L'oeuvre de Thomas Bernhard a longtemps été lue comme un monochrome en noir, refl et d'un pessimisme d'inspiration baroque, renforcé par un nihilisme typiquement moderne. Cependant, entre Frost, le premier roman, et Auslöschung. Ein Zerfall, le dernier, une évolution est perceptible, qui va de l'extrême de la douleur au rire et aboutit à la revendication d'une écriture de l'effacement. Que ce soit sous la forme d'un désespoir ressassé dans " une phrase infi nie " ou encore d'une exagération délibérément grotesque et " carnavalesque ", l'oeuvre de Thomas Bernhard s'est toujours accompagnée de scandales et autres perturbations de la vie publique autrichienne. En cultivant savamment ceux-ci, Thomas Bernhard dépasse la simple recherche de l'effet et tire d'une sensation qui est la condition de l'émergence de l'oeuvre, une capacité à irriter, à arracher à l'indifférence et, par là, à une menace de mort. L'irritation saisit dans la réactivation permanente de son origine, la possibilité d'élaborer un art de l'irritation. Esthétiquement, celui-ci détermine une écriture unique et originale. Mais sur le plan éthique surtout, l'évolution de l'oeuvre reflète la possibilité tirée à l'art de l'irritation de s'opposer au monde, de s'affi rmer enexistant contre lui. L'écriture de l'effacement, tout en portant les stigmates du nihilisme, montre la voie d'une existence possible dans une attitude d'opposition permanente au monde. Endossant les crises de la modernité, l'irritation telle que Thomas Bernhard la pratique, propose un art d'exister qui, loin de se satisfaire de reproduire le nihilisme partout constaté, tente d'y faire pièce sans l'occulter ou le nier, transformant ainsi un ars moriendi en modus vivendi.