Cet ouvrage propose une façon renouvelée de penser les sociétés intellectuelles en incluant, dans leurs conditions matérielles de formation, tout ce qui a trait au familial. Qu'il s'agisse de la famille réelle (ses membres, ses ressources, son organisation), œuvrant de manière souterraine sur le travail intellectuel, comme de la famille métaphorique, communément utilisée lorsque les mots viennent à manquer pour décrire les liens qui soutiennent les vies intellectuelles et dont l'explicitation est exclue de la sphère du savoir, soupçonnée de contrevenir à " l'objectivité " ou reléguée dans le paratexte. Composé à la fois des articles de recherche, des entretiens, des récits dialogués, des photographies, des dessins et des schémas mentaux, il s'agit dans cet ouvrage de rendre palpable l'intrication des concepts et des affects, de l'histoire et de la mémoire des idées, des attachements intellectuels comme des ruptures, des solidarités et des luttes communes, mais aussi des antagonismes, des logiques et des stratégies de clans, des griefs et des conflits de loyauté. L'inclusion de ces éléments pour penser la production de connaissances et les rapports de pouvoir au sein des sociétés intellectuelles résulte des acquis de la critique féministe à l'égard de diverses dichotomies instituées à tous les niveaux de la société qui ont notamment pour effet de " tenir en respect " ce qui agit de manière invisible sur la vie officielle, souvent associé au féminin – le sentiment, l'émotion, le trivial, l'intime, le domestique et le biographique –, conçu comme une matière à part, vulgaire et secondaire. En reconnaissant une continuité entre monde privé et monde professionnel, en reconnaissant combien la position sociale des savant·es façonne leur regard scientifique, en reconnaissant l'existence de partis-pris et de visées politiques au cœur de toute production de savoirs, la théorie féministe permet d'envisager l'étude non pas de la vie intellectuelle, mais des vies intellectuelles de notre propre domaine d'étude.