Ce nouveau numéro s'ouvre avec une " Chronique " sur le succès fulgurant de Javier Milei: le président argentin serait-il un leader charismatique? Un dossier thématique est ensuite consacré aux usages de la notion de " cryptotype " en anthropologie. Ce terme, forgé dans les années 1930 par Benjamin Lee Whorf, désigne des catégories grammaticales dont les significations se laissent partiellement déchiffrer par l'examen des contextes syntaxiques. S'inspirant de ce fait de langue, les contributeurs de ce dossier analysent la dialectique subtile du manifeste et du caché, de l'évident et de l'inévident, qui caractérise certains usages pragmatiques du langage. En comparant le récit autobiographique d'un missionnaire américain en Afrique du Sud et le récit de vie d'un guerrier zulu retranscrit et traduit par ce même missionnaire, le premier article met au jour un processus d'effacement ancré dans les idéologies de la langue et l'identité des protagonistes. Le deuxième article nous conduit dans une communauté quechuaphone des Andes péruviennes, où la dénonciation anonyme d'un adultère déclenche des dissensions internes traversées de non-dits et apparaît comme un stigmate genré. La contribution suivante est une étude sur les relations de parenté d'évitement qui, si elles prennent la forme d'attitudes négatives, ont cependant une dimension positive à travers des signes fugaces dont on peut montrer la structure graduelle. La dernière contribution porte sur la consultation d'un oracle du monastère tibétain de Nechung. La parole du médium est ambiguë et ouverte à de multiples interprétations, offrant la possibilité de repérer les stratégies sémiotiques et interactionnelles mises en œuvre par les participants pour composer avec cette opacité. Enfin, le numéro se clôture par la réponse de Nathalie Heinich à l'" À Propos " qui était consacré à son ouvrage sur la valeur des personnes.
Les articles réunis par Adèle Blazquez et Martin Lamotte dans ce numéro double consacré aux " Économies de la prédation " s'attachent à décrire des situations singulières à travers le monde, dans lesquelles des pratiques d'extraction des ressources naturelles, d'accaparement des terres, de captation des soutiens financiers, de mise en dépendance, de dépossession et d'usages irréguliers et discrétionnaires du droit sont à l'œuvre. Quels que soient le cas étudié et l'objet convoité (du bois de santal en Inde du Sud aux palmiers à huile en Indonésie, du marbre de Carrare en Italie aux champs de fraises en Andalousie, en passant par des prélèvements biologiques au Mali et la spéculation foncière au Mexique), ces contributions s'inscrivent toutes dans une démarche ethnographique et pragmatique. Leurs auteurs et autrices donnent à voir non seulement la façon dont l'accumulation de richesses par les uns suppose la destruction des possibles des autres, mais aussi la réalité sociale des expériences vécues par les différents acteurs pris dans ces situations de prédation. Une recension croisée d'ouvrages de Jaume Franquesa, Tania Murray Li et Amy Penfield vient compléter cette mise en perspective de dynamiques prédatrices inhérentes au capitalisme du XXIe siècle. Enfin, dans un entretien conclusif, les éminents représentants de l'anthropologie politique contemporaine que sont Judith Scheele, Philippe Bourgois et Laurie Kain Hart ont été invités à échanger sur les tensions que renferme cette notion de prédation et sur l'emploi qu'ils en font dans leurs travaux respectifs.
Numéro Varia avec une série d'études et essais originaux, accompagnés de recensions d'ouvrages récents et de textes courts rendant compte des débats qui traversent l'anthropologie aujourd'hui.
Ce numéro de L'Homme propose de renouer le dialogue interdisciplinaire entre l'histoire et l'anthropologie à partir de la notion de " sensibilité " entendue au sens large : celle-ci regroupe ainsi les divers sens extéroceptifs et intéroceptifs (ouïe et odorat, mais aussi kinesthésie et proprioception) ; les émotions, et tout le travail de régulation dont elles sont l'objet ; ainsi que les sentiments qui irriguent aussi bien les structures de parenté que les élans patriotiques, mais répondent aussi à une logique propre (culpabilité, nostalgie, acédie, etc.).
Une nouvelle fois, ce numéro de L'Homme ouvre ses pages avec une " Chronique " traitant des bouleversements du monde contemporain. Bénédicte Brac de la Perrière y propose une analyse fine et empathique du drame qui affecte l'ordre politique et social de la Birmanie, un pays en guerre civile et pris en étau entre les intérêts divergents des puissances internationales. S'ensuivent deux " Études & Essais " qui décalent notre regard sur les assignations ontologiques. Paul Codjia et Magda Helena Dziubinska nous dévoilent les arcanes de l'agir politique des Wampis et des Kakataibo face aux industries extractives, mettant à profit les possibilités offertes par la notion de souveraineté pour faire valoir leurs droits. Loin de se dérober à l'emprise du monde moderne, ces populations cherchent à s'inscrire stratégiquement dans les enjeux de pouvoir qui façonnent l'Amazonie péruvienne depuis l'aube de l'ère libérale. Quant à Laurie Vandevelde, elle nous transporte chez des oiseleurs brésiliens pris dans des relations amoureuses interspécifiques pour le moins ambiguës et montre ainsi la contingence, autant que le caractère situé de la frontière entre nature et culture. Ce sont ensuite trois prophètes d'Afrique subsaharienne qui retiennent toute l'attention de Ramon Sarró dans le texte de la conférence Lévi-Strauss qu'il a prononcée en 2021. En discutant de ce qui distingue et rapproche ces trois formes de prophétismes observées au cours de sa carrière, il pose à nouveaux frais la question de la comparaison en anthropologie: à quelles conditions méthodologiques une catégorie issue de la théologie et du judaïsme permet-elle de décrire des phénomènes propres à des traditions religieuses autres? Un commentaire de Julien Bonhomme prolonge l'exploration de ce problème en soulignant comment la notion d'" appel ", au cœur de tous les prophétismes, éclaire le traitement de l'imagination en anthropologie des religions. Enfin, Frédéric Keck clôt ce Varia par un " À Propos ", dans lequel les lecteurs découvriront le livre de Christos Lynteris, Visual Plague. The Emergence of Epidemic Photography (Mit Press, 2022), et ce que l'anthropologie visuelle peut apporter à la compréhension des épidémies.
Qu'est-ce que l'anthropologie peut nous apprendre sur les événements qui bouleversent l'Iran contemporain? C'est à cette question que propose de répondre Jean-François Bayart en s'appuyant sur les travaux de Fariba Adelkhah dans la" Chronique " qui ouvre ce numéro. À la suite de cette réflexion, trois " Études & Essais " illustrent une nouvelle fois la diversité des thèmes et des méthodes de notre discipline. Joëlle Vailly nous invite à pénétrer dans les arcanes des dispositifs policiers de la bio-identification de suspects d'infractions pénales en Europe, laquelle engage à bas bruit un nouveau rapport du citoyen à l'État. Puis, Dimitris Gianniodis fait le récit d'une soirée de fête sur l'île grecque de Chios du point de vue des musiciens qui l'animent. S'élèvent alors les chants improvisés des manés qui participent autant à la construction d'émotions qu'à une histoire partagée, parfois douloureuse. À ces deux études mettant en œuvre des pratiques ethnographiques très différentes, s'ajoute un essai réflexif sur la position de l'ethnographe: à partir de l'analyse pragmatique de plaisanteries récurrentes dont elle est la cible, Camille Riverti met en évidence les violences conjugales qui les sous-tendent et révèle ainsi ce que le burlesque peut avoir de politique. La discussion se poursuit ensuite sur le terrain théorique sous la plume de Urmila Nair. Dans un " En Question ", elle esquisse avec clarté les contours de l'anthropologie linguistique nord-américaine développée dans le dernier livre de Susan Gal & Judith Irvine, Signs of Difference (2019). Enfin, Arnaud Esquerre conclut ce Varia par une lecture critique de Toward an Anthropological Theory of Value de David Graeber (2001), récemment traduit en français. Dans cet " À Propos ", il commente certaines étapes de la formation de l'une des pensées les plus fulgurantes de l'anthropologie du début du XXIe siècle.
L'anthropologie britannique de ces deux dernières décennies a été marquée par une attention renouvelée aux considérations éthiques selon lesquelles les individus se façonnent comme de dignes représentants de leur société ou de leur statut. Comment le bien – le bonheur, la bonne conduite – se définit-il d'un collectif à l'autre, selon les classes, les genres ou les générations, et à quelles pratiques de cultivation de soi cela donne-t-il lieu? Que se passe-t-il pourtant lorsqu'on commence à prendre en compte le versant négatif des comportements éthiques, c'est-à-dire les conceptions du mal, de l'injustice et de la déviance qui ne cessent jamais de figurer plus ou moins discrètement en toile de fond des injonctions éthiques? Que se passe-t-il surtout lorsque les acteurs d'une situation sociale prennent conscience que leur position éthique est relative, que leurs jugements moraux sont contingents et que leur bonne moralité pourrait, selon une perspective légèrement différente, se changer soudain en de mauvaises mœurs? Ces questions sont au centre de ce numéro double, intégralement anglophone, qui offre un point de vue inédit sur l'actualité britannique de la recherche en anthropologie sociale. En s'appuyant sur une ethnographie riche et variée, auprès de journalistes indépendants ukrainiens à la veille de la guerre avec la Russie, au cœur des quartiers résidentiels de la classe moyenne protestante au Zimbabwe, parmi les Asmat de Papouasie indonésienne ou dans les Andes péruviennes, les contributions à ce numéro ouvrent une réflexion théorique riche sur les méthodes et les écueils de l'anthropologie de l'éthique et de la morale, que prolonge et conclut une postface exceptionnelle de Marilyn Strathern.
En plus d'essais originaux, mêlant comme toujours théorie anthropologique et souci du détail ethnographique, ce numéro de Varia présentera le texte de la conférence Lévi-Strauss 2021, prononcée par Ramon Sarró: " La voie des prophètes: histoire, structure et imagination ". Cette ambitieuse proposition comparative sur les imaginaires prophétiques africains sera accompagnée de deux commentaires critiques, qui engageront la discussion autour des questions de l'histoire, du rituel et de la politique en Afrique.
Ce numéro Varia s'ouvrira sur une série d'hommages à l'anthropologue américain Marshall Sahlins, récemment disparu. Plusieurs Études & Essais évoqueront des sujets aussi divers que les " enclaves " dans lesquelles les travailleurs migrants se massent à Bangkok (Thaïlande), la reconversion de sanctuaires en ateliers de fabrication de masques dans l'Iran confiné de 2020, ou encore la réappropriation du droit foncier par des communautés autochtones amazoniennes. Ce numéro se terminera par des notes de lectures: le premier épisode d'une synthèse critique des découvertes récentes sur le néolithique australien, un commentaire du dernier livre de Philippe Descola sur Les Formes du visible et une revue de la littérature concernant la notion de terroir dans l'anthropologie de l'alimentation.
Ce dossier thématique propose une réflexion comparative sur les manières dont le genre est rituellement produit à travers les sociétés humaines. Si personne ne naît nulle part homme ou femme, certains collectifs se distinguent par l'existence de dispositifs, traditionnellement appelés " rituels initiatiques " en anthropologie, censés achever et sanctionner l'identité de genre de ses membres. En présentant ces dispositifs, les contributions qui composent ce numéro s'intéressent moins aux croyances et représentations que ces rituels véhiculent qu'aux différentes façons dont ils produisent de la différence en suscitant des expériences spatiocorporelles. Le genre, à travers les protocoles qui visent à l'instituer, apparaît ainsi comme le résultat d'une dynamique de spatialisation des corps et d'incorporation des espaces, diversement actualisée selon les sociétés. Six études de cas situées en pays jóola (Sénégal et Guinée Bissau), bassari (Guinée et Sénégal), mandingue (Mali), bwaba, sémè (Burkina Faso), sénoufo (Côte d'Ivoire) et kabyè (Togo) inscrivent régionalement le numéro en Afrique de l'Ouest. Un contrepoint afro-cubain, cependant, de même qu'un article synthétique sur les espaces de l'initiation en Afrique, donnent à ce volume une portée comparative qui dépasse largement cet ancrage régional. Plus encore, le compte rendu d'un protocole d'ethnographie expérimentale mené dans un séminaire de recherche parisien, où étudiantes et étudiants se sont vus eux-mêmes et elles-mêmes initier à un rituel monté de toutes pièces par les enseignants, ouvre l'anthropologie du rituel et du genre sur des horizons méthodologiques résolument nouveaux.
Outre des articles épistémologiques portant sur la notion de perspectivisme (Camille Chamois) ou sur le " tournant émotionnel " en sciences sociales (Dominique Memmi, Gilles Raveneau & Emmanuel Taïeb), ce nouveau numéro Varia proposera deux riches ethnographies, l'une consacrée aux pratiques funéraires chez les Karen (Abigail Pesses), l'autre, aux échanges matrimoniaux pratiqués en Chine septentrionale (Renyou Hou). Enfin, dans la rubrique À Propos, Laurent Berger reviendra sur l'ouvrage de Charles Stépanoff, Voyager dans l'invisible (La Découverte, 2019).
Trois " Études & Essais " déclinent d'emblée trois façons de penser et d'exercer notre discipline. L'article de Giordano Marmone s'appuie sur la description minutieuse d'une séquence tumultueuse du cycle d'initiation samburu, au Kenya, pour mener une réflexion sur les usages stratégiques de l'échec rituel. Benjamin Balloy propose, pour sa part, de reconsidérer la question de la hiérarchie dans la société muscogee du XVIIIe siècle en Amérique du Nord, au moyen d'une étude ethnohistorique des comptes rendus de missionnaires et des récits de voyageurs. Quant à Magali Année, elle conduit une analyse ethnophilologique exigeante du verbe ἀλέγω (" se soucier de "), employé en Grèce ancienne le plus souvent sous sa forme négative οὐκ ἀλέγω, faisant ainsi écho au souhait des fondateurs de notre revue d'inscrire la linguistique au cœur du projet anthropologique.Enfin, après deux " À Propos ", par Julia Christ et Perig Pitrou, explorant les liens entre philosophie et anthropologie, nous accueillons un débat autour du livre récent de Pierre Déléage, L'Autre-mental. Figures de l'anthropologue en écrivain de science-fiction (La Découverte, 2020). Au-delà des réactions vives qu'il a pu susciter dans la presse après sa sortie, cet essai semble en effet poser – sans toutefois vraiment l'admettre – une question cruciale pour notre discipline, qu'une revue comme L'Homme ne pouvait se permettre d'éluder : qu'est-ce qu'un bon modèle en anthropologie ou, autrement dit, à quelles conditions épistémologiques peut-on décrire le monde des autres ?