Tantôt valorisée comme trait distinctif d'une modernité hâtivement confondue avec les avant-gardes, tantôt condamnée comme illusion, la "rupture" ne peut être étudiée indépendamment des continuités qui traversent, en littérature comme ailleurs, les plus profondes coupures historiques. Premier modèle de rupture, la révolution politique n'entraîne pas instantanément un bouleversement des formes et des genres (voir l'histoire du roman sous la Révolution française), ou ne fait sentir ses effets qu'à longue échéance et parfois a contrario : toute une part du romantisme français s'explique par l'échec de la révolution de 1830. L'innovation technologique, autre modèle puissant, invite à des ruptures avant-gardistes rarement définitives, et dont les plus enthousiastes, comme Apollinaire, ne souhaitent pas nécessairement assumer les conséquences radicales. Dans l'écriture des œuvres, la volonté de saisir la continuité historique peut conduire à l'expérience d'une écriture "criblée de trous" (Là-bas de Huysmans), tandis qu'à l'inverse la rupture historique de la débâcle de 40 trouve son expression littéraire dans l'immense coulée scripturale et les torsions du récit de La route des Flandres. Dans tous les cas, chez Claude Simon comme chez Robbe-Grillet, Calvino ou Garcia Márquez, dislocation des genres et "biffures temporelles" vont de pair avec l'effondrement d'un sens global. La temporalité de la rupture peut ainsi déboucher sur une paradoxale atemporalité qui trouve un instrument d'expression privilégié dans ce que Joëlle de Sermet nomme le "présent d'écriture". Par les différentes pistes qu'il explore, ce volume contribue au projet d'une étude des "chronotypes", définis par Yves Vadé comme des schèmes temporels donnant forme à la saisie collective du temps historique.