La plus ancienne photographie connue conservée au monde est Le point de vue du Gras de Nicéphore Niépce, redécouverte en Grande-Bretagne en 1952 par un couple de collectionneurs, Helmut et Alison Gernsheim, qui l'ont datée des années 1826-1827. Aussi est-ce en 2026-2027 que la photographie devrait fêter son bicentenaire.Cet anniversaire ne sera pas celui de sa divulgation publique mais celui de la " première photographie " produite et conservée jusqu'à nous. À cette occasion, ce dossier de Photographica propose des pistes de réflexion tant sur les récits et les personnages liés aux origines que sur la mise en place de l'historiographie du médium, avec une attention particulière portée à la question des sources historiques. Les articles de ce numéro permettent de " relire " la première photographie de Niépce, en s'intéressant non seulement à l'inventeur et à son frère, longtemps mis en retrait dans l'histoire de la photographie, mais aussi à l'analyse précise de l'image elle-même. Un autre récit, celui de Hercule Florence, tenu pour être l'inventeur de la photographie au Brésil, ouvre à d'autres manières encore de réfléchir aux débuts de ce médium, offrant ainsi un pendant décentré au récit européen de ses origines. Grâce à un article sur Walter Benjamin et sa " Petite Histoire de la photographie " ou à une traduction inédite d'un texte d'Heinrich Schwarz, il sera possible de se pencher sur la manière dont l'histoire de la photographie s'est construite au fil du temps.
S'il semble illusoire de prétendre à une histoire mondiale de la photographie, appréhender les pratiques et les usages de ce médium en dehors du continent européen apparaît d'une actualité certaine: c'est en décentrant ses origines et en s'intéressant aux multiples lieux où s'est matérialisé très tôt le " désir " de photographie que l'on peut en élargir la connaissance. En suivant les trajectoires et la propagation de la photographie hors de l'Europe au XIXe siècle, ce numéro de Photographica défriche et explore de nouvelles écritures de l'histoire des premiers temps de la pratique photographique, une histoire qui se veut donc décentrée et polyphonique.Dans cet effort de décentrement, il ne s'agit pas simplement de mettre au centre ce qui était périphérique, mais de faire dialoguer le global et le local, le national et le transnational. Documenter l'écosystème de la photographie dans différentes régions, retracer le parcours des producteurs d'images, les réseaux, les commanditaires, les usagers, les réceptions locales: autant de pistes qui permettent d'améliorer notre compréhension des premières représentations photographiques du monde au XIXe siècle. Quelles images étaient attendues? surprenantes? Comment étaient-elles interprétées? Quelle agentivité les sujets photographiés pouvaient-ils manifester, notamment en contexte colonial? Quels fonds photographiques ont été conservés ou patrimonialisés? La rareté des sources ou l'absence de collections de photographies dans certaines régions du monde nous forcent enfin à réfléchir aux effets d'asymétrie de ces patrimoines eux-mêmes, tant en termes de perspectives d'acquisition que de stratégies de décolonisation.
La question du prix, du coût ou de la valeur de la photographie permet d'expliquer parfois la généralisation de certaines techniques plutôt que d'autres, le développement ou, au contraire, les freins présents à leurs usages dans tels ou tels cercles sociaux. Cependant, les rapports complexes qui s'établissent entre les évaluations quantitatives (le prix par rapport au coût) et qualitatives (la valeur) des images photographiques sont rarement confrontés. Comment se déterminent ces différentes échelles? Quel est le prix de la photographie et de sa pratique? Quels sont les coûts de sa généralisation, voire de sa valorisation?En tentant de quantifier et de comprendre les fluctuations qui affectent, conditionnent et relient ces variations dans le champ de la photographie, il s'agit d'essayer de dépasser l'opposition entre valeur d'usage et valeur d'échange. Ce numéro de Photographica s'interroge ainsi sur les systèmes de valeurs attachés à l'objet photographique, à sa production, sa circulation et sa patrimonialisation, qui permettent d'en esquisser une histoire économique, et donc sociale.
Ce numéro de Photographica explore la production aussi massive que peu étudiée de photographies dans la promotion, la critique et l'écriture du cinéma: photographies de plateaux, de tournage, de promotion, photographies de travail, d'archives, de documentation ou photogrammes. Souvent opposés puisque la photographie est une image fixe et que le cinéma repose sur le principe de l'image en mouvement, quels rôles endossent les photographies lorsqu'elles viennent représenter le cinéma dans des situations où celui-ci ne peut être projeté: presse cinématographique et artistique, histoires du cinéma, expositions, vitrines ou devantures des salles, ciné-romans, cartes à collectionner et magazines grand public, etc. Succédané ou mise en scène du cinéma, qu'est-ce exactement que cette " photographie de cinéma " qui prend de multiples visages? Avec une chronologie allant des origines à la fin des années 1960, les auteurs et autrices enquêtent sur l'histoire de la production et des usages de ces images destinées à figurer, illustrer, publier et écrire le cinéma, sondant ainsi le cinéma par ses photographies.
La photographie de nu, comme genre structurant de l'histoire de la photographie et de l'établissement de son marché, est analysée dans l'historiographie de la photographie artistique depuis les années 1990. Ce numéro de Photographica souhaite aborder la question de la photographie de nu du point de vue des modèles eux-mêmes. Dans une approche décentrée de la photographie, en considérant les modèles comme autant de co-producteurs et co-productrices volontaires ou involontaires, les articles publiés éclairent les vies, les parcours et les statuts parfois hybrides de ces modèles à travers l'histoire de la photographie en interrogeant ces positions relatives de muse, épouse ou de comédienne, participantes ou non d'une renommée qui bénéficie parfois d'une toute autre histoire. Ce numéro intitulé " Photographie et modèles: le nu et ses histoires " voudrait ainsi étendre l'histoire de la photographie à celle de ces modèles comme autant d'acteurs et d'actrices majeures d'une iconographie symbole de la transformation de l'image des corps, majoritairement féminins, en marchandise.
La pratique du portrait photographique cristallise une multitude d'enjeux sociaux: du portrait choisi réalisé à l'initiative de la personne photographiée au portrait subi où celle-ci – réduite au rang d'objet – se voit imposer, de manière unilatérale, de poser devant l'appareil. Entre ces deux extrémités, se déploie une panoplie de cas intermédiaires, à travers lesquels l'agencéité des sujets s'exprime selon des intensités variables.Au travers de ce numéro qui s'inscrit dans un arc géographique large et dans une fourchette chronologique allant des années 1860 aux années 1950, les contributions interrogent les expressions photographiques de la domination et/ou de l'émancipation, leurs régimes de signification, leurs marqueurs visibles ou moins visibles mais aussi les formes spécifiques que celles-ci ont revêtues en fonction des contextes. Les tensions entre l'individuel et le collectif, entre le public et le privé, entre les mobiles initiaux et les usages postérieurs, entre le regard du photographe et la présence du photographié, entre la prétendue objectivité de la technique et l'aspect construit de la mise en image, entre le contenu de l'image et l'orientation de sa légende, sont autant de lignes de crête de ce dossier.
Le numéro 4 de Photographica propose de définir la notion de " productrices/producteurs de photographies ", afin de prendre en compte des individus jusque-là peu considérés dans l'historiographie des images photographiques, alors même qu'ils participent pleinement à leur fabrique et à leur diffusion. Se plaçant " derrière l'image " plutôt que devant elle (Didi-Huberman, 1990), les contributrices et contributeurs du numéro analysent ainsi la façon dont les rapports de coopération, les luttes et les négociations, modèlent les photographies mises en circulation (Philippe Artières à partir d'un Objet de grève de Jean-Luc Moulène, Nicole Hudgins au prisme du genre des métiers de la colorisation des photographies au XIXe siècle, Marlène Van de Casteele étudiant les revendications auctoriales des employé.e.s du Vogue américain autour de 1940). Sous l'angle de l'histoire du travail, cette focale permet aussi d'envisager les espaces où se tissent les rapports des productrices et producteurs de photographies (la photothèque Hachette par Sylvie Gabriel, l'agence Roger-Viollet dans un entretien avec Delphine Desveaux). Parallèlement, cette notion conduit à reconsidérer la figure du photographe, lorsqu'il s'engage dans la gestion et la diffusion de ses images (Marie Durand et Anaïs Mauuarin, Agnès Devictor et Shahriar Khonsari). De cette façon, c'est le champ des objets photographiques offerts à l'analyse qui s'élargit, notamment à la photographie industrielle et commerciale. Généralement peu contextualisé, ce type d'images peut ainsi être situé dans une histoire sociale, économique et culturelle (Anne-Céline Callens), que les archives des conseillères sociales du travail, présentées par Chloé Goualc'h, pourront contribuer à étayer.
Troisième numéro de la revue Photographica, " Histoires-monde de la photographie " présente un dossier dédié à l'histoire des réseaux d'échanges et de circulation du médium photographique ainsi qu'à l'histoire de sa géographie, avec une attention toute particulière portée sur les " autres histoires de la photographie ", en dehors de l'Europe et de l'Amérique du Nord (mais souvent en relation avec celles-ci). Quelles histoires mondiales/mondialisées pour le phénomène photographique? En quoi des micro-histoires connectées ou des enquêtes à l'échelle d'un photographe, d'une ville, d'une publication, etc., – donc à une échelle réduite – peuvent " faire monde " et permettre de mieux connaître la production et les circulations des photographies en dehors des zones géographiques les plus repérées de l'histoire du médium?Avec ces interrogations méthodologiques et historiographiques en toile de fond, ce numéro s'ouvre sur la traduction inédite d'un texte fondateur de l'anthropologue Deborah Poole autour de la notion d'économie des images, tiré de Vision, Race and Modernity (Princeton University Press, 1997). Il propose ensuite quatre études de cas révélatrices: un essai d'histoire spatialisée d'Alexandra de Heering sur les studios de la ville indienne de Coimbatore, un texte d'Annabelle Lacour sur les pratiques photographiques des souverains dans l'Asie de la fin du XIXe siècle, un article d'Ece Zerman sur la circulation d'un modèle photographique dans la presse illustrée de l'Empire Ottoman, et un article de Margaux Lavernhe sur le photographe James Barnor en " passeur de couleur " entre le Ghana et l'Europe. Viennent compléter et enrichir ce dossier thématique une page à propos d'un portrait de l'impératrice chinoise Cixi dans " un numéro, une image ", la rubrique " Source " consacrée à la revue quadrilingue Camera Obscura, ainsi qu'un entretien avec Nicole Starosielski, historienne porteuse d'un projet sur l'histoire des réseaux et câbles sous-marins.
Centré autour d'un dossier thématique, il aborde l'histoire des photographes ambulants et de leurs pratiques, ainsi que du matériel lié à ces circulations, aux XIXe et XXe siècles. Si les ateliers et studios sédentaires ont fait l'objet de recherches historiques et d'expositions, la mobilité des photographes professionnels hors du studio a été moins explorée. À travers cinq articles de fond, ce numéro propose plusieurs études qui font émerger une histoire matérielle et visuelle des opérateurs itinérants: on y trouvera ainsi par exemple un essai sur les photographes allemands en Suède dans les années 1840-1850, l'étude d'une femme photographe itinérante dans la France du XIXe siècle, une réflexion sur le matériel photographique des explorateurs, un texte sur les photographes parisiens du dehors, ou encore un article sur la querelle des photo-filmeurs dans l'après-guerre. Éclairages complémentaires, la rubrique " source " traite ici des brevets d'inventeurs liés à la photographie portative, tandis qu'un entretien avec le cinéaste Hu Wei vient creuser la contemporanéité de ces pratiques. En varia, on pourra suivre l'histoire d'un modèle photographié par Man Ray et Picasso, et dont l'histoire est aujourd'hui redécouverte.
Qu'est-ce qui fait patrimoine(s) dans le domaine de la photographie aujourd'hui? Devons-nous conserver tous azimuts les traces et témoignages d'une photographie " d'avant "? Il semble qu'on ait oscillé entre l'idée d'un trop-plein d'images photographiques et celle d'une raréfaction des fonds argentiques. Autour de trois volets " histoires, ethnologies et émotions " qui sont trois façons de reconfigurer la question, ce numéro voudrait envisager la matière et l'épaisseur patrimoniales qui constituent le champ de la recherche contemporaine en photographie.