Euripide et le parti des femmes
Ni la cité grecque, ce " club de citoyens " qui en excluait les femmes, ni les tragédies d'Eschyle et de Sophocle qui nous ont majoritairement légué des héros masculins, ne pouvaient laisser prévoir une œuvre aussi singulière que celle d'Euripide, dont le rôle des femmes est un indice majeur. Le livre déchiffre, au pied de la lettre, la seule expression grecque qui nous reste – en dehors des poèmes de Sappho – d'une intériorité féminine confrontée à la cité qui décrète le genre féminin incapable de penser, et de prendre part à la vie publique.Il s'agit donc de donner à entendre et à voir, à travers la diversité des figures et des œuvres, ce premier surgissement d'un "féminisme" dans l'histoire de notre modernité occidentale, grâce à une œuvre tragique qui lui ouvre sa scène: des femmes y prennent la parole pour se livrer, déplorer et dénoncer le regard et les discours qui sont portés sur elles. Accablées, mais inventives, elles se refusent à la servitude volontaire. C'est dire que le théâtre d'Euripide, contrairement à la réputation qui lui a été faite depuis le xixe siècle allemand, accomplit sa fonction dionysiaque: bousculant l'ordre établi, transgressant les frontières instituées, il démultiplie la parole pour faire entendre l'Autre, au risque de la terreur des Bacchantes. Il s'adresse au cœur de notre modernité.Le volume s'inscrit sous le signe des lavis de Colette Deblé, peintre, qui consacre son travail depuis 1990 à la représentation des femmes dans l'histoire de la peinture. Ses aquarelles fluides empruntent leurs figures féminines aux grandes œuvres originales qui les ont mises en scène – ici la peinture des vases grecs. Elles font transparaître, sous leurs singularités, une parenté vivante, comme les figures du chœur tragique chantent et dansent leur communauté multiple.
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