Danse, culture et société dans l'Europe des Lumières
" Que savez-vous du ballet ? Que savez-vous de la pantomime ? " – demande l'auteur des Memorie per servire alla storia di Milano – " Depuis quand avez-vous appris comme celle-ci se marie à celui-là ? " Avec son ambition audacieuse à vouloir représenter une " pièce " sans l'utilisation de la parole, le ballet pantomime, ce produit théâtral hybride qui triomphe sur les scènes européennes du XVIIIe siècle, interroge la relation entre le corps et la parole et revendique pour la danse le statut d'art d'imitation à l'instar de la poésie ou de la peinture. Mais qui a inventé le ballet-pantomime ? Qui a le droit d'en dicter les règles ? Entre 1774 et 1776, une polémique éclate à Milan entre deux maîtres de ballets, l'Italien Gasparo Angiolini et le Français Jean-Georges Noverre. Alors que les deux " docteurs en cabrioles " se disputent avant tout un titre de " réformateur de la danse théâtrale " qui suscite l'hilarité, une polémique enflamme rapidement l'intelligentsia milanaise, divisée entre les deux partis. En explorant les textes et les contextes, ce livre invite à une immersion dans la culture et la société occidentale à travers l'étude d'un phénomène culturel marquant de la modernité européenne. Symptôme significatif des relations entre l'Italie et la France, la " Querelle des Pantomimes " nous conduit au cœur des questionnements esthétiques, sémiotiques et sociaux qui intéressent vivement ces deux nations " rivales " et elle nous offre un point de vue privilégié pour observer et comprendre les modalités de dialogue entre ces deux cultures.
Depuis une dizaine d'années, la recherche artistique, entendue comme recherche menée dans les pratiques et non pas sur elles, est devenue l'objet d'un important débat européen, au croisement du monde artistique et des institutions de l'enseignement supérieur. Cet ouvrage, issu d'un travail de quatre années de recherche collective à l'École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (ENSATT), s'inscrit dans ce champ de questionnements en se centrant sur les pratiques théâtrales, jusqu'ici bien moins explorées que les arts plastiques. Son objectif n'est pas de défendre un modèle stabilisé de la recherche, mais d'interroger l'apparition et la prégnance historiques, depuis un siècle, du lexique de la recherche dans les discours des artistes de la scène, et de comprendre les types de pratiques qu'il recouvre. Une enquête à la fois historique, épistémologique et esthétique est ainsi proposée sur ce que le mot " recherche " veut dire dans diverses pratiques de création, d'expérimentation ou de laboratoire scéniques. Quatre voies de compréhension de la recherche sont ici dégagées et examinées: le modèle du laboratoire ; la recherche inhérente au travail de création scénique ; la " recherche-création " dans les écoles d'art et les universités ; la fabrique d'expériences pour le spectateur. S'il ne saurait épuiser une très vaste question, cet ouvrage propose de poser quelques jalons essentiels à la clarification du dialogue entre artistes, enseignants d'écoles d'art et universitaires.
Un maître de la scène théâtrale et lyrique au XIXe siècle
Figure majeure de la vie théâtrale, lyrique, littéraire et culturelle du XIXe siècle, Eugène Scribe (1791-1861) est le créateur de nouvelles formes dramatiques. Il a profondément renouvelé tant le vaudeville que la grande comédie, le grand opéra (Meyerbeer, Halévy, Verdi) que l'opéra-comique (Auber). Son influence s'est fait sentir en France comme dans toute l'Europe, non seulement sur Labiche et Feydeau, mais aussi sur tous les auteurs dramatiques venus après lui, d'Ibsen à Oscar Wilde. Les contributions ici rassemblées émanent de trente spécialistes français et étrangers. Elles éclairent à la fois le répertoire scribien – qui constitue un maillon essentiel dans l'histoire du théâtre occidental – et la personnalité de celui qui fut l'auteur dramatique le plus célèbre de son siècle. Par son combat en faveur du droit d'auteur, Scribe a apporté de plus une contribution décisive à la réflexion sur la liberté de création et sur la propriété artistique.
L'année 1660 marqua en Angleterre la double restauration de la monarchie et du théâtre, réduit à la clandestinité par les Puritains pendant les dix-huit années précédentes. Pour réinventer le théâtre anglais, les dramaturges puisent dans le répertoire classique français de nombreux sujets et intrigues, non sans en discuter les principes esthétiques. Un siècle plus tard, la découverte de Shakespeare en France révolutionna la dramaturgie tout autant que le jeu de l'acteur. La circulation et l'appropriation des modèles et répertoires français et anglais ne se limitent toutefois pas à ces périodes bien identifiées. Elles prennent, surtout, des formes complexes et variées, en s'inscrivant dans un cadre européen plus large incluant notamment l'Italie, mais aussi dans le contexte d'une réflexion sur l'esthétique théâtrale ainsi que l'utilité et/ou la nocivité du théâtre qui prend la forme de virulentes querelles de part et d'autre de la Manche. Enfin, les traductions, adaptations, plagiats ou pièces françaises à sujets anglais autant que pièces anglaises à sujets français sont toujours porteurs d'enjeux esthétiques, économiques et idéologiques importants, qu'il s'agisse de construire un modèle dramatique national ou de formuler à travers eux une position religieuse, politique ou morale. C'est à l'ensemble de ces interrogations qu'est consacré le présent ouvrage, dans lequel est exploré et analysé un corpus théorique, polémique et dramatique couvrant trois siècles d'une histoire croisée.
Le théâtre d'Einar Schleef (1944-2001) a longtemps fait scandale en RDA, en RFA et en Autriche, mais n'en est pas moins resté dans toutes les mémoires. Son œuvre est marquée par l'histoire allemande dans toute sa complexité, et sa pratique artistique met à l'épreuve acteurs et spectateurs, physiquement. Chez Schleef, la matérialité des corps et de la langue est placée au premier plan, interrogeant de la sorte une certaine économie occidentale de la représentation. Ce volume réunit des contributions de chercheurs d'horizons variés afin d'aborder, à partir de la question de la matérialité, l'œuvre de Schleef dans ses diverses dimensions. Non seulement ses mises en scène, ses pièces et ses textes sur le théâtre sont abordés, mais également des aspects moins connus, par exemple son roman, ses peintures et ses photographies, ainsi que les liens susceptibles de se tisser entre ses différents travaux artistiques.
Que signifie créer un opéra, en France, depuis 1900 ? Louise (Charpentier, 1900) et Pelléas et Mélisande (Debussy, 1902) marquent les débuts de l'opéra français du XXe siècle par l'originalité de leurs sujets, la pertinence de leurs traitements musicaux, l'équilibre de leur ensemble et ouvrent la voie à presque mille créations, dans les théâtres nationaux, régionaux, comme dans les compagnies ou les festivals. Le groupe de recherche Opéfra (Opéra en France), créé en 2009, propose ici des outils pour comprendre et découvrir les paradoxes, les utopies et la réalité de la scène lyrique dans un univers bousculé par plusieurs guerres et de profonds changements sociaux et culturels. Il sera question des enjeux et des métamorphoses de l'opéra en France au fil du XXe siècle, des tendances en présence au tournant avec le XXIe siècle, mais aussi des livrets et des œuvres créées en marge des avant-gardes ou des genres canoniques. Les analyses présentées dans cet ouvrage sont complétées par des entretiens avec Georges Aperghis, Isabelle Aboulker, Graciane Finzi, Pierrette Fleutiaux, Pierre Bartholomée et Jean-Baptiste Barrière.
Situé au carrefour du réel et de l'imaginaire, l'Autre constitue l'une des créatures intermédiaires les plus attrayantes pour le spectacle. Qu'il provienne des terres lointaines, des marges, des zones obscures de l'imagination ou de l'intimité, il structure les mythes fondateurs des sociétés et traverse leurs systèmes de représentation. De la Révolution française à la Première Guerre mondiale, de nouveaux dispositifs de construction de l'altérité se mettent en place, qui tout à la fois isolent, réprouvent, célèbrent et dénient l'altérité. Voici l'Autre en spectacle – dans les foires, les cirques, le vaudeville, le drame, le ballet, l'opéra, les Expositions universelles, le cabaret, le cinéma. Mais qui est-il?? Qui le regarde?? À quelles projections de soi face à l'Autre le spectateur est-il convié et à travers quels jeux d'illusions?? L'ouvrage interroge le Sauvage et ses avatars, l'Étranger, l'Autre qui-nous-ressemble un peu, presque, tout à fait, et étudie les matériaux, transferts et médiations de ces figures d'altérité, dont beaucoup sont encore opératoires aujourd'hui.
S'appuyant sur le répertoire du théâtre français de thème chinois, cet ouvrage analyse la production et la réception des images de la Chine sur la scène théâtrale du XIXe siècle. Comme pour les lecteurs d'aujourd'hui, la Chine de théâtre est un sujet à la fois familier et étrange, proche et éloigné, épuisé mais exploitable : tous ces paradoxes concourent à créer sur la scène française une Chine kaléidoscopique.
Comment l'Histoire s'écrit-elle derrière les rideaux de scène ? Quels processus créatifs les auteurs mettent-ils en œuvre pour lui donner voix et corps dans le présent singulier, réel et fictif à la fois, de la représentation théâtrale ? De tout temps, les " poètes " dramatiques ont cherché à problématiser l'histoire sur les scènes, mais rarement avec autant d'intensité qu'au XIXe siècle, alors que dans l'Europe entière se pose la question des nationalités. L'Italie en construction n'échappe pas à ce questionnement. Dès la fin du XVIIIe siècle, la scène théâtrale italienne devient le lieu privilégié où s'invente l'idée de la patrie unie, et où se fabrique une histoire du Risorgimento. S'y affirme d'abord la volonté de trouver dans les grands événements de l'Histoire passée de la péninsule les fondements d'une idée commune de la " nation ". S'y construit également, au fil des luttes armées et des interventions politiques menant à l'Unité, à travers l'émergence de formes spectaculaires non académiques et la mise en question des grands " mythes " risorgimentali, une historiographie particulière où se mêlent célébration, témoignage, mémoire et interprétation. La commémoration du Bicentenaire de l'Unité en 2011 a été l'occasion de revenir sur ce pan méconnu de l'histoire du théâtre italien que certains appellent scena risorgimentale. À la lumière des débats historiographiques suscités par cette commémoration, les contributions réunies dans ce volume envisagent les diverses modalités d'écriture dramatique et scénique qui ont accompagné la formation de l'Unité italienne tout au long des XIXe et XXe siècles, et celles qui, aujourd'hui encore, quand les identités nationales sont partout questionnées, continuent d'explorer la mémoire de l'un des moments les plus complexes de l'histoire de la Péninsule.
Comment concevoir qu'un livret d'opéra ait pu être réécrit pour des marionnettes ou sous forme de pantomime ? Peut-on imaginer qu'une œuvre lyrique ait suscité plus de huit parodies ? Sait-on que Louis XVI et Marie-Antoinette avaient leur parodiste attitré ? Les réécritures comiques d'opéra, représentées sur les théâtres de la foire et des boulevards comme à la Comédie-Italienne de Paris et sur les théâtres privés, connaissent une vogue étonnante au siècle des Lumières. Parodier l'opéra, ce n'est pas écrire contre l'opéra, mais plutôt participer à sa promotion en jouant le double jeu de la critique et du divertissement. Les parodistes comme Fuzelier, Favart, Romagnesi ou Despréaux, manient autant l'art des vaudevilles que celui du pastiche, et possèdent une riche culture littéraire et musicale. Des opéras de Lully à ceux de Gluck, rares sont les œuvres à succès qui n'ont pas été parodiées. Retracer l'histoire de cette pratique permet d'entrer dans les arcanes de la vie théâtrale des Lumières, où les frontières entre culture populaire et culture élitiste sont brouillées, où l'opéra, l'opéra-comique et la parodie évoluent sans se quitter des yeux. Taxée de " mauvais genre " par certains, décrite comme un " spectacle gai, varié et même magnifique " (d'Argenson) par d'autres, la parodie d'opéra n'est pas un épiphénomène ; ce qui se joue avec elle, tout au long du XVIIIe siècle, c'est une certaine idée du théâtre comique en musique.
Angleterre et France (XVIe-XVIIIe siècle). Éléments d'une histoire de l'écoute
On pense spontanément que le public des XVIIe et XVIIIe siècles allait à l'opéra pour entendre des voix, des airs, des développements instrumentaux propres à suggérer l'état d'âme de tel personnage, en somme de la musique. On sait aujourd'hui qu'il s'y rendait aussi pour admirer les changements à vue, machineries et effets spéciaux qui agrémentaient la représentation, ou encore pour profiter d'un ensemble d'impressions visuelles et sonores dépendant de ce qui se passait dans la salle elle-même. Il en va de même pour le théâtre parlé, que l'on allait alors " ouïr " autant que regarder. Les témoignages sur ce croisement du voir et de l'entendre sont, certes, nombreux, mais souvent peu explicites, les commentateurs de l'époque éprouvant une difficulté particulière à rendre compte de leur expérience d'auditeurs de théâtre. C'est à ce relatif silence de l'écoute qu'est consacré ce volume qui, en enquêtant sur les sons du théâtre, de leur enregistrement à leur transmission, propose de mieux cerner la perception auditive du spectacle à l'époque moderne. Issues d'un programme de recherche développé au sein de l'Institut de recherche sur la Renaissance, le Classicisme et les Lumières (IRCL, UMR 5186 du CNRS), les contributions du présent volume portent sur les théâtres parlé et chanté, tant anglais que français, du XVIe au XVIIIe siècles.
L'art est-il soluble dans la technologie ? demande avec humour l'un des collaborateurs de ce volume. La réponse est évidente, comme le prouvent tous les textes rassemblés ici. Ils mettent en lumière que cette navigation dans les eaux technologiques, loin de nous éloigner des questions esthétiques, nous ramène toujours à l'essentiel : au corps scénique, au dialogue du performeur avec l'espace et le temps, au processus d'absorption du spectateur. L'ouvrage propose également une section entièrement consacrée à l'oeuvre impressionnante de Janet Cardiff dont les environnements immersifs tiennent à la fois de l'installation et du spectacle et qui nous a paru être emblématique de ces environnements technologisés en expansion qui permettent d'entrer dans l'intimité des corps.