Le premier décembre 1918, à la Une du photo-magazine de Francfort, Das Illustrierte Blatt, les soldats allemands défilent triomphalement malgré l'armistice et la défaite ; dans le même temps, la France, victorieuse mais meurtrie, panse ses plaies. Déjà, les hebdomadaires illustrés révèlent deux regards discordants sur une expérience de la guerre pourtant commune. Aux origines de ce hiatus, lourd de conséquences, se trouve la représentation de l'héroïsme des combattants tel que les images de presse l'ont véhiculé durant la Grande Guerre. En France, après quelques mois d'images trompeuses, la vérité s'installe grâce à la publication des photographies prises, sous les obus, par les soldats eux-mêmes : la vision héroïco-épique de la guerre disparaît, sa réalité meurtrière s'étale, chaque semaine, devant les lecteurs. En revanche, à l'est du Rhin, la compétence et la sévérité des autorités de censure réduisent à néant les velléités photojournalistiques modernes des illustrés allemands et maintiennent une information visuelle traditionnelle, contrôlée et triomphante. Chaque peuple en tire une vision antithétique des combats et de l'Histoire, porteuse du germe de la discorde qui les enflammera à nouveau, vingt ans plus tard.