Voukoum – " désordre " en créole – est un groupe qui occupe un espace de contestation sociale et politique majeur au sein du carnaval guadeloupéen. Né à Basse-Terre en 1988, ce mouvman kiltirèl se distingue d'autres formations carnavalesques par son approche spirituelle radicale et son lien revendiqué à l'Afrique. Flore Pavy, anthropologue entrée dans le groupe comme musicienne, décrit minutieusement le Mas, le rituel de transformation et de mise en mouvement des corps de Voukoum. Elle met en lumière des processus de créativité rituelle qui permettent, tout en s'inspirant d'autres pratiques culturelles caraïbéennes contemporaines, de retrouver une sacralité africaine ancestrale.En quoi la technique du Mas s'inscrit-elle dans l'histoire postcoloniale et évoque-t-elle la déportation et la mise en esclavage? Comment Voukoum lutte-t-il contre la société de consommation et dénonce-t-il les rapports de domination encore à l'œuvre aujourd'hui? Quelle place ses membres confèrent-ils à la sauvegarde du patrimoine vivant, de la langue créole et, en particulier, de l'art musical gwoka?Faisant la part belle aux témoignages des acteurs du carnaval, cet ouvrage offre une vision encore largement méconnue de l'histoire de la Guadeloupe et de la place singulière occupée par les Antilles françaises dans l'aire caribéenne. Voukoum, esprits rebelles du carnaval guadeloupéen initie le lecteur à la vie d'un collectif qui s'efforce publiquement de " reconstruire le fil rompu des liens ancestraux et toujours réinventer les récits essentiels ".
Victoire féministe, l'allongement du délai légal de l'interruption volontaire de grossesse confère aux femmes une autonomie corporelle qui semble a priori peu compatible avec l'attention portée aujourd'hui à l'embryon et au fœtus. Ceux-ci, grâce aux progrès de l'imagerie médicale et des biotechnologies, s'imposent comme des êtres sociaux, inclus dans des dynamiques parentales, médicales et juridiques.Dans ce contexte apparemment paradoxal, comment la société française met-elle en place des procédures de régulation, d'organisation et d'institution qui tentent de concilier autonomie féminine et vie anténatale ? Pourquoi le fœtus avorté à la quatorzième semaine de grossesse est-il qualifié de " déchet anatomique ", tandis que, décédé lors d'une fausse couche une semaine plus tard, on délivre à leur demande aux parents un acte d'enfant sans vie? Comment interpréter les statuts variés de l'être avant la naissance, entre " protopersonne " et résidu d'un processus biotechnique, entre " quasi-enfant " et " pièce anatomique " ? À quel moment peut-on considérer les porteurs d'un projet parental comme " parents " ? Comment sont vécues les fécondations in vitro ou les morts périnatales ?Anne-Sophie Giraud, anthropologue de la procréation au CNRS, répond à ces questions délicates et parfois polémiques à partir d'une vaste enquête portant sur les processus d'engendrement. Avec une grande rigueur scientifique et à l'aide de nombreux entretiens, L'Être anténatal démontre que l'engendrement doit être compris comme un processus de transformation physique et statutaire inscrit dans une temporalité propre et organisé autour de situations de choix.
Éthiques et politiques des appartenances et différences
Entre affirmation d'appartenances et confrontation aux différences, quel rôle la notion de culture joue-t-elle dans l'orientation des conduites individuelles et collectives? Comment est-elle devenue un référent moral globalisé, construit autour des idéaux de respect et d'enrichissement mutuels, et, simultanément, un support de distinctions parfois rigides et conflictuelles? Quelle place les considérations éthiques et morales prennent-elles dans la régulation des politiques et pratiques culturelles?De l'Australie au Pérou, des Pays-Bas au Mali, de la Suède au Mexique, en passant par la France et la Roumanie, les quatorze anthropologues et sociologues réunis pour ce livre par Guillaume Alevêque et Arnauld Chandivert portent un regard critique sur leurs terrains de recherches pour interroger les processus de moralisation de la culture et du patrimoine.À l'heure où les nationalismes, les migrations, les religions et les pratiques mémorielles, artistiques ou festives nourrissent de vives polémiques, cet ouvrage constitue une approche aussi inédite qu'essentielle des interactions entre culture et morale. Que font l'éthique et la morale à la culture? Que fait la culture à la morale?Loin de ne rendre compte que d'oppositions et d'asymétries, les contributions témoignent de l'imbrication des régimes éthiques et moraux appliqués aux problématiques culturelles, sans se satisfaire de lectures schématiques des questions de valeurs, qui saturent de nos jours les discours et débats publics.
Dans les coulisses des orchestres de musique classique
— Ah, vous êtes musicienne ? Vous jouez quoi ? — De l'alto. — Ah… et vous jouez dans un orchestre ? — Euh… disons que je joue plutôt dans " des " orchestres. Delphine Blanc, docteure en sociologie et altiste, a souvent ce type d'échanges qu'elle fait immanquablement suivre de quelques explications permettant d'éclairer son interlocuteur sur sa profession de musicienne. Si certains musiciens jouent en effet dans le même orchestre durant toute leur carrière, on ignore souvent que d'autres, au contraire, se produisent rarement deux semaines de suite dans le même. Il n'existe d'ailleurs pas un seul type d'orchestre, mais plusieurs, répondant chacun à des modèles économiques, sociaux ou artistiques différents. Ces formations sont, de plus, composées de musiciens, mais pas seulement. Il faut compter tous ceux qui travaillent en coulisse : administrateurs et régisseurs, notamment. Entre ces métiers et ces parcours si divers, les usages et les relations de pouvoir sont très variables. Elles donnent naissance à des collectifs aux visages multiples, objets d'études de ce livre qui, s'appuyant sur de nombreux témoignages d'acteurs de la profession, offre une immersion passionnante dans un monde complexe et donnant encore lieu à de nombreux préjugés, tout en répondant à un grand nombre de questions souvent sans réponses auparavant. Ainsi, comment l'organisation de ces orchestres pèse-t-elle sur les comportements individuels ? L'engagement contractuel influence-t-il l'engagement artistique et faut-il, pour être un " vrai " musicien, perpétuer l'idée d'une bohème romantique où n'est artiste que celui qui accepte le risque et l'incertitude ? Cet ouvrage propose d'entrer, au-delà de la scène et des instrumentistes, dans les coulisses et les bureaux des orchestres de musique classique.
En 2016, s'éteignait Daniel Fabre, une figure originale de l'anthropologie française qui, après avoir marqué Toulouse de son empreinte, a poursuivi à Paris sa carrière de directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). La diversité des hommages qui lui ont été rendus depuis sa disparition témoignent aussi bien de la densité de sa vie intellectuelle que de la diversité de ses implications institutionnelles. Après le colloque de Toulouse en février 2017 dont rend compte Daniel Fabre, l'arpenteur des écarts, publié dans la même collection, celui organisé dans la capitale en octobre 2018 entendait resserrer la focale sur les années " parisiennes " de cet anthropologue, celles qui virent la création et le développement du Laboratoire d'anthropologie et d'histoire sur l'institution de la Culture (LAHIC). Sans pour autant s'y cantonner. Ainsi les contributions rassemblées ici s'emploient-elles à mettre en évidence la singularité d'une posture d'anthropologue occupé à comprendre le phénomène global d'institution de la culture, et, dans le même temps, engagé dans un dialogue de longue haleine avec le ministère de la Culture, ouvrant ainsi la voie à une anthropologie du patrimoine aujourd'hui florissante. Mais au-delà de l'aventure lahicienne, les auteurs mobilisés embrassent plus largement l'ensemble du parcours de Daniel Fabre, afin de tirer les fils rouges qui le traversent. Repérant ces constantes tant du côté des objets que des outils d'analyse, ils soulignent la cohérence d'une œuvre, marquée au coin de cette sensibilité profonde aux traces du passé qui a fait de son auteur l'un des derniers romantiques.
Directeur d'études à l'EHESS, Daniel Fabre (1947-2016) est une figure marquante de l'anthropologie française. Fondateur, avec le préhistorien Jean Guilaine, du Centre d'anthropologie des sociétés rurales, il a structuré la recherche et l'enseignement de l'anthropologie à Toulouse par les nombreux séminaires qu'il y a donné jusqu'à la fin des années 1990.Les textes ici réunis rappellent et prolongent sous forme d'hommage les différents chantiers qu'il avait ouverts dans la première partie de sa carrière et qui ont largement marqué et distingué la manière " toulousaine " de faire de l'anthropologie. Manière " ancrée " dans le monde occitan en premier lieu, puisque Fabre s'est inscrit dans le sillage des anthropologies autochtones qui visaient à combattre le colonialisme intellectuel intérieur et à mieux préciser les caractéristiques des communautés du Sud. Ce fut la porte d'entrée pour le développement d'une anthropologie de l'Europe qui fut marquée du double sceau de l'anthropologie historique d'une part et de l'anthropologie du symbolique d'autre part, adaptant à la matière européenne les démarches éprouvées ailleurs par Claude Lévi-Strauss.C'est à partir de ces cadres généraux que Daniel Fabre élabora d'importantes questions de recherche qui ne cessèrent dès lors de l'animer: le problème des passages à l'âge d'homme dans les sociétés européennes, les enjeux de l'écriture comme acte social et symbolique, et les contours d'une anthropologie de et avec la littérature.
Ce volume dresse une bibliographie générale – quoique nécessairement lacunaire, fondamentalement inachevée – de l'œuvre de Daniel Fabre.Directeur d'études à l'EHESS, Daniel Fabre (1947-2016) est une figure marquante de l'anthropologie française. Son insatiable curiosité le porte à étudier la littérature orale, le carnaval, les communautés rurales et la théorie de l'initiation, les écritures ordinaires, les formes modernes du culte de l'artiste et de l'écrivain, à aborder l'anthropologie des arts et de la littérature, à considérer l'histoire européenne du regard ethnologique, à promouvoir une ethnologie du patrimoine et à inscrire l'institution de la culture dans une approche anthropologique.Fondateur, avec le préhistorien Jean Guilaine, du Centre d'anthropologie des sociétés rurales (devenu par la suite Centre d'anthropologie de Toulouse), il a structuré la recherche et l'enseignement de l'anthropologie à Toulouse par les nombreux séminaires qu'il y a donné jusqu'à la fin des années 1990. En 2000, il a participé à la création du Laboratoire d'anthropologie et d'histoire de l'institution de la culture (Lahic) au sein de l'Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain (IIAC UMR 8177, CNRS / EHESS), dont il a pris la direction en 2013. À partir de 1999, il a enseigné l'anthropologie des religions à l'université de Rome " Tor Vergata ". De 2004 à 2008, il fut président de la section 38 (" Anthropologie ") du Comité national de la recherche scientifique du CNRS. De 1993 à 1997, il a présidé le conseil de la mission du Patrimoine ethnologique du ministère de la Culture. Il a également contribué à fonder et dirigé l'ethnopôle Garae (Carcassonne). Membre du comité de rédaction de la revue Ethnologie française et de L'Homme. Revue française d'anthropologie, il a codirigé avec Jean Jamin la revue Gradhiva.
" L'orgue joue ", dit-on souvent, en oubliant que derrière les buffets de ces instruments et derrière leurs tuyaux impressionnants, un musicien œuvre dans l'ombre, tissant ensemble les notes et les sons, façonnant dans l'acoustique une voie pour la musique. A l'écart des scènes de concerts, dans les hauteurs des églises, les organistes s'effacent d'autant que la présence de leur instrument s'impose. Qui sont ces musiciens méconnus, ces artistes de l'invisible que l'on entend mais que l'on ne voit pas?Ce livre est une invitation à grimper les marches des tribunes et entrer dans l'univers insoupçonné des organistes. Il s'appuie sur une enquête de terrain menée en France ainsi que sur des récits de vie qui, mis en échos, révèlent la trame initiatique de l'apprentissage de cet instrument singulier qu'est l'orgue. Comment devient-on musicien lorsqu'on joue d'un instrument caractérisé par sa démesure, à l'écart du monde de la musique, dans l'intimité des églises? Au fil des pages, l'auteur, ethnologue, rend sensible la nécessaire et délicate transformation des apprentis-organistes en musiciens accomplis, depuis la découverte de l'instrument jusqu'à sa maitrise, qui est aussi celle de la passion qu'il suscite.A la croisée d'une ethnologie contemporaine de la musique et des savoirs, comme par le recours à l'histoire, cet ouvrage rend compte des mutations profondes qui, dans une société sécularisée, modèlent le devenir de celles et ceux qui choisissent la voie des orgues.
Cet ouvrage collectif vient à un moment où l'activité patrimoniale a largement débordé ses institutions officielles et où sa couverture par les sciences humaines et sociales a pris une consistance certaine. En dix textes et au moins autant de situations, en France, à Rhodes, à Tonga, en Uruguay et en Colombie, il donne à saisir des " implications anthropologiques " de et dans l'exploration de cette activité, à partir desquelles se dessinerait un fil conducteur permettant de parcourir, sans la réduire, sa grande hétérogénéité. Qu'on la prenne sous l'angle de l'irruption du patrimoine dans les terrains (de jeu) des anthropologues ou bien sous celui de la constitution du patrimoine en un domaine singulier de recherche, l'anthropologie du patrimoine apparaît inséparable des interrogations récurrentes sur la catégorie de culture : sur son institution, sur sa mise en scène, sur sa spectacularisation, sur les façons de l'écrire comme sur la critique de son pouvoir de purification, de hiérarchisation ou de domination. Que montrent ces écritures anthropologiques de patrimoines ? Qu'en se frottant aux expériences du passé, de la culture, religieuse ou profane, de la quête de reconnaissance, de la mémoire des violences de guerre, de la discrimination sociale, de la ruine des choses du monde, les anthropologues font l'expérience du patrimoine, instrument politique aux multiples fonctions : contrôle, aménagement, restauration, réparation, reconnaissance…