Joconde ou Madone ?
La Tête de cire de Lille, énigme de la collection Wicar. Fortune et réception (1834-2021)
En septembre 1835, l'aviso Le Castor jette l'ancre en rade de Toulon, chargé de dessins et de sculptures de la Renaissance à destination de Lille, légués à la Société des Sciences de cette ville par J.-B. Wicar, élève de David (1762-1834). Découverte dans ce trésor, une tête de femme en cire, réputée " du temps de Raphaël ", devient, à partir de 1865, l'œuvre majeure du musée de Lille. Au creux d'une niche dorée, elle enthousiasme, séduit et intrigue. Est-elle le moulage d'une morte de l'Antiquité, retrouvée à la Renaissance? Sa beauté idéale n'en fait-elle pas plutôt la Joconde de Lille, œuvre de Léonard? Convaincu, Dumas fils en commande une réplique à Henry Cros en 1869. Malgré de moins prestigieuses attributions, sa renommée croît et culmine en 1918: l'héroïque " Belle Jeune Fille de Lille ", soustraite à la convoitise de l'occupant, devient alors un emblème. Mais une gêne s'installe: a-t-on vénéré une œuvre obscure du XVIIe siècle, ou pire, un faux?Le présent ouvrage ne se prend pas au jeu du connoisseurship. Il montre plutôt qu'à ériger cette sculpture en chef-d'œuvre, on court le risque de négliger son statut et sa fonction. Essai épistémologique, il analyse l'attitude des historiens de l'art et du public à son l'égard, à travers l'historiographie, les poèmes, les romans, les photographies, les estampes et des fac-similés. Il montre que ce " grand Tout en un petit volume ", selon Dumas fils, en cristallisant les attentes en matière de beauté idéale, est devenu le visage même d'un désir, refoulé après 1945. Il analyse un phénomène d'histoire de l'art et de société, une adoration muée en soupçon et en indifférence. L'œuvre en elle-même est pourtant innocente du transfert que nous opérons sur elle.
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