À Ouagadougou, les jeunes hommes qui vivent et dorment dans les rues de la capitale s'appellent les bakoroman. Mais le plus souvent, et bien qu'ils n'aiment pas ça, on les appelle les " enfants de la rue ". Par le vol, la mendicité et les petits boulots, les bakoroman s'insèrent dans différentes niches de l'économie urbaine qui assurent leur survie au quotidien, l'accès à la modernité et aux loisirs; jusqu'à la possibilité d'envoyer occasionnellement de l'argent à leurs parents. La mobilité juvénile masculine constituant au Burkina Faso une forme historique de l'émancipation et de l'affirmation individuelle, le mode de vie déviant qu'ils ont adopté dans la rue ne signe pas nécessairement une rupture des liens familiaux. Ainsi, les bakoroman aiment à se présenter comme des aventuriers " à la recherche de l'argent ", partis " faire leur jeunesse " à Ouagadougou, avant de s'installer dans leur vie d'adulte et de fonder une famille. Leur position souvent fragile au sein de leur famille d'origine, aggravée par un mode de vie marqué par l'illégalité et les drogues, rend cependant invraisemblable le rêve toujours caressé de ce retour réussi, qui transformerait leur départ en une expérience de subjectivation.Loin des prêt-à-penser manichéens qui alternent registres de la pitié et de la crainte à propos des " enfants de la rue ", cet ouvrage propose de croiser les descriptions du vécu quotidien, les trajectoires biographiques et les discours des bakoroman, des anciens bakoroman et de leurs familles, pour restituer dans toute leur épaisseur ces vies tumultueuses. En miroir, tous ces protagonistes nous disent quelque chose de ce qui, à leurs yeux, constitue une vie réussie dans le Burkina Faso d'aujourd'hui.
Djirilan, Haute-Guinée. Asseyez-vous sur un tabouret, bien en vue dans une cour centrale et regardez autour de vous comment se déplacent, s'arrêtent, se rencontrent, se rassemblent, s'évitent, partent un temps et ensuite reviennent les personnes présentes. Vous comprendrez avec Anna Dessertine comment se tissent les relations sociales dans un village malinké de Guinée.Suivez tour à tour quelques protagonistes dans les autres espaces qu'ils pratiquent: chemins, jardins, brousse, mines d'or et villes lointaines. Il apparaîtra que dans l'espace malinké tout part d'un centre et y revient. Les mobilités plus ou moins lointaines, les absences plus ou moins longues, ont pour horizon un retour nécessaire: en appui sur son centre, faisant fi des limites, le village semble bien tenir à ce mouvement incessant des habitants qui lui permet d'intégrer continûment l'ailleurs.Le modèle d'analyse proposé par Anna Dessertine, à la fois simple et puissant, donne accès à toutes les composantes de la vie sociale: relations de parenté et de genre, agissements des génies locaux, activités d'orpaillage, migrations ou encore iconoclasme. Son ouvrage renouvelle la vision sommaire et schématique du village africain en invitant le lecteur à penser les espaces au-delà de leurs frontières, pour les comprendre dans les modes de présence et d'absence des populations qui les habitent.
Ce livre parle de Dakar. Et de l'argent. À Dakar, l'argent est roi. Il est le revers de toutes les relations, des plus commerciales aux plus intimes.Ce livre parle des femmes. Et de l'argent. À Dakar, les femmes dépensent avec faste des sommes démesurées pour honorer des relations de parenté, en particulier à l'occasion des cérémonies de mariage et de naissance — ce que, paradoxalement, hommes et femmes dénoncent comme un gaspillage contraire à la rationalité économique et aux valeurs de l'islam.Ce livre parle d'anthropologie. Et d'argent. À Dakar, si la finance est reine, la vie sociale n'est pas pour autant soumise à la seule loi du marché: le système cérémoniel, qui associe étroitement échanges féminins et rituels religieux, y joue un rôle de premier plan.Nourri d'enquêtes de terrain menées dans un quartier populaire de l'agglomération dakaroise, l'ouvrage d'Ismaël Moya, en suivant la piste de l'argent, éclaire d'un jour nouveau la place de l'économie, les hiérarchies statutaires, la parenté et les rapports complexes entre hommes et femmes dans cette société musulmane. S'y dévoilent, au sein de la finance, les valeurs qui structurent la vie sociale d'une métropole africaine contemporaine.
Comment peut-on être matrilinéaire ? Comment vivre dans une société où la filiation et les biens passent uniquement par les femmes ? Comment les hommes s'accommodent-ils de la résidence du couple chez l'épouse ?Dans l'archipel des Comores, l'île de Ngazidja révèle des situations inédites où la matrilinéarité s'entremêle avec des principes contraires. La société est musulmane, les grandes fêtes de l'islam rythment le calendrier, le mariage est contracté devant le cadi. Et grâce au système d'âge d'origine africaine, les hommes s'organisent en une assemblée politique qui gouverne la cité.
Les textes réunis dans ce volume offrent au lecteur une introduction passionnante à l'oeuvre de Manga Bekombo Priso. Ethnologue de la société dwálá, dans laquelle il est né, il a grandi et qu'il a longuement étudiée, il avait, en même temps, une connaissance approfondie et intime de la France où il a passé la plus grande partie de sa vie. Grâce à sa formation universitaire, Manga Bekombo Priso a développé un esprit critique tant vis-à-vis de la culture occidentale que de cette Afrique à laquelle il restait profondément attaché. Plus largement, il a su porter un regard d'anthropologue sur l'ensemble des cultures africaines et sur leurs rapports avec celles de l'Europe, complexes et souvent tendus en raison du passé colonial. Rédigés dans un langage simple et précis, les textes de Manga Bekombo Priso restituent la véritable complexité de la société dwálá et laissent entrevoir un vécu que l'on ne peut appréhender pleinement que " du dedans ". Manga Bekombo Priso est l'un des chercheurs africains qui a le plus réfléchi sur les aspects anthropologiques, voire philosophiques, de la temporalité. Abordant avec une grande originalité des thèmes comme la conception africaine du temps ou le fait de " vieillir en Afrique ", ses écrits sont une source de réflexion pour nos propres sociétés, confrontées comme jamais dans le passé à cette dérangeante réalité.
Les Dìì sont une population camerounaise dotée d'un système de parenté et de mariage inhabituel. Patrilinéaires, ils utilisent une terminologie de type crow, généralement associée à des sociétés matrilinéaires. D'ailleurs, la matrilatéralité est chez eux extrêmement développée, le neveu utérin étant considéré comme la réplique de son oncle maternel. À ce titre, il peut hériter sa veuve.Le système de mariage des Dìì interdit, en théorie, les mariages entre consanguins bien que l'on en rencontre parfois. L'échange direct des soeurs est également interdit. Toutefois, les lignages à forte population favorisent le redoublement des alliances lorsque celles-ci ont apporté satisfaction aux partenaires. Si une épouse en âge de procréer meurt, son lignage paternel est tenu de la remplacer par une autre femme. À défaut, cette obligation incombe à son lignage maternel.La question du divorce se présente de manière complexe. Certains lignages à forte densité l'interdisent en cas de désertion de l'épouse, de crainte que les lignages donneurs se refusent ensuite à renouveler les alliances. Cette disposition facilite le retour des épouses au foyer et, de manière générale, la stabilité des ménages qui constitue un enjeu important pour la réputation des notables du lignage.
Anthropologie de la petite enfance en pays soninké (Mali)
Objet mais également sujet des relations qui se tissent au fil des jours, le petit enfant est dès sa naissance au centre de la vie sociale : allaité, nourri, porté, endormi, écouté, stimulé, lavé, façonné par sa mère et son entourage, il est considéré comme un partenaire à part entière des multiples échanges qui jalonnent sa journée. Se tenant à la frontière entre le monde "invisible" et le monde des humains, on dit habituellement de lui : "Tant que l'enfant ne parle pas, il peut tout voir. Dieu lui montre tout car il ne peut pas dire ce qu'il voit. L'enfant ne voit plus après le sevrage mais il a la mémoire : chaque fois qu'il pense à cela, il pleure." Le petit enfant naît-il ou devient-il soninké ? Et comment ? Que nous apprennent les interactions — verbales et non verbales — avec l'entourage, sur les sens du maternage ? Ce dernier présente-t-il des similitudes avec ce qui a cours sous d'autres latitudes ? Que donne à voir la petite enfance de la société en général ? À partir d'une ethnographie du détail, des petits riens de tous les jours, telles sont les principales interrogations auxquelles l'ouvrage apporte des éléments de réponse. Par la porte de la petite enfance, période riche et mal connue du cycle de la vie, le lecteur est invité à pénétrer dans l'intimité du petit enfant ainsi qu'à découvrir la vie quotidienne des membres de cette société dont sont issus nombre de migrants ouest-africains présents en France.
Les chercheurs africanistes ont souvent analysé les manières de boire en ne s'intéressant qu'à leurs effets — positifs ou négatifs — sur la cohésion du groupe. Cette vision manichéenne n'a pas épargné les buveurs dogon, présentés d'abord comme des sauvages sombrant dans une commune orgie, puis comme des philosophes s'enivrant pour apaiser les défunts. Le livre réfute de tels stéréotypes. En pays dogon, au Mali, la principale boisson fermentée ne crée pas seulement du "lien social". Par son procès de fabrication, ses dons en chaîne et ses libations successives, la bière de mil modèle les cycles humains, agricoles et calendaires en inscrivant l'homme, les céréales, les villages et les rituels dans un système circulaire. L'auteur montre également que les manières de boire sont aujourd'hui au cœur des stratégies individuelles et des mécanismes de distinction identitaire.
Ordre du monde et destin individuel en pays wuli (Cameroun)
Avec douze autres villages de cette région du Cameroun occidental, la communauté des Wuli appartient à l'entité régionale des Mfumte. Dans cette société à faible centralisation politique et dépourvue de toute instance coercitive, le pouvoir se trouve réparti entre diverses associations initiatiques. En les comparant avec celles d'autres sociétés africaines, l'auteure analyse les différentes formes de pouvoir en présence pour en élaborer une typologie. L'étude spécifique des structures des associations de contre-sorcellerie s'appuie sur un corpus de mythes et la description minutieuse du système divinatoire, des rites d'initiation et de réparation placés sous le signe du sacrifice, des objets et symboles manipulés par les initiés. Un calendrier rituel parcourt les saisons, rythmant l'initiation des jeunes gens et découpant l'année en différentes séquences : le temps des semailles, le temps des récoltes, le temps de la chasse. Sous-tendus par la musique, ces rites saisonniers concourent au bien-être et au bonheur, tandis que les rituels d'affliction ont toujours pour objet d'éloigner le malheur et la maladie.
Anthropologie politique des sociétés d'Afrique centrale
L'ouvrage est une contribution à l'anthropologie politique africaine. Il développe les analyses que Luc de Heusch – professeur émérite à l'Université Libre de Bruxelles – a consacrées depuis de nombreuses années aux relations ambiguës du pouvoir et du sacré. Il s'interroge, notamment, sur les assises symboliques de la royauté et la naissance de l'État, chez les Tetela et les Hamba du Congo belge – deux peuples parmi lesquels l'auteur a séjourné en 1953 et 1954.
La société Dìì des hauts plateaux de l'Adamaoua se compose de petites chefferies dont le fonctionnement se dégage de leur rituel le plus important : la circoncision, objet du livre. Les Dìì pratiquent plusieurs sortes de circoncisions : celle, normale, que doit subir tout garçon est analysée ici dans ses implications familiales marquées par un jeu subtil d'interactions des deux lignées paternelle et maternelle ; la "seconde circoncision" exclusivement réservée au chef est étudiée pour la première fois, ainsi que la manipulation génitale pratiquée sur les fillettes sous forme d'un "tiraillement" du clitoris. Les Dìì, longtemps dénigrés, devenus musulmans et chrétiens, ont dû apporter d'importants ajustements techniques dans leurs pratiques de la circoncision.
Générations et politique en pays Nyangatom (Éthiopie)
Au cours de leur migration formatrice, qui les conduit d'Ouganda vers la basse vallée de l'Omo, aux confins de l'Ethiopie, du Soudan et du Kénya, les Nyangatom, peuple nilotique, reçoivent le sobriquet de "mangeurs d'éléphants" (Nyam-etom), qu'ils transforment en "fusils jaunes – ou neufs" (Nyang-atom), soulignant ainsi la dimension guerrière de leur projet. Le livre met au jour le système générationnel qui, englobant la totalité de la population, permet aux Nyangatom de s'affirmer comme une politie autonome. Chaque génération reçoit son identité par le don d'un nom d'espèce aristotélicienne (montagnes, éléphants, autruches…) et l'attribution d'un statut politique, celui de pères ou de fils du pays. La première partie traite du milieu, de l'ethno-histoire et de la parenté. La seconde partie est consacrée à la vie politique. Les fils du pays sacrifient des bœufs pour nourrir leurs pères (premier degré de l'initiation). La transmission de la souveraineté des pères aux fils (deuxième degré de l'initiation) ne peut s'opérer que par le sacrifice d'une vie humaine : après la cérémonie, l'homme perd la raison et meurt dans la brousse. Cette pratique évoque le régicide attesté chez d'autres Nilotes.