Entre mémoire et marques de territoires des mondes anciens à nos jours
Pour les nomades, ces "sociétés à pattes", comme les surnomme le géographe Christian Grataloup, les marques de territoire constituent à la fois des formes de repérage et d'appropriation de l'espace. Ainsi, les populations turco-mongoles de l'Asie centrale à la Mongolie possèdent-elles certaines pratiques culturelles communes relatives à la gestion de leurs espaces désertiques et montagneux. Dans ces milieux difficiles par les sols et les climats, les nomades établissent des liens avec le visible et l'invisible par le biais de gestes rituels, qui alliés à certains aménagements anthropiques, participent d'une sorte d'apprivoisement de la nature.Trois thématiques explorent ici la façon dont les peuples de Mongolie contrôlent et interagissent avec leurs espaces: les pratiques culturelles symboliques, l'usage tardif et administratif de la cartographie, et l'attachement à des objets renvoyant aux lieux de mémoire ancrés dans le territoire. Les voyageurs et les géographes, d'Orient comme d'Occident, qui visitèrent ces contrées éloignées du Moyen Âge à l'époque moderne, avaient d'ailleurs bien consigné la singularité des territoires, des hommes et des croyances, et l'importance pour les imaginaires du souvenir de l'empire mongol.Un souvenir qui se perpétue dans les contrées voisines de la Mongolie, le Kazakhstan notamment, naguère partie intégrante de cet empire, et qui eurent d'ailleurs un destin politique quasi similaireau XXe siècle, jusqu'à ce que la liberté retrouvée des peuples redonne à l'islam local un rôle pour ainsi dire mémoriel et identitaire.
Entre Orient et Occident, les métiers de l'écrit à la marge
Jusqu'où les pratiques de l'écrit se sont-elles professionnalisées au Moyen Âge et à l'époque moderne? La fonction sociale des scribes ou copistes est souvent symboliquement liée aux textes sacrés, en Occident comme en Orient. Mais la transmission des savoirs par l'écriture déborde le cadre religieux pour s'insinuer progressivement dans une multitude de milieux sociaux, où elle peut se situer dans des formes de marginalité. L'écrit ne supplante pas l'oralité, mais dialogue avec elle dans nombre de métiers jusqu'à l'époque moderne, malgré la diffusion des imprimés. Dans une perspective comparatiste menée à l'échelle des civilisations dites de l'écriture, ces contributions ont été rassemblées dans un espace centré sur la chrétienté occidentale et le monde islamisé de l'Inde au Levant, mais qui effleure l'Extrême-Orient et qui inclut la culture juive. Les "écrivants" peuvent être des transmetteurs (rawiya) ou des traducteurs insérés dans la République des Lettres, des maîtres soufis ou des poètes populaires, des prisonniers ou des artisans… Leur identité repose souvent sur différents métiers, ce qui trouble leur représentation, notamment dans l'iconographie. L'écrit s'insère également dans une culture matérielle qui génère des activités autour des textes, celle des relieurs, des peintres et enlumineurs, des illustrateurs. De ce fait, leur rôle essentiel peut-il être, dans les approches historiques et littéraires contemporaines, encore repoussé dans les marges?
Entre mythes, orientalisme et constructions identitaires
Mystérieux "Touran": si ce terme, qui renvoie à une région mal définie d'Asie centrale, est aujourd'hui mal connu en France, son usage est plus répandu dans d'autres pays, où il reste étroitement associé à une nostalgie folkloriste, voire à un programme politique nationaliste. Dans ce contexte, il désigne souvent un foyer originel fantasmé et ses habitants, les "Touraniens", apparaissent à la fois comme des ancêtres glorieux et des figures tutélaires pour l'avenir. Comment le terme Turya, issu du corpus avestique et de l'épopée iranienne du Shah nama (xie siècle), finit-il par désigner en Europe, à partir de la fin du xviiie siècle, une hypothétique famille de langues, un groupe de peuples, voire une "race" humaine imaginaire? Cet ouvrage propose la première étude transhistorique et transnationale du terme "Touran" et de ses usages depuis la Haute Antiquité jusqu'à nos jours, en Europe, en Asie centrale et en Turquie.