Dans le second XIXe siècle, la révolution industrielle change le rapport au travail et à la question sociale. Les usines se développent et la main-d'œuvre ouvrière est un maillon essentiel dans la France industrielle, celle des travailleurs du fer qui œuvrent à la lueur des hauts-fourneaux, des travailleurs de l'industrie textile dans le Nord, confrontés à l'enfer des tisseurs, et des travailleurs du feu, avec leurs cueilleurs et leurs souffleurs. Cet univers des ouvriers verriers sert de cadre à une pièce inédite de Georges Darien: La Viande à feu (1907). À la tâche, on ne trouve pas simplement des adultes, mais des enfants affrontant la violence des patrons, la faim, l'indignité, et les brasiers des fours, des enfants en somme devenus de la " viande à feu ". C'est dans ce contexte que Georges Darien, dramaturge de sensibilité anarchiste, choisit de mettre en scène une enfance sacrifiée, tout en prenant soin d'associer ce motif révoltant à d'autres thématiques: la fausse philanthropie, le bourgeois sans scrupule pour qui seul compte l'argent, le prêtre devenu un " monstre en soutane " œuvrant à de basses besognes – esclavagisme, complicité d'attentats à la pudeur. À travers une pièce qui emprunte à la société du début du XXe siècle, qui lui est contemporaine, Darien esquisse la peinture d'une " Comédie Inhumaine " ouvrière, manière pour lui de proposer un nouveau " Théâtre Social ", théâtre qui questionne et qui tout à la fois fait date, tant pour ce qui est du ton adopté que des rapports qu'il entretient avec le genre dramatique.
Grand bibliophile troyen du XIXe siècle, Charles des Guerrois (1817-1916) légua les 45 732 volumes composant sa précieuse collection à la bibliothèque de sa ville. Dans les archives manuscrites du collectionneur, également conservées à la Médiathèque de Troyes, figurent deux nouvelles inédites que le présent volume se propose de donner à lire pour la première fois dans leur intégralité. D'inspiration autobiographique, les deux récits Le Bouquineur et Une histoire de livres mettent en scène deux bibliophiles passionnés. En relatant les heurs et malheurs de collectionneurs cultivant le goût immodéré des livres, ces contes bibliophiliques illustrent une pratique et une conception de la bibliophilie inspirées par trois principes que l'auteur avait lui-même revendiqués: " goût, curiosité, érudition ". Aucune modification n'a été apportée aux textes. Seules quelques notes ont été ajoutées afin d'en faciliter leur compréhension.
La formation du prince chrétien occupe au Grand Siècle une place de choix dans les préoccupations des pères de la Compagnie de Jésus dont on connaît l'engagement en matière de pédagogie. Composé de textes jésuites d'origine française ressortissant à l'éloge du prince et puisant à des genres littéraires variés (discours parénétiques, poèmes allégoriques, traités, relations de festivité), ce corpus en français et en latin porte l'enquête sur l'éducation des deux dauphins devenus rois sous le nom de Louis XIII et Louis XIV. Du Catéchisme royal de Richeome imprimé à l'occasion du baptême du futur Louis XIII, à l'Eloge du roy Louis XIV. Dieu-donné paru en 1651, discours testamentaire et politique à travers lequel le père Nicolas Caussin envisage à nouveaux frais les rapports de l'Église et de l'État, ces textes portent tout à la fois des ambitions panégyriques et didactiques en proposant des suites d'exhortations et de conseils destinés à l'institution du prince. Ils livrent un témoignage éclairant sur l'histoire des idées religieuses, politiques et éducatives, l'histoire des comportements et des représentations de la première moitié du xviie siècle en France.
The seven articles in this volume, written by French and German specialists in book history, address various aspects of the materiality of print culture, examining both the processes of book production and the paths of book circulation. They explore notions of composition, collection and circulation of texts and images, from manuscript to books designed for specific readers. They are based on a variety of sources from archive documents to the study of specific manuscript or printed copies. The perspective is transnational, taking at Gutenberg's Europe as a space for the circulation of print, and concerns early modernity, from the fifteenth to the eighteenth centuries.
Pierre Corneille (1606-1684), dramaturge du " Grand Siècle ", auteur du Cid, poète rouennais peu enclin à la vie de cour parisienne fut, de son vivant déjà, l'objet d'anecdotes. Ses personnages contribuent notamment à façonner le portrait de l'homme de lettres, dans un effet constant de spécularité. Aux côtés de Molière, homme et écrivain du rire, et de Racine, homme et écrivain de la passion, Corneille homme et écrivain du miroir, incarne à tour de rôle la loyauté, la vertu et la dignité.L'histoire littéraire construit donc un Corneille-personnage qui vient parachever le portrait de l'écrivain. Aussi les légendes de la querelle littéraire, de l'aimable père de famille rouennais à l'écart de l'agitation courtisane ou de l'inégalé versificateur n'ont-elles rien à envier à celle du Cid.Or au XVIIIe et au XIXe siècles, le phénomène prend de l'ampleur : des commémorations et des célébrations impliquant non seulement la représentation de pièces de Corneille mais aussi des pièces de circonstance ont Corneille pour personnage. Montrant le père, l'époux, le frère et le dramaturge à sa table de travail, elles invitent au spectacle d'un double devenir Corneille. Avec en point d'orgue deux questions qui président à la réalisation d'un tel spectacle : comment un juriste provincial est-il devenu un grand auteur, comment l'histoire littéraire a-t-elle fabriqué sa mythologie ?
Liminaires des recueils français de narrations plaisantes (XVe-XVIIe siècles)
Les recueils de narrations plaisantes et facétieux devis, publiés par dizaines en France entre les débuts de l'imprimerie et la fin du XVIIe siècle sont, pour la plupart, dotés de textes liminaires variés et nombreux. Préfaces, introductions, avis aux lecteurs, remarques de l'imprimeur-libraire, épîtres dédicatoires et autres poèmes rédigés par les amis de l'auteur constituent, pour les lecteurs de la première modernité, des " seuils " familiers qui renseignent sur les enjeux de cette littérature plaisante.Le présent volume fait donc entendre les propos qui ont été tenus à la fois sur et à côté des histoires récréatives. Rassemblant des considérations pragmatiques, stylistiques, morales, publicitaires, tantôt sérieuses, tantôt humoristiques, les pièces ici réunies invitent à la (re)découverte d'un ensemble d'une cinquantaine d'œuvres, des Cent Nouvelles nouvelles à la Gibecière de Mome. Dans leur profusion et leur variété, ces discours réinscrivent les récits qu'ils accompagnent dans des pratiques attestées de divertissement, tout en nourrissant un imaginaire du rire comme antidote aux tourments de l'existence.
De l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres à la lieutenance des habitants de la ville de Reims, le parcours intellectuel et social de Levesque de Pouilly (1691-1750) fut accompagné d'échanges avec nombre de personnages célèbres: philosophes, écrivains, scientifiques et hommes politiques. Sa Théorie des sentiments agréables, dont on donne ici la première édition critique en se fondant sur la dernière version remaniée par l'auteur, est le fruit d'une assez longue réflexion encouragée par ses plus proches amis. Largement diffusée et rééditée encore de manière posthume en 1774, cette œuvre qui associe l'analyse du sentiment moral à une réflexion sur les arts et la rhétorique ne se réduit pas à un simple hédonisme: enracinée dans une excellente connaissance de la culture gréco-latine, la Théorie des sentiments agréables combat les idées de Bayle tout en prolongeant les réflexions engagées par les philosophes anglais; dans son théisme, elle demeure notamment marquée par la méthode newtonienne et par les choix des Modernes. L'Encyclopédie reprendra plusieurs de ses analyses, montrant ainsi que l'ouvrage s'inscrit dans le mouvement des Lumières.
Corps sensuels et alanguis, harmonie des formes et des couleurs, culte de la beauté et de la sensation: c'est au Royaume-Uni, au cours du dernier tiers du règne de Victoria (1837-1901), que naît l'esthétisme, sur lequel cet ouvrage a l'ambition d'offrir un éclairage pour un public francophone.Courant artistique et littéraire multiple et contradictoire, associé à des peintres tels que Burne-Jones, Leighton, ou Whistler, à des écrivains comme Pater, Ruskin, Swinburne ou Wilde, l'esthétisme est à la fois intrinsèquement britannique – fondé sur un prolongement de l'art préraphaélite et le rejet d'une industrialisation qui a radicalement transformé les paysages et les modes de vie du Royaume-Uni au fil du xixe siècle – et résolument européen, puisant ses sources dans la philosophie allemande et chez des écrivains français comme Baudelaire ou Gautier. Le mouvement esthétique est également trans-artistique et ne saurait se saisir qu'à travers la mise en regard du texte et de l'image – l'étude de l'influence réciproque de la peinture et de la littérature et l'examen d'une critique d'art subjective et créatrice.Ce volume se propose de cerner les contours de ce mouvement polymorphe, qui trouble les genres et les catégories, à travers la traduction richement annotée de quelques-uns des écrits critiques clefs qui en définissent ou en illustrent les principes. La seconde partie de l'ouvrage réunit quatre études rédigées par des spécialistes du champ. Elles portent sur les motifs fondateurs de l'esthétisme et interrogent les rapports inter-artistiques au cœur d'un mouvement qui se situe au seuil de la modernité et dont l'influence excède les frontières strictes du Royaume-Uni.
Pratiques textuelles et éditoriales dans l'Europe du XVIIIe siècle
Le présent volume se propose d'étudier dans une perspective comparatiste les pratiques textuelles mettant en scène la confession ou l'aveu, qui caractérisent un certain nombre de textes libertins, licencieux ou pornographiques du XVIIIe siècle, publiés en Angleterre, en Hollande, en France et dans les pays germanophones. Ce type d'énonciation, dans le contexte d'une publication imprimée, repose sur une tension entre l'intimité sexuelle et la diffusion collective par le livre: cette exhibition de l'intime est constitutive du plaisir visé par ce genre de textes, mais elle rencontre évidemment les normes sociales de la représentation littéraire. Parfois supprimée, souvent tolérée, cette littérature connaît une large diffusion européenne. Même si la lecture individuelle restaure un effet d'intimité, le passage par la sphère éditoriale publique joue donc un rôle dans l'architecture de ces récits. Trois aspects sont mis en valeur: le rôle que les textes réservent à la mise en scène des aveux et de la confession, l'impact des pratiques de contrôle par les autorités publiques, la réception et la circulation des textes auprès du lectorat.Helga Meise est professeur de littérature allemande, Jean-Louis Haquette est professeur de littérature comparée, tous deux à l'Université de Reims Champagne Ardenne.