Postérité, réappropriations et perspectives critiques
La " servitude volontaire " est une formule mobilisée tant dans le champ universitaire que dans le champ intellectuel ou journalistique. Ses usages, parfois référés au Discours de la servitude volontaire de La Boétie et, plus rarement, appuyés sur une lecture précise de ce texte, prétendent situer la source de la domination dans le libre consentement de ceux qui la subissent. Mais cette formule au caractère oxymorique, presque provocateur, occulte le plus souvent les véritables causes de cette apparente volonté de servir. Les explications de ce phénomène, telles que le désir, la coutume, la soumission consentie, la domination symbolique, l'obsequium ou la jouissance dans la servitude, doivent permettre de comprendre ce qui apparaît sinon comme une monstruosité et une énigme. L'étude du monde du travail montre notamment que les analyses en termes de servitude volontaire ne sont pas les plus adéquates. Enfin, si une telle formule peut susciter une prise de conscience, elle ne fournit pas pour autant la clé de l'émancipation.
Des premiers rites baptismaux à la confession moderne, le christianisme marqua toute l'œuvre de Michel Foucault, aiguillée par notre actualité: comprendre le rapport que nous avons aujourd'hui à nous-mêmes et à notre sexualité demande de s'interroger sur la volonté de vérité que la culture chrétienne a instaurée depuis l'Antiquité. Que faut-il dire et manifester de soi pour connaître son désir, orienter sa vie, être guéri ou sauvé? Ce livre propose une lecture critique de l'ensemble des lectures chrétiennes de Foucault, d'Histoire de la folie au grand livre posthume Les Aveux de la chair, enrichie par les archives du philosophe. Ni chronologique ni thématique, ce parcours espère retrouver la logique d'un travail: une manière singulière de lire et de traduire les textes à partir d'un questionnement philosophique. Loin de l'image facile d'un christianisme ascétique et intransigeant, Foucault définit l'originalité chrétienne comme la reconnaissance paradoxale d'un rapport précaire à la vérité
Alors que le xixe siècle met l'enfant à l'école, la première moitié du xxe s'occupe de celui qui n'y va pas. Qu'on le dise arriéré, délinquant, orphelin, fou ou en danger moral, l'enfant en marge voit se développer autour de lui un édifice institutionnel qui, entre le début du siècle et la fin des années soixante, acquiert progressivement consistance matérielle et unification idéologique.C'est en examinant le parcours et le travail de Fernand Deligny (1913-1996), instituteur, éducateur et écrivain, que cet ouvrage entend redessiner cette histoire. Sans se limiter aux innovations législatives qui jalonnent la période ou aux acteurs qui font figure de fondateurs, il entend éclairer les évolutions idéologiques qui sous-tendent ce développement. En revenant sur les alliances, les oppositions et les affrontements auxquels se livrent les principaux personnages de cette période, cette enquête philosophique vise à mieux situer la place de Deligny, et à donner un autre éclairage à deux concepts au cœur de cette histoire: l'institution et l'enfant.
Les pensées de Gilbert Simondon et de Jacques Derrida n'ont jamais été étudiées de manière conjointe, alors même que les deux auteurs partagent un contexte historique, un milieu théorique ainsi qu'un ensemble de problématiques communes qui anime leurs réflexions dans le champ philosophique des année 1960.Ce livre propose de remédier à ce manque en confrontant les pensées des deux auteurs autour de trois grandes questions: celle de la métaphysique et des rapports entre philosophie et sciences, celle de l'humain et des rapports entre vie et conscience, et celle de la technique et des rapports entre mémoire et archives.Autant d'interrogations qui ressurgissent aujourd'hui, face aux menaces de l'Anthropocène et du transhumanisme.L'articulation des pensées de Simondon et de Derrida constitue ainsi une ressource fondamentale pour dépasser les oppositions entre animalité et humanité, nature et culture ou nature et technique. Elle permet de repenser les rapports entre vie, technique et esprit hors des schémas dualistes, ainsi que d'appréhender les enjeux anthropologiques des mutations technologiques contemporaines.
La philosophie de la vie de Jean-Marie Guyau (1854-1888) représente l'une des perspectives les plus originales de son temps dans les domaines de l'éthique, de l'esthétique et des études sociologiques. Cependant, malgré son influence sur des auteurs comme Nietzsche, Bergson, Durkheim et Kropotkine, cet auteur a été considéré comme peu important dans l'histoire de la philosophie française. Ce livre, auquel ont contribué les plus grands spécialistes de Guyau, vise à redécouvrir l'actualité de sa pensée, en posant une question fondamentale: qui sont les véritables contemporains de Guyau? Guyau reste-t-il un auteur de la seconde moitié du xixe siècle, dont l'œuvre a été accomplie par un Nietzsche et un Bergson; ou, au contraire, est-elle d'une actualité qui n'a pas été suffisamment prise en compte en son temps et qui appartient, d'un point de vue conceptuel, à notre xxie siècle?Le livre s'adresse à la fois aux spécialistes de la philosophie française du xixe siècle et, d'une manière plus générale, à ceux qui s'intéressent aux itinéraires philosophiques non linéaires et non conventionnels.
Selon une thèse largement répandue, Schiller serait l'héritier et le continuateur de Kant, et les Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme représenteraient le témoignage de son adhésion créative au kantisme par la conception d'une relation nouvelle entre la théorie et la pratique.L'ouvrage prend le contrepied de ce lieu commun. Il s'efforce de renouveler l'interprétation du texte de Schiller et montre en particulier l'influence de la philosophie populaire précritique, et notamment de sa composante anthropologique. La conjonction de ce registre avec une lecture singulière de l'esthétique kantienne se révèle caractéristique d'une forme de pensée qu'on peut qualifier de réformisme conservateur et dans lequel on doit voir la matrice du libéralisme politique qui naît au début du xixe siècle.Par sa lecture philologique serrée, ce livre s'adresse tout autant aux spécialistes de la pensée kantienne et post-kantienne qu'aux étudiants recherchant une introduction aux Lettres de Schiller.
La Phénoménologie de l'esprit, parue en 1807, est un ouvrage singulier par son projet, sa forme, et la variété des sujets qu'il aborde. Il contient des développements célèbres concernant ce qu'on a appelé la " dialectique du maître et de l'esclave ", la " conscience malheureuse " et la " belle âme ", notamment. Bien que ces thèmes appartiennent à la culture commune et qu'ils se retrouvent aujourd'hui à tous les niveaux de l'enseignement philosophique, de la terminale à l'agrégation, aucun ouvrage collectif n'avait encore été publié en français qui se donne pour tâche de guider la lecture de ce chef d'œuvre hégélien dans son intégralité.Rédigé par des spécialistes de Hegel, cet ouvrage suit pas à pas le cheminement de la Phénoménologie de l'esprit. Chaque contribution est consacrée à un chapitre ou une partie de chapitre dont elle propose un commentaire synthétique accessible. Par-delà l'objectif premier, aider à découvrir ou approfondir la Phénoménologie de l'esprit, il s'agit de restituer la diversité des appropriations philosophiques dont cette œuvre foisonnante a fait l'objet depuis sa parution et d'inviter les lecteurs et lectrices à en explorer la richesse inépuisable.
L'Histoire du scepticisme de Richard H. Popkin, qui a dominé la recherche aux États-Unis et en Europe depuis les années 1960, était essentiellement consacrée aux rapports entre scepticisme et foi entre la fin du Moyen-Âge et le début du xixe siècle. Et lorsque Stanley Cavell a réintroduit la question de l'homme dans les études sceptiques contemporaines, c'est dans le sillage d'une interprétation du doute hyperbolique des Méditations métaphysiques de Descartes qui conduisait à faire des sceptiques des anti-humanistes renonçant au monde. C'est pourquoi il importait, suivant la suggestion d'Hans Blumenberg, de poser la question anthropologique à partir du rôle clef joué par le remodelage du scepticisme antique dans les Essais de Montaigne. Après s'être demandé s'il y a un sens à parler d'un " naturalisme sceptique " ou encore d'une " anthropologie sceptique de la croyance ", le présent ouvrage s'interroge sur les limites d'une approche exclusivement rationnelle de l'humanité et réfléchit à l'importance de la relation pour la penser non plus en termes de nature mais de condition. Il montre ainsi la contribution paradoxale mais constante du scepticisme philosophique à l'étude de l'homme.
L'idéologie de l'éducation en question : conjonctures critiques et expérimentations à l'époque moderne et contemporaine
La phrase " il faut éduquer les enfants… " sonne simultanément comme une évidence, une injonction et un idéal. Il semble évident d'adhérer à ce qui semble même un invariant anthropologique. Le présent ouvrage propose pourtant une autre perspective grâce à des études philosophiques et historiques s'appuyant sur deux grandes périodes : un long xixe siècle tourmenté par la révolution et l'émancipation, qui génère la figure centrale de l'école, et un xxe siècle travaillé par l'extrême violence et l'inquiétude sur l'humain.Portant sur des expérimentations théoriques et pratiques, révélant les contradictions ou les failles des appareils éducatifs, l'ouvrage engage une démarche philosophique critique sur " l'idéologie de l'éducation " qui commande, depuis deux ou trois siècles au moins, nos façons d'apprendre, de socialiser, d'aider à grandir et de former les petits d'humains dans des institutions déterminées (la famille et l'école avant tout) et suivant des représentations et des catégories précises (la catégorie d'enfance, en premier lieu). C'est cette " idéologie de l'éducation " qu'il s'agit ici d'étudier, de problématiser et d'interroger.
On sera sans doute déçu si l'on cherche au XVIIe siècle les prémisses d'une éthique animale. Les " bêtes brutes ", comme on les appelle alors, sont exclues de la sphère des obligations, et pas seulement par quelques cartésiens mécanistes. De nombreux auteurs soutiennent que les bêtes sentent, ou qu'elles ont une âme qui n'est pas trop différente de la nôtre, ou encore qu'elles sont dotées de raison, les prenant parfois même comme point de comparaison afin de rabaisser l'orgueil humain. Nombreux sont ceux qui s'indignent de la cruauté à leur égard, et d'autres vont jusqu'à leur reconnaître des droits. La diversité des positions, des représentations et des arguments coïncide assez rarement avec les accusations adressées de nos jours à l'âge classique. Tous ne sont pas cartésiens, et la " théorie " de l'animal-machine est peut-être un petit peu plus que l'effet d'un préjugé. Paradoxalement, les plus affranchis de tout anthropocentrisme affirment radicalement l'absence de lien éthique avec les bêtes. Lire ces œuvres d'un autre âge à l'aune d'une question qu'elles ne pouvaient pas formuler permet d'inquiéter les évidences qui sont les nôtres, et d'y trouver des ressources pour poser et résoudre des problèmes qui n'étaient pas les leurs.
Contre une lecture simpliste de l'anti-hégélianisme que Louis Althusser et Michel Foucault ont défendu dans les années 1960, l'ouvrage propose un parcours dans les textes de jeunesse de ces philosophes pour mettre au jour l'ancrage hégélien de leurs problématiques. À l'aide de nombreux documents d'archives et d'une lecture minutieuse de l'évolution intellectuelle d'Althusser et de Foucault, ce livre cherche à montrer comment ces derniers ont élaboré leur pensée à travers une critique immanente de l'hégélianisme.La compréhension renouvelée de la raison, du sujet et de l'histoire qui s'est développée dans la philosophie française des années 1960 nous apparaît dès lors de manière nouvelle: loin de s'être construite unilatéralement contre Hegel, la formidable réinvention philosophique qui a eu lieu à cette époque est née d'un dialogue, conflictuel mais fécond, avec l'œuvre hégélienne. Le sens et la vision que nous avons de la philosophie française du second xxe siècle dans son ensemble s'en trouvent ainsi profondément transformés.
On ne peut manquer d'être frappés aujourd'hui par la référence au terme et à la notion de " valeur(s) ". Évaluer c'est tout à la fois s'affirmer et s'exprimer, mais aussi se signaler sur une mappemonde sociale et politique, autrement dit s'exposer au double sens du terme comme le suggère Bernard Harcourt à propos des réseaux sociaux. Évaluer serait le nouvel avatar des technologies de pouvoir à l'ère digitale. Toute pratique de résistance, dès lors qu'elle se fonde sur la revendication et sur la promotion d'une (autre) axiologie, ne s'inscrirait-elle pas dans le jeu qu'elle entend dénoncer? N'est-ce pas la possibilité même d'une résistance qui semble exclue? À moins, peut-être, de déconnecter le jugement de la préférence. À moins, peut-être, d'admettre des valeurs indépendamment de l'appréciation subjective qu'en font les individus. C'est ce que se proposent de faire les stoïciens en leur temps et c'est à cette pensée stoïcienne de l'évaluation – reformulée ici en termes de " dispositif d'évaluation " – que le présent ouvrage s'intéresse. Il s'agit de savoir à quels concepts et à quelles pratiques spécifiques les stoïciens hellénistiques puis impériaux font référence en parlant de valeur et de jugement et comment ces deux aspects s'articulent, ce qui implique d'aborder des thématiques aussi riches que l'axiologie et la psychologie, la théorie de l'action et la doctrine des passions. Outre l'intérêt d'une telle analyse eu égard à l'absence de travaux spécifiquement consacrés à la question de la valeur au sein des études stoïciennes, cette enquête entend avoir aussi une portée philosophique susceptible de contribuer à la critique de nos manières de penser et d'agir.