" Une anticipation qui tient du rêve " : c'est en ces termes qu'Adorno caractérisait rétrospectivement ses premiers écrits philosophiques. Contemporains du livre sur Kierkegaard (1933), " L'actualité de la philosophie ", " L'idée d'histoire de la nature " et les " Thèses sur le langage du philosophe " font ressortir l'unité et la continuité de cette pensée dont ils marquent le coup d'envoi. Témoignage essentiel sur la situation de la philosophie en Allemagne à la veille du nazisme, ces trois textes montrent Adorno aux prises avec Husserl, Heidegger, Lukács, à la recherche d'une nouvelle pensée de l'histoire et de la société qui permette à la philosophie de répondre à la crise de l'idéalisme et à la menace de liquidation que les progrès des sciences font peser sur elle. Profondément marqué par la lecture de Benjamin, le contre-programme que formule Adorno constitue également une sorte de " discours de la méthode " qui fixe le cadre théorique où se déploieront tous ses travaux à venir, jusqu'à la Dialectique négative et la Théorie esthétique.
Cet ouvrage se donne pour tâche de répondre à une question apparemment simple: qu'en est-il aujourd'hui de la pensée foucaldienne? Bien loin de vouloir ériger Foucault en auteur canonique, il se propose d'esquisser le tableau, le plus large et le plus différencié possible, des études foucaldiennes contemporaines. Il s'efforce donc non pas de restituer la richesse des différents visages de Foucault – penseur tout à la fois de l'historicité et du présent –, mais plutôt de faire valoir, de manière inédite, d'autres perspectives et une multiplicité d'" usages " de sa pensée en philosophie comme en histoire, en sociologie comme en esthétique, en économie comme en droit. Chantier ouvert, traversé par des lignes de problématisation parfois très diverses, cet ouvrage prend au sérieux la question de ce que Foucault peut encore nous apprendre aujourd'hui. Foucault, Foucault(s): les noms d'une cartographie qui ne cesse de s'esquisser autrement sur ses propres bords, de croître et de tracer des lignes nouvelles. Le nom aussi d'un espace de questionnement toujours vivant.
Le travail social participe centralement à l'évolution de nos sociétés contemporaines, tant du point de vue de sa contribution au problème de la vulnérabilité, de la proximité qu'il entretient avec la population, du dialogue qu'il nourrit avec d'autres champs que par les critiques qu'il suscite. De cet aspect polymorphe découle l'intérêt de le considérer, pour reprendre une expression de Nietzsche, " avec le plus grand nombre d'yeux possible ".C'est dans une telle perspective que Thierry Gutknecht se propose de rendre compte de la complexité du travail social en empruntant au philosophe Michel Foucault certains concepts clefs – pouvoir, savoir, dispositif, gouvernementalité, etc. – ainsi que sa démarche de problématisation. Il s'agit alors de " partir du bas ", c'est-à-dire de la pratique et de textes de base (lois, référentiels, actes de journées thématiques, etc.) afin d'aborder certains aspects de ce champ en les posant comme problèmes demandant à être pensés d'un point de vue sociétal. Au final, le travailleur social se retrouve interpellé quant à la centralité d'une interrogation sur le devenir de la Cité; autrement dit, se pose la question du positionnement, non seulement éthique mais aussi politique et sociétal, du professionnel.
1905: avec la théorie de la relativité restreinte, Einstein invente un nouage de l'espace et du temps qui révolutionnera bientôt toute notre vision de l'univers. 1911: le physicien Paul Langevin donne de cette mécanique non-newtonienne deux présentations aussi lumineuses que précises, à l'adresse des non-spécialistes et spécialement de ses collègues philosophes. Au congrès international de Bologne où se côtoient Durkheim, Russell et Bergson, puis dans une conférence vivement discutée à la Société française de philosophie, il met à nu la structure conceptuelle de la relativité tout en soulignant ses conséquences les plus remarquables. Pour illustrer le phénomène du " ralentissement " des horloges et dramatiser le fait fondamental de la pluralité des temps, il s'inspire librement d'un récit de Jules Verne et imagine la manière dont un astronaute mesurerait la durée depuis son engin spatial. Ce " voyage en boulet ", ancêtre du célèbre " paradoxe des jumeaux de Langevin ", n'a cessé de susciter la perplexité depuis sa première formulation.
Grand marginal du système universitaire français, Alexandre Koyré reste l'un deshistoriens les plus audacieux et les plus formateurs. Tous ceux qui ont suivi ses coursdisent avoir assisté à l'avènement d'une histoire des sciences d'un genre entièrementnouveau.Ce recueil de comptes rendus d'enseignement continue d'offrir la meilleure introductionà l'oeuvre du grand historien. Il reconstitue de manière précise le passage,accompli sans rupture et réversible, de la pensée religieuse à la science, de la scienceà la pensée religieuse.À trente ans de distance, Pietro Redondi enrichit l'ouvrage de textes inédits, d'unindex et d'une nouvelle préface qui ouvre de perspectives nouvelles, notamment ensoulignant la qualité du dialogue entre Koyré et Lévi-Strauss dans les années 1950.
La pensée de Max Scheler (1874-1928) a un destin paradoxal: reconnu de son vivant comme un philosophe essentiel, notamment par Heidegger qui voyait en lui " la force philosophique la plus vive " de son temps, figure majeure de la phénoménologie, du personnalisme et de l'anthropologie philosophique, son œuvre monumentale est aujourd'hui injustement passée sous silence, alors même que son influence et sa portée n'ont jamais cessé d'être reconnues. La force et l'originalité de cette pensée résident tout d'abord dans son entreprise de fondation d'une éthique philosophique rigoureuse qui s'articule autour du problème des valeurs. Il s'agit pour Scheler de montrer que celles-ci possèdent un ordre et une hiérarchie propres, dont la personne est le sommet. Cela le conduit à rendre compte de la façon dont cet ordre axiologique nous apparaît dans la sphère affective. Pour cela, il reprend à Pascal l'idée d'une " raison du cœur " irréductible à la rationalité logique, et s'efforce d'en expli - citer précisément les modalités à travers une phénoménologie de l'affectivité d'une grande richesse. Ce volume souhaite contribuer à redonner une actualité à cette pensée féconde et originale et s'ordonne autour de deux axes: d'une part le problème de l'éthique des valeurs et de la personne, et d'autre part l'apport de Scheler à la phénoménologie de l'affectivité et de l'intersubjectivité.
On s'est beaucoup interrogé sur l'articulation de la double face de Macedonio Fernández (Buenos Aires, 1874-1952), auteur de textes philosophiques et d'une oeuvre littéraire variée (humour, roman, poésie). Cet ouvrage, dont le fil conducteur est la critique de la représentation dans le domaine philosophique et dans la pratique littéraire, cherche à saisir le moment où la distinction entre philosophie et littérature disparaît. Le concept d'affection, élaboré à la lisière des oeuvres de ses maîtres (A. Schopenhauer, W. James) et dans l'effervescence des avant-gardes, est la clé de cette entreprise. En 1921 arrive en Argentine le fils d'un ami de jeunesse de Macedonio, J. L. Borges, qui rapporte ainsi les liens d'amitié qui se nouèrent entre eux: " Les historiens de la mystique juive parlent d'un type de maître appelé Zaddik, dont la doctrine de la Loi est moins importante que le fait qu'il soit lui-même la Loi. Il y avait quelque chose de Zaddik chez Macedonio. En ces années-là, je l'imitais jusqu'à la simple transcription, jusqu'au plagiat passionné et plein de dévotion. Je ressentais Macedonio comme étant la métaphysique et la littérature. Ceux qui l'ont précédé ont pu resplendir dans l'histoire, mais c'étaient des brouillons de Macedonio, des versions préalables et imparfaites. Ne point imiter cette norme eût été une incroyable négligence. " Les pages de ce livre ne perdent jamais de vue les traces que Macedonio a pu laisser dans l'oeuvre de son disciple le plus doué.
L'insistance avec laquelle Gilles Deleuze a essayé d'ouvrir la philosophie aux non-philosophes est directementproportionnelle à la force qu'il a mise à saisir sa singularité. C'est pourquoi sa conception de la philosophieest une des plus précises et systématiques de l'histoire de la discipline. Elle se divise en une théoriedes éléments, qui comporte le concept,le plan d'immanence et les personnagesconceptuels, et en une théorie de la créationqui comprend une théorie de la méthode –malgré la méfiance que Deleuze exprimait àl'égard de cette notion –, une histoire de laphilosophie qui lui valut un grand nombre dereproches, et une conception du discours philosophique,peut-être implicite, certes, maisnon moins consistante.Concept et méthode se propose de développercette conception de la philosophie à partirde la formule que Deleuze a employéepour définir la discipline depuis ses premierstravaux jusqu'aux derniers : " création deconcepts ". Elle est elle-même une créationconceptuelle, mais qui ne dévoile toute sonoriginalité que si on la replace dans la tradition.
Foucault lecteur de Kant : le champ anthropologique
Plutôt que la fameuse " boîte à outils " foucaldienne, c'est le trésor enfoui de la Thèse Complémentaire de Michel Foucault que ce travail se propose d'exhumer. Récemment publiée aux éditions Vrin, l'Introduction à l'Anthropologie de Kant permet à Foucault de problématiser ce qu'il appelle le " champ " – ou le " chantier " – anthropologique. Loin d'être cantonné à un simple commentaire du texte de Kant, ce thème du champ anthropologique participe de l'entreprise foucaldienne d'archéologie de la modernité dans son ensemble. La question kantienne " Qu'est-ce que l'homme ?" n'est peut-être pas la paisible synthèse unificatrice qu'on a souvent voulu y trouver ; Foucault nous invite plutôt à y voir une complication du projet critique, consistant moins à fonder qu'à inquiéter les savoirs sur l'homme. Est-ce à dire que penser avec Kant, c'est en même temps penser contre lui, en le recontextualisant dans le champ anthropologique, ou en faisant jouer l'Anthropologie contre les trois Critiques ? Qu'en est-il alors, dans le jeu des discours anthropologiques, du caractère normatif de la figure de l'homme ? Qu'en est-il, dans ce que l'homme fait de lui-même, de l'unité de sa réalité mentale, de la cohérence de ses pratiques, de l'intelligibilité de son histoire ? C'est à l'ensemble de ces questions portant sur les tensions et les ambivalences constitutives des objets anthropologiques qu'est consacré ce dossier de Lumières, dans le sillage du numéro 8 de la revue dont le thème était précisément " Foucault et les Lumières ".
Cette traduction est la première réédition complète de la thèse de doctorat d'Ernst Bloch, rédigée en 1908 et publiée l'année suivante. C'est un texte important pour la compréhension de la genèse de la pensée de Bloch. L'auteur y énonce pour la première fois ses vues métaphysiques sur la nature, l'histoire et la connaissance. Il y dialogue non seulement avec le néo-kantien Heinrich Rickert, mais aussi avec l'ensemble des philosophies qui constituaient l'horizon théorique des années 1900. Le traducteur Lucien Pelletier accompagne le texte de notes explicatives élaborées afin de faciliter la compréhension et de situer les idées de l'auteur dans leur contexte philosophique et historique. Dans son introduction, le traducteur plaide pour une approche historique de la pensée de Bloch.
C'est en pleine effervescence structuraliste qu'intervient en avril 1966 la publication de l'ouvrage de Michel Foucault, Les Mots et les Choses. Un livre événement, devenu un classique traduit dans plusieurs langues et maintes fois réédité par les éditions Gallimard. Avec cet opus, Foucault cherchait à ouvrir un champ nouveau de la philosophie. Personne, d'ailleurs, ne resta indifférent à ses principales conclusions et, pour quelques mois, il focalisa l'attention de nombreux experts " de la philosophie et des sciences humaines comme Georges Canguilhem, Michel de Certeau, Jean-Paul Sartre, Gilles Deleuze... Quel fut le contexte exact de l'émergence de cet étrange objet ? Qui le salua ? Qui s'opposa à la fameuse thèse de la mort de l'homme ? Comment le philosophe lui-même fit-il retour sur ce livre qui avait pour objectif de produire une archéologie des sciences humaines ? Voici quelques-unes des nombreuses questions que ce dossier de presse aborde à la veille du tournant de la fin des années 1970.Textes choisis et présentés par Philippe Artières, Jean-François Bert, Philippe Chevallier, Pascal Michon, Mathieu Potte-Bonneville, Judith Revel, Jean-Claude Zancarini.Avec une lettre inédite de Michel Foucault en réponse à l'article de Michel Amiot paru dans Les Temps modernes en janvier 1967.
Walter Benjamin et la création radiophonique (1929-1933)
À la fin des années trente, au moment où le développement des médias devenait un phénomène sociologique et un problème politique, Walter Benjamin publia un des essais auxquels il doit sa célébrité : " L'œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique ".L'intérêt de Benjamin pour les nouveaux médias ne s'est pas borné au cinéma. Il a expérimenté le médium radiophonique, qui rencontre alors l'engouement du public, a conçu et réalisé près de quatre-vingt-dix émissions, dont plus de la moitié était destinée à la jeunesse.Le CD audio inséré dans l'ouvrage contient les deux seuls témoignages sonores connus à ce jour des émissions du philosophe, ainsi que des commentaires d'universitaires français et allemands sur la pièce radiophonique pour enfants " Radau um Kasperl " de Walter Benjamin.