Pourquoi mener aujourd'hui une réflexion sur le global et les sciences sociales, alors que tant de travaux y ont été consacrés dans les vingt dernières années? Les autrices et les auteurs de cet ouvrage partent de l'hypothèse que le succès croissant de l'épithète " global " renvoie à une série de questions qu'il serait intéressant d'expliciter et de discuter. Même si la catégorie du " global " a souvent pris un caractère d'évidence, il paraît légitime de s'interroger collectivement sur ce qu'elle permet de penser ou non.L'objectif de ce volume n'est donc pas de proposer une définition de plus des études globales dont aucune n'est satisfaisante, ni de les concevoir comme un domaine de recherche établi, ou une méthode assurée. Il vise à mieux saisir ce que sont, ce que pourraient être pour les sciences sociales les effets et les enjeux des appropriations d'une notion qui est tout à la fois spatiale (par rapport à d'autre échelles d'analyse) et conceptuelle (dans son rapport avec d'autres termes: universalité, généralité). Que gagne-t-on à la mobiliser? Quel éclairage particulier apporte-t-elle, quelles opérations rend-elle possibles?Au plus près des pratiques des sciences sociales et de leurs rapports différents aux terrains, les textes qui composent ce volume proposent autant de réflexions situées qui visent à approfondir les questions de nature méthodologique ou empirique soulevées par les approches globales.
La présence de frontières séparant les classes, les groupes ethniques, les milieux ou les mondes sociaux fait aujourd'hui débat dans l'espace public, que l'on insiste sur le durcissement de ces frontières (séparatisme, ségrégation, apartheid) ou sur les individus qui les transgressent, comme le montre la figure du transfuge de classe. L'enjeu de cet ouvrage est de déplacer le questionnement, en s'interrogeant sur la nature de ces frontières, sur la façon dont elles sont érigées, sur les processus de leur reconnaissance et de leur transmission, sur leur imperméabilité supposée ou à l'inverse sur leur porosité. Dans cet esprit, les contributions explorent les processus dynamiques qui conduisent à l'édification de frontières, à leurs consolidations ou à leurs transformations. Si les classes et les milieux semblent mener une vie séparée, ces catégories ne deviennent réalité qu'en étant implémentées par les acteurs et expérimentées par eux.
Ce volume délimite les périmètres qu'épousent les formes spectaculaires en explorant les frontières de ce qui fait spectacle. D'où l'attention portée aux situations et dispositifs borderline qui ne rentrent pas strictement dans les définitions ordinaires de cette forme - les foires commerciales, les interactions urbaines ordinaires, la messe télévisée, l'opéra hors les murs - ou aux opérations conduisant à renouveler ou à déplacer la forme spectacle - la prédation, les iconoclasties médiatiques.Est également interrogée dans ce volume la parenté des formes spectaculaires contemporaines avec les rituels républicains, avec les dispositifs anciens que nous reconnaissons aujourd'hui, de manière téléologique, comme spectacles. Articulé en trois parties, La forme spectacle explore, grâce à la contribution d'anthropologues, d'historiens et de sociologues, les régimes de spectacle en leurs diversités tout en questionnant leurs fondements, puis met en lumières leurs formes critiques pour proposer ensuite une anthropologie des dispositifs spectaculaires numériques.
Les dernières décennies, marquées par la multiplication des échanges et des débats historiographiques bien au-delà des frontières nationales, ont progressivement vu la remise en cause d'un ensemble de convictions scientifiques fortes sur lesquelles les historiens avaient longtemps vécu. La réflexion des historiens s'est d'abord éloignée des certitudes de l'histoire sociale sérielle, et s'est portée, dans le sillage de la microstoria, sur la valeur heuristique du cas et sur les difficultés de la généralisation. Plus récemment, le rôle croissant des histoires et des historiographies non européennes a profondément redessiné l'agenda de la recherche historique. Enfin, l'écriture de l'histoire et ses ressources narratives ont été de nouveau l'objet d'une intense attention. Jacques Revel n'a cessé d'éclairer et d'impulser, tout au long de sa carrière, ces mutations historiographiques. Ce volume rend hommage à l'importance et à l'influence de son travail, en proposant un ensemble de réflexions libres sur les opérations qui font le quotidien du métier d'historien et qui nous deviennent parfois si familières que nous finissons par considérer qu'elles vont de soi. Ni un manifeste ni un héritage, mais une certaine expérience commune de l'écriture de l'histoire.
La connaissance savante s'élabore dans les milieux académiques et revendique des qualités particulières de cohérence et de vérité. La connaissance vulgaire ou ordinaire est produite tant par les médias, les professions, que par le public non spécialisé, en manifestant des propriétés conditionnées par son usage courant. Elles peuvent être comparées sur un certain nombre de critères, en mettant en évidence la frontière souvent floue et perméable qui les sépare. Surtout, la première influence la seconde par un processus de vulgarisation et, plus profondément, par la performativité qu'elle exerce à travers des dispositifs techniques. En sens inverse, la seconde inspire la première par un processus de savantisation qui décante et abstrait ses concepts et mécanismes les plus originaux. Ce processus bouclé, qui ne saurait converger, est illustré par des exemples puisés dans dix sciences sociales.
La spécialisation intellectuelle pour laquelle la théorie " savante " s'oppose aux " savoirs ordinaires " doit-elle nous conduire à penser que les savoirs opératoires sont dénués de toute capacité auto-descriptive ? Est-ce qu'inverser ce cadre d'analyse en moquant les formes rationalistes de la théorie nous apporte plus de clarté ?Les auteurs réunis décrivent les formes élémentaires de la théorie qui ne s'assument pas comme telles en mettant en évidence des régimes théoriques, manifestes pour certains, furtifs pour d'autres – le genre des comédies du remariage du cinéma américain des années 1940 mis en lumière par Stanley Cavell par exemple –, en s'intéressant aux théories et savoirs opératoires que produisent les praticiens, qu'il s'agisse des horlogers du XVIIIe siècle, des musiciens et chefs d'ensembles de la musique ancienne, du music-hall, des fictions télévisuelles contemporaines, ou des pratiques et outils éditoriaux du monde universitaire au XIXe ou XXe siècles.
Rainer Rochlitz, philosophe de l'esthétique internationalement reconnu, est brutalement décédé en 2002 alors qu'il mettait en route de nouveaux projets, notamment sur une réévaluation des relations de la société, du politique et de l'art. Pour lui, l'art moderne devrait être défendu surtout parce qu'il nous a fait être ce que nous sommes.Comment et pourquoi évaluer la place et la force durables des œuvres avant-gardistes indépendamment des discours qui les ont accompagnées au moment de leur création ? Comment les œuvres avant-gardistes peuvent-elles être comprises et comment sont-elles défendues de nos jours, dans un contexte profondément transformé ?Des spécialistes des arts plastiques, de la photographie, de la musique ou de la littérature contribuent au débat inachevable sur l'art, sur le sens et la valeur que peuvent avoir, à la lumière de nos connaissances actuelles, les avant-gardes historiques.
Le thème de la cumulativité touche au coeur même de l'activité et de l'évolution de chacune des sciences sociales. Le savoir ne se présente pas comme un empilement de propositions, mais il est formé d'énoncés qui sont articulés entre eux et qui se renouvellent sans cesse dans leur contenu comme dans leur interprétation. C'est ce mouvement incessant de formation et de révision des croyances savantes que les auteurs essayent d'appréhender. Toutes les disciplines des sciences humaines sont ici conviées.
L'Occident a conçu la distinction de sexe d'une manière très particulière : la femme est l'être qui porte par définition, dans son esprit et dans son corps, la " différence " sexuée et sexuelle ; les sociétés sont composées d'individus de deux sexes. L'observation des sociétés traditionnelles, où les corps masculins et féminins sont fabriqués rituellement, a révélé la dimension relationnelle de l'individu. Admettre qu'il existe une dimension sexuée de la vie sociale permet d'échapper à l'alternative entre étudier " l'individu " (universel mais asexué) ou les " rapports hommes-femmes " (sexués mais séparés).Dans cette perspective novatrice, le genre est considéré comme une modalité des relations, et non un attribut des personnes. Et loin de n'organiser que des relations de sexe opposé, le genre organise simultanément des relations de même sexe, de sexe indifférencié, et même de sexe combiné. Les sciences sociales doivent appréhender les personnes sexuées non pas à partir d'un ensemble de propriétés et d'attributs substantiels, mais à partir des modes d'action et de relation. De là le titre de ce livre. Il veut indiquer que ces deux notions, du genre et de la personne, s'éclairent mutuellement : chacune sort redéfinie de la confrontation à l'autre.En renouant avec une anthropologie comparée et historique, les sociologues, anthropologues, historiens et philosophes réunis invitent à revenir sur ce que nous entendons par un individu, une société, une action, une passion ou encore une relation spécifiquement humaine.
Les versions les plus réductionnistes des sciences cognitives, des neurosciences et des approches évolutionnistes néodarwiniennes soutiennent que tout fait social peut être rapporté à des mécanismes naturels sous-jacents, produits de l'évolution biologique. À l'opposé,les approches ultraconstructivistes du social affirment que les soi-disant "faits de nature" ne sont rien d'autre que des constructions sociales.Entre ces deux courants de pensée antagonistes, la paix est préservée par une sorte d'indifférence intellectuelle mutuelle. L'ambition ici est d'accompagner le mouvement à travers lequel un nombre croissant de chercheurs essaient aujourd'hui, par des voies différentes, de dépasser l'opposition entre constructivisme et naturalisme et d'intégrer dans l'un ce qu'il ignore de l'autre. Pour n'en citer que quelques-unes : la voie socio-empiriste, la sociologie dite pragmatique, le naturalisme culturel, la démarche de P. Descola. De même la relecture des Formes élémentaires de la vie religieuse de Durkheim peut offrir un modèle aux sciences sociales pour relever le défi que leur posent aujourd'hui le naturalisme et l'évolutionnisme des sciences de la vie.
Quelle est la signification des frontières tracées par l'histoire entre les "disciplines" scientifiques ? Quelle est l'utilité de leur classification au sein d'un système unifié ? Sûrement pas les mêmes selon que l'on veut décrire l'identité sociale, l'identité professionnelle ou l'identité épistémologique des savoirs spécialisés qui sont aujourd'hui enseignés dans les universités ou catalogués dans les institutions de recherche. Le tableau d'un "système" des disciplines, qui composait harmonieusement aux 19e et 20e siècles la diversité des pratiques avec l'unité épistémologique de la rationalité scientifique, a été bouleversé dans toutes ses dimensions par les développements internes de l'histoire des sciences comme par la multiplication de leurs fonctions symboliques et économiques. Le débat politique où s'affrontent aujourd'hui des intérêts disciplinaires divergents gagne à être éclairé par un examen, à la fois épistémologique et sociologique, des liens entre "paradigmes", institutions et innovations scientifiques, méthodes de recherche et structures d'objets. Au sommaire : J.-L. Fabiani, "À quoi sert la notion de discipline ?" ; A. Abbott, "Le chaos des disciplines" ; G. Lenclud, "L'anthropologie et sa discipline" ; D. R. Kelley, "Le problème du savoir et le concept de discipline" ; C. Blanckaert, "La discipline en perspective. Le système des sciences à l'heure du spécialisme (XIXe-XXe siècles)" ; A. Laks, "L'émergence d'une discipline. Le cas de la philosophie présocratique" ; M. Werner, "Le moment philologique des sciences historiques allemandes" ; F. Locher, "Configurations disciplinaires et sciences de l'Observatoire. Le cas des approches scientifiques de l'atmosphère (XIXe-XXe siècles)" ; A. Boureau, "De l'enquête au soupçon. La fondation de la discipline théologique à l'université de Paris (1200-1350)" ; E. Sibeud, "Ethnographie, ethnologie et africanisme. La "disciplinarisation" de l'ethnologie française dans le premier tiers du XXe siècle".
Qu'est-ce que penser par cas ? Comment raisonne-t-on à partir de la description de configurations singulières et dans quelle mesure peut-on prétendre généraliser à partir d'elles ? Le problème n'est pas nouveau. Les casuistiques morales, religieuses, juridiques, la démarche clinique associée à la tradition médicale en sont autant d'exemples attestés dans le long terme. De façons diverses, ces formes anciennes illustrent une voie qui diffère à la fois des déductions formellement nécessaires et de l'expérimentation qui procède par réitération des observations dans des conditions contrôlées. Longtemps délaissée, cette réflexion trouve aujourd'hui sa pertinence. Avec l'usure des grands paradigmes naturalistes ou logicistes, le souci d'une interprétation circonstanciée des singularités a étendu ses effets méthodologiques à la plupart des sciences de l'homme, parfois au-delà d'elles. Il impose d'associer la particularisation des énoncés aux changements de contextes sur lesquels doit statuer la pensée par cas. Il rappelle l'implication réciproque entre l'articulation d'une théorie et la stratégie d'une enquête.