Au début du XIXe siècle, l'Europe redoute toujours la menace des épidémies. Mais elle s'irrite désormais de la présence sur son sol des quarantaines qui entravent le développement du commerce. Menés par la France, les pays européens initient une série de conférences sanitaires, qui constituent la première tentative de politique coordonnée au niveau international, lequel est limité alors à l'Europe. Ils y convient néanmoins l'Empire ottoman, dont le territoire est désigné comme le lieu principal du péril épidémique. Au terme d'un long processus, traversé de conflits scientifiques et politiques, l'accord s'établit finalement autour du transfert, sur la rive sud de la Méditerranée, de la barrière de protection destinée à empêcher le passage des épidémies vers l'Europe. Celle-ci vise en priorité un " groupe à risque ", celui des pèlerins de La Mecque, obligés de sacrifier aux contraintes d'un formidable dispositif de contrôle sanitaire qui enserre la mer Rouge. En contrepartie, la législation internationale s'attache à libérer toujours plus des entraves sanitaires la navigation ordinaire et les flux commerciaux. Ce système à deux vitesses perdure jusqu'au cœur du XXe siècle, lorsqu'il est remplacé par la configuration internationale actuelle, dominée par l'OMS. C'est en croisant les sources d'Europe et d'Orient, dans une approche globale, qu'a été abordée cette question sanitaire d'Orient, prise dans la tourmente des enjeux coloniaux, de ceux du nationalisme et de l'internationalisme naissants. Elle donne à voir la façon dont les acteurs des deux rives de la Méditerranée ont fait conjointement l'apprentissage des règles internationales. Elle révèle également les modalités particulières de la médicalisation au Moyen-Orient qui, malgré leur caractère autoritaire, ont suscité de profonds changements sociaux et culturels.