs à se pencher sur les frontières modernes en remettant en question certains à priori.
Helmuth Plessner (1892-1985). Une biographie intellectuelle
Pour l'histoire intellectuelle Helmuth Plessner est une des personnalités les plus intéressantes du xxe siècle. Co-fondateur de l'anthropologie philosophique, sa carrière fut brisée par les nazis qui le révoquèrent dès 1933 sous le prétexte qu'il était " demi-juif ". Il enseigna jusqu'en 1943 à Groningue où il fut une deuxième fois interdit d'enseignement par l'occupant allemand. Après la guerre il accepta en 1951 une chaire à Göttingen, où il commença une seconde carrière qui le fit connaître comme sociologue.Sa pensée rencontre un écho de plus en plus grand dans les sciences sociales et les Cultural studies.L'ouvrage intitulé en allemand " Nachgeholtes Leben " (Vie rattrapée) est un travail d'historien: il repose sur l'exploitation de toutes les archives accessibles (pas moins d'une vingtaine) et contribue, à travers la biographie de Plessner, à l'histoire intellectuelle de l'Allemagne, de la république de Weimar à la république de Bonn.Cet ouvrage a été récompensé par le prix Hedwig-Hintze de l'Union des Historiens Allemands, il en est déjà à son deuxième tirage en allemand et a été traduit en néerlandais.
Les luttes pour la représentation des intérêts à l'Assemblée nationale et au Bundestag
Suspendu depuis de nombreuses années en Allemagne, l'impôt sur la fortune a été supprimé et remplacé par un impôt sur la fortune immobilière au début du mandat d'Emmanuel Macron. Comment un impôt réputé difficile, voire impossible à supprimer a-t-il fini par disparaitre? Afin de répondre à cette question, ce livre se concentre sur les batailles autour de l'ISF et les modalités du travail de représentation à l'Assemblée nationale et au Bundestag, jusqu'en 2017. S'appuyant sur des approches empiriques complémentaires, cette enquête entend expliquer comment les députés des deux pays représentent les puissants, les groupes dominants.Le livre montre que les débats en matière d'impôt sur la fortune se caractérisent par la place centrale prise par les mondes de l'entreprise, faisant émerger le constat d'une forme d'inégalité d'accès à la parole parlementaire entre les groupes sociaux cités au sein des deux Assemblées. Ce livre propose d'entrer dans les coulisses du travail parlementaire en étudiant la manière dont des élus cherchent jusqu'en 2017 à affaiblir un impôt sans le supprimer en France et à lutter pour (ou contre) sa réintroduction en Allemagne. La comparaison permet alors de dresser le constat d'une convergence en matière de fragilisation de la fiscalité du capital, à une époque où les inégalités de patrimoine atteignent pourtant des niveaux très élevés.
Le débat modernité/post-modernité qui a fait rage dans les années 1990 a été rapidement dépassé par le débat sur la mondialisation. Le lien intime entre ces deux paradigmes de la pensée politique n'a pas été encore complètement établi, la " globalisation " libérale constituant une sorte d'horizon indépassable de la conscience politique contemporaine. Il reste à analyser comment la mutation des années 1990 et 2000 a transformé l'essence du politique, c'est-à-dire la nature des rapports de pouvoir. C'est ce que fait Kondylis dans une série d'essais denses écrits sous le feu de l'actualité, dont la réunion en livre fait apparaitre la profondeur.
Walter Benjamin est resté célèbre grâce à ses travaux en tant que philosophe, historien de l'art ou encore critique littéraire. Cet ouvrage présente un aspect méconnu de ses activités : entre 1927 et 1933, Benjamin a enregistré une centaine d'interventions au microphone sur les antennes de Berlin et Francfort et s'est efforcé de dépasser les formes journalistiques de pur divertissement. À travers ses chroniques littéraires ou ses contes radiophoniques pour enfants, le philosophe berlinois a souhaité repenser le matériau sonore diffusé sur les ondes.Ce livre original propose d'aller à la rencontre de Walter Benjamin par le prisme de sa voix. Les recherches de Philippe Baudouin à l'origine du présent ouvrage tendent à faire entendre l'écho du philosophe, en proposant de redécouvrir l'intérêt à la fois théorique et pratique dont il témoigna pour la radio. L'ouvrage comprend également des annexes sonores, avec d'une part les deux seuls témoignages sonores du philosophe connus à ce jour, extraits de la pièce radiophonique pour enfants Chahut autour de Kasperl, diffusée à la radio de Cologne le 9 septembre 1932, et d'autre part une interview de Stéphane Hessel réalisée par Philippe Baudouin pour France Culture, dans laquelle ce premier témoigne reconnaître la voix de Benjamin dans le personnage de Kasperl.Ce livre est une réédition augmentée du livre de Philippe Baudouin paru en 2009 aux Éditions de la Maison des sciences de l'homme. Il a reçu le prix Inathèque décerné par l'Institut national de l'audioviosuel.