La Préhistoire du feu est un sujet d'actualité et grâce aux progrès techniques, les connaissances des archéologues ont été profondément renouvelées. Pour autant, les débats restent vifs sur certains aspects essentiels, notamment celui de la date à laquelle le feu a pu être produit à volonté. Tout en reprenant les grands axes des travaux récents, la synthèse présentée ici sera résolument orientée vers une perspective technologique: innovation, diffusion de l'innovation, perte du savoir, convergences ou réinventions.
"Le 24 février 2022, les chars russes entraient en Ukraine, entamant une guerre d'une ampleur et d'une violence sans précédent en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Subitement, le thème de l'apocalypse – auquel les débats de ces dernières années sur le réchauffement climatique nous ont habitués – a pris tout près de nous un nouveau visage: celui de la guerre totale, des destructions massives et sys- tématiques, du massacre de populations civiles. Nous voici, malgré nous, invités à "faire retour" sur l'apocalypse. "Dans cette conférence inédite, Jean-Claude Schmitt interroge dans la longue durée le thème de l'apocalypse, des textes bibliques aux usages politiques qui en ont été faits durant le Moyen Âge.
Selon les sociétés et les époques, la nature des inégalités est d'une diversité extraordinaire. Pour comprendre ce phénomène, l'Histoire et les cultures humaines jouent un rôle central: ces inégalités se rattachent à des trajectoires socio-économiques, politiques, culturelles, civilisationnelles ou religieuses bien distinctes.En somme, c'est la culture au sens large (y compris, et peut-être avant tout, les mobilisations politiques) qui permet de rendre compte de la diversité, du niveau et de la structure des inégalités sociales que nous observons. À l'inverse, le poids des facteurs dits " naturels " – les talents individuels, les dotations en ressources naturelles ou autres facteurs de ce type – est relativement limité.Dans cette conférence inédite prononcée au musée du Quai Branly, Thomas Piketty présente une synthèse vivante et engagée de ses travaux. Abordant la question dans son sens le plus large, traitant de thèmes aussi variés que l'éducation, l'héritage, les impôts, les inégalités de genre ou la crise climatique, il apportera aux lecteurs des éléments de réflexion utiles dans ce débat d'une actualité brûlante: y a-t-il des inégalités naturelles?
Le corps-tube, de la Renaissance italienne à l'Amazonie
Les hommes d'Amazonie trouvent intolérable l'idée que les femmes portent des ornements de plumes ou jouent de la flûte. Les hommes de la Renaissance trouvaient menaçante et émouvante la transgression d'une femme chanteuse.Certains d'entre vous trouveront peut-être cette ethnographie amazonienne bien étrange et ces parallèles européens farfelus. Stephen Hugh-Jones répondra que ni l'ethnographie ni les parallèles ne sont aussi exotiques qu'ils le paraissent à première vue.
Quelle est la manière dont les Européens, aux XVIIe et XVIIIe siècles, vivent et appréhendent la nuit ? En dépit de la crainte de l'obscurité, la nuit n'est pas nécessairement le temps des crimes et de la violence. Paradoxalement l'éclairage public en multipliant le nombre de promeneurs nocturnes (et en les rendant " visibles ") augmente le nombre des agressions. La nuit est cependant le temps des " mauvais coups " de la part des pouvoirs régaliens (arrestations arbitraires, rafles, exécutions). Tandis que l'Église procède à une " sanctification " et à un encadrement parfois ludique des heures nocturnes (processions et fêtes diverses, feux d'artifice, etc.), la société poursuit des pratiques de sociabilité à la marge des conventions de bon aloi : cultes séléniques, débordements populaires et autres bacchanales, pratiques prénuptiales plus ou moins contrôlées. L'auteur d'une passionnante Histoire de la nuit ne manque pas d'exemples surprenants et éclairants pour questionner son objet de recherche.
Le problème des réfugiés, qui se pose avec acuité depuis un siècle, a connu au cours de la période récente de tragiques développements en raison de l'accroissement de la population fuyant les guerres, les persécutions, les catastrophes et la paupérisation, mais aussi et surtout à cause des réactions d'hostilité et de rejet observées en maints endroits de la planète. Ayant conduit pendant une quinzaine d'années des enquêtes sur l'asile en France et plus récemment en Afrique du Sud, Didier Fassin propose de reconsidérer ce que nous croyons savoir mais ne parvenons plus à penser autour de cette " question réfugiée " à travers une triple approche : généalogique, afin de remonter aux origines de l'asile ; géographique, pour rendre compte de la mondialisation de ses enjeux ; ethnographique, en s'attachant aux pratiques ordinaires d'octroi de la protection. Il révèle ainsi les intermittences de l'hospitalité, l'inégale distribution des réfugiés entre les nations et les profondes mutations de l'économie morale de l'asile. La forme de vie imposée aux nomades forcés devient ainsi une clé de lecture du monde contemporain.
Comment présenter les Roms en général quand on n'a rencontré que des Roms en particulier? C'est la difficulté à laquelle se sont confrontés les orateurs de la Conférence Eugène Fleischmann 2014, trois ethnologues des " Roms/Tsiganes " invités à présenter la situation des Roms en Europe. En s'attachant à des thèmes fréquemment traités par les media mais souvent mal connus du grand public, ils nous livrent ici, comme autant de réponses à cette "question rom" toujours mal posée, des fragments de l'insaisissable totalité rom/tsigane/bohémienne/gitane/romanichelle…
Depuis 1989, Jeanne Favret-Saada s'est donné comme objet de recherche les affaires contemporaines de blasphème, comprises dans le cadre plus général des polémiques publiques à enjeux religieux. Elle a programmé l'examen de cas survenus depuis les années 1960 dans des États qui ont inscrit parmi leurs principes fondamentaux la séparation du politique et du religieux. Ils concernent deux ensembles religieux: d'une part, les christianismes, sur lesquels elle prépare actuellement un ouvrage; et d'autre part, les islams, sur lesquels elle a publié un premier livre qui traite de l'affaire danoise des dessins de Mahomet en 2005-2006. Ce travail sur des cas vise leur mise en série comparative et historique.Or ce phénomène des accusations publiques de blasphème, qui occupe si souvent la une de nos journaux depuis vingt-cinq ans, est demeuré un non-sujet absolu pour l'ethnologie et la sociologie, sans que la moindre justification soit donnée à cette abstention. Jeanne Favret-Saada s'interroge sur cette situation, et développe quelques orientations de son travail en cours.
Aujourd'hui, le débat sur la crise grecque oppose Mnimoniakoi, ceux qui soutiennent le Mnimonio, le texte de l'accord d'aide signé en 2010 entre le gouvernement et la Troïka (les représentants du FMI, de la Banque Européenne et de la Commission Européenne) et anti-Mnimoniakoi, ceux qui le combattent. Cette opposition divise aussi l'opinion et les partis politiques entre européanistes, partisans du projet européen, et anti-européanistes, qui souhaitent désengager la Grèce de la voie européenne. Dans ce contexte, la question qui sous-tend le débat sur la crise est aussi celle de la place de la Grèce dans l'Europe unie: est-ce la fin de l'européanisme dans le pays? Cet essai propose de lire les couples d'oppositions utilisés dans le débat actuel comme des renvois à des schémas bien identifiés concernant les représentations collectives identitaires. Dans l'analyse des interactions entre observateurs " occidentaux " et observés " orientaux ", on fera appel au couple ethno-orientalisme/ethno-occidentalisme proposé par James Carrier (1992).
Dans cet essai, Françoise Héritier s'interroge sur l'importance du rapport frère/sœur comme pierre de touche de la parenté en général. Elle entend montrer que de tous les critères retenus par la pensée, celui-là plus que d'autres sert de fédérateur et de révélateur.Les systèmes de dénomination des apparentés, si on les prend comme un tout, présentent des combinaisons de critères dont la pertinence a été reconnue et analysée par l'anthropologie. Le rapport frère/sœur et ce qui en découle dans les appellations entre collatéraux et alliés (beaux-frères/belles-sœurs), ainsi que les prescriptions ou prohibitions matrimoniales qui en résultent, montrent une prééminence du frère sur la soeur, traduite en termes de génération. Le principe clé est qu'un degré de collatéralité orientée (du frère vers la soeur) équivaut à un degré de filiation. On perçoit, à ce niveau d'analyse, que les différents systèmes structuraux de la parenté se sont constitués parallèlement à l'édiction d'une " valence différentielle des sexes ", principe universel de l'organisation du social. Le rapport frère/sœur, envisagé cognitivement comme un rapport aîné/cadet, implique un rapport de dominance sexuée du même type que celui qui caractérise le rapport parent/enfant où l'antériorité, validée par la longue expérience néoténique des humains, est le critère implicite de la domination.
La colonisation du langage chez les Mayas du Mexique
Ce sont les Mayas Yucatèques qui font ici l'objet des réflexions de William F. Hanks. La question qui est traitée porte sur les conséquences de l'évangélisation des Mayas par les missionnaires espagnols pendant la période coloniale. William F. Hanks propose d'esquisser la genèse de la langue de la doctrine chrétienne en maya yucatèque, de suivre son introducton dans plusieurs genres de discours maya et, sur la longue durée, de décrire son appropriation comme signe d'indianité.
Le sacrifice est un dispositif symbolique qui assure la séparation non seulement entre hommes et dieux, mais des hommes entre eux. En Chine, l'organisation générale des offrandes au Ciel et aux ancêtres avec sa cuisine mimant l'assaisonnement de tous les êtres dans le chaudron de l'univers, avec sa communion autour du grand banquet sacrificiel, avec sa répartition en cascade des restes déterminant classes et hiérarchies, vise à imposer un ordre parfait à toute la terre sous le Ciel. C'est pourquoi Confucius a pu dire : "Celui qui maîtriserait parfaitement l'ordonnance du grand sacrifice aux ancêtres gouvernerait l'empire aussi facilement que je tourne la paume de ma main", c'est aussi pourquoi il a pu servir de matrice à un régime absolutiste et centralisé lorsque les collèges cultuels se sont trouvés vidés de leur substance religieuse et de leur fonction sociale. L'immanence propre aux gestes sacrificiels s'est convertie en pure transcendance de l'appareil d'État. Si, comme a pu le dire Marcel Détienne, la notion de "sacrifice" est une catégorie de la pensée d'hier, aussi arbitraire que celle de totémisme, il n'en reste pas moins que le système sacrificiel chinois fournit un cas exemplaire de sa réalité opératoire.