La problématique de l'errance s'est déplacée, au cours des temps modernes, de son acception géographique, le mythe de hobo américain, jusqu'à sa dimension intérieure qui place le sujet comme frontière (Wittgenstein) entre une intériorité et une extériorité. D'une quête itinérante, l'errance est devenue pour beaucoup un état de suspension, une attente ordinaire et immobile où l'on espère même plus un futur radieux, une expression subjective du désenchantement du monde vécue sur le mode de la résignation et du repli sur soi. Dans un même temps, la question de l'errance est indissociable de celle de la liberté, non pas au sens du XVIIIe siècle, mais d'une liberté abyssale (de Baudelaire à Arendt). Entre aliénation et résistance, c'est du côté des marges que nous sommes partis à la recherche du sens émergeant (banlieues, territoires de la catastrophe, lieux de relégation, campagnes " profondes ", ou tout simplement rues et passages quotidiens) dans les diverses formes de l'errance contemporaine (exil, nomadicité, désaffiliation, recherche artistique, etc.). Nous avons souhaité que ce numéro 9 de la revue Mana soit le plus largement ouvert aux expériences de terrains réalisées par différents chercheurs ayant exploré, chacun à sa manière et en balayant des champs de production théoriques riches et variés, ce qui dessine, " en errance ", les contours de la socio-anthropologie.
Le paysage de la toxicomanie est en constante évolution, aussi bien en ce qui concerne les produits et les usages de psychotropes que les pratiques des intervenants. Le langage politique a, lui aussi, changé, s'appuyant davantage sur les progrès des connaissances. Bien que la loi de 1970 qui régit l'usage de stupéfiants n'ait pas été révisée, la France s'inscrit maintenant dans un paysage européen qui prône davantage des politiques de réduction des risques que de répression. Une grande innovation consiste aussi à avoir brisé le tabou autour des drogues et à vouloir prendre en charge aussi bien les consommations problématiques de psychotropes illégaux que celle de produits réglementés mais autorisés comme l'alcool.C'est pour tenir compte des multiples facettes des questions posées par les usages de psychotropes, et par le contrôle de ces usages, que ce numéro de Mana a été conçu. On peut y suivre plusieurs fils conducteurs, agissant à plusieurs niveaux. Les notions de " facteur de risque " ou de " prise de risque " sont deux de ces fils conducteurs. Elles régissent aussi bien les pratiques des intervenants, magistrats ou soignants, que l'action publique ou encore la prise de produits psychotropes. Elles tendent à remplacer les anciennes notions d'infractions ou de maladie, présentes dans la loi de 1970 sur l'usage de stupéfiants, mais aussi encore fortement opérantes dans l'imaginaire des autres acteurs sociaux.Le numéro comprend aussi bien des contributions de chercheurs confirmés que de jeunes chercheurs et de praticiens. Il apporte des éléments pour une meilleure compréhension de l'évolution de la politique de santé en matière de drogues.
Dans le contexte de dérégulation et parfois même de destitution des droits sociaux qui est le nôtre, ce numéro de Mana se propose d'étudier les " politiques de la question sociale " au Brésil et en France. Si tout semble séparer ces deux pays, la comparaison de leur histoire sociale et politique, de leurs luttes et de leurs mouvements sociaux, de leurs dispositifs de protection et de négociation sociales, montre que les modalités de formulation de la question sociale sont indissociables de modes de constitution différenciés de la respublica. Qu'il s'agisse notamment des enjeux du chômage, du logement, de la flexibilité ou du tiers secteur, la question sociale chemine toujours, en France comme au Brésil, par la revendication de droits, l'approfondissement de la participation démocratique et l'invention de nouvelles formes de solidarités et de nouvelles figures du bien public.Et si dans ces deux pays, pour des raisons et dans une mesure différentes, les destins de la citoyenneté sociale ont souvent été contrariés, reste néanmoins que l'invention démocratique se nourrit d'un tel horizon, dès lors que face aux discours humanitaires d'une philanthropie renaissante, aux exigences d'une économie de marché mondialisée et aux modes de gestion bureaucratisés des " besoins sociaux " l'espace public retrouve ses droits.