Les cinq scènes qui se jouent dans ce livre répondent à deux questions : comment scruter ce qui n'est pas dit, ne s'entend pas, ne se touche pas, ne se voit pas, se cache ? Quoi de commun entre un bal de carnaval slave, la procession d'une Vierge andalouse, l'omerta mafieuse, la rêverie d'un juge cloîtré et la kizomba, danse en banlieue parisienne ? Interrogeant le mutisme de différentes sociétés, l'auteure en découvre la trame commune : les conceptions de la nuit et de son pouvoir métamorphique. La nuit possède une force d'action foudroyante, et, cachée sous nos logiques apparentes, les fait voler en éclats : comme elle, le silence révèle la possibilité de transformer notre vision du réel et nos modes de connaissance ; il dévoile une autre face du monde, des croyances et des habitudes sous-jacentes, redoutées ou interdites, conscientes ou inconscientes, accouchant d'un corps nouveau, transformant les objets, les hommes et les sociétés diurnes et parlantes. Le silence est une parole bousculée comme la nuit est une anamorphose du jour. Une anthropologie des sens est le terreau brûlant de ce travail : la reconnaissance impossible sous le masque, l'ouïe trompée par un silence canonique ou mafieux, une Vierge muette chahutée comme une femme, l'art domestique d'un homme perdu, le toucher drastiquement contraint d'une danse qui saisit le corps entier. Ce point crucial induit chez l'enquêtrice, observatrice et participante, une remarquable ethnographie du soi.