Réforme de l'audiovisuel public, conflits sociaux au musée Picasso ou encore à Beaubourg, avenir du régime de l'intermittence: chaque question, défi, problème rencontré par la culture fait l'objet d'études, d'expertises, d'audits ou de contrôles pris en charge par des inspecteurs et inspectrices. Leurs rapports sont des instruments courants et discrets, chargés d'éclairer la décision publique en toute neutralité. Présentées comme des caractéristiques atemporelles, la neutralité et l'indépendance de ces fonctionnaires n'ont pourtant rien d'évident. Elles résultent d'un processus historique que l'ouvrage entend éclairer en entrant dans la fabrique de cette littérature administrative, en s'intéressant à celles et ceux qui les écrivent, qui les commandent et les reçoivent, autant qu'aux pratiques d'écriture elles-mêmes.Fondée sur des entretiens et de nombreuses archives, l'enquête contribue ainsi à une sociologie de l'administration centrée sur les pratiques de travail et la socialisation des inspecteurs et inspectrices, sur leur manière d'habiter l'institution et d'en faire évoluer la culture au cours de la Ve République. Elle met en évidence la façon dont cette écriture administrative contribue à construire l'unité des politiques culturelles et à garantir la continuité de l'État.
Si la plupart des acteurs de la chaîne de production du médicament ont pour vocation d'œuvrer pour la science, leur savoir est en fait tiré d'un flux de connaissances alimenté, véhiculé et entretenu par l'industrie pharmaceutique, et ce, dans un dialogue intime entre science et marketing. Opérant dans l'ombre, de nombreuses " mains invisibles " au service de Big Pharma élaborent en effet ces connaissances: des planificateurs de publication commandent des articles rédigés par des auteurs fantômes pour des revues médicales; des leaders d'opinion et des représentants commerciaux sont recrutés et déployés pour orienter subtilement les médecins; des associations de patients subissent l'influence de l'industrie et diffusent des points de vue partiaux sur les maladies ou les traitements. Finalement, au bout de cette chaîne fantomatique pilotée par ce " marketing d'assemblage ", les ordonnances rédigées par les médecins feront " naturellement " place aux nouveaux médicaments promus par les compagnies pharmaceutiques.Soucieux de s'adresser à un large public, Sergio Sismondo désire, avec ce livre dont nous proposons ici une traduction inédite, lever le voile sur le management fantôme dans l'industrie pharmaceutique, un management dont nous devrions nous soucier tant il a une incidence majeure sur la santé publique.
Cet ouvrage interroge le poids et l'usage des données dans les manières de gouverner. La donnée, en ligne ou hors ligne, devient une ressource clé de la gouvernance et représente à ce titre un enjeu politique fort. Le travail sur les données a toujours existé, mais ce qui change c'est la massification de ces données – retranscrite par le terme big data –, rendue possible par le numérique. D'autant plus qu'on laisse de nombreuses traces en ligne sans forcément s'en apercevoir. De manière passive, nos données sont enregistrées. La donnée n'est plus uniquement utilisée pour quantifier la société et l'observer, comme cela était le cas avec les statistiques ou les sondages, mais aussi pour la conduire. Les algorithmes font parler les données et permettraient alors de " prédire " des comportements pour mieux les gouverner. Mais ce ne sont pas des dispositifs neutres et il s'agit alors de les étudier en contexte. C'est l'apport de cet ouvrage qui explore différents domaines d'activité pour saisir comment l'algorithme est mis en place par ses concepteurs et utilisé par des acteurs, pris dans des écosystèmes professionnels variés et des manières de faire habituelles qui résistent au changement de la " gouvernementabilité " algorithmique. Cette approche permet de " défétichiser " l'algorithme et d'éclairer autrement son fonctionnement au regard des croyances qui l'entourent, de ses usages au concret et des luttes de pouvoir extérieures à l'outil lui-même, mais ayant des effets sur ses applications. La force des sciences sociales est bel et bien leur portée critique, au sens où l'analyse empirique permet de déconstruire des savoirs immédiats, des prénotions, des fantasmes. Et du côté des big data, les mythes et croyances, renforcées par ceux qui les vendent, sont nombreux.
La démocratie japonaise est-elle née en 1945, est-elle le fruit d'une greffe démocratique réalisée par les Américains? Sans doute en partie. Mais le présent ouvrage s'attache à démonter ces idées reçues pour montrer que si la démocratie s'est enracinée au Japon à partir de 1947, c'est parce qu'il n'était pas sans expérience du débat politique et du jeu électoral. Sa monarchie constitutionnelle avait non seulement préparé le terrain, mais aussi légué au Japon un héritage et des habitudes politiques qu'il a longtemps conservés. Le cadre institutionnel de la démocratie japonaise se transforme néanmoins depuis les années 1990. Comme le montre ce travail de recherche, le modèle hybride créé par les Américains en 1947, associant des caractéristiques anglaises et américaines, se présidentialise. Il s'agit, enfin, d'un système politique qui, malgré ses imperfections et la crise de représentation qu'il traverse, sait se remettre en question et se réformer. Peut-être y a t-il des enseignements à en tirer pour la France?
" Égalité parentale ", " justice sexiste! ". Régulièrement, des hommes se perchent en haut de monuments pour brandir, quelques heures durant, des pancartes affichant ces slogans.Ces mobilisations, visibles un peu partout dans le monde, s'élèvent contre une justice familiale qui serait défavorable aux hommes du fait qu'elle organiserait massivement la résidence des enfants chez leurs mères, après la séparation des parents.En quoi ces mobilisations peuvent-elles nous éclairer sur les enjeux contemporains des transformations familiales et plus précisément sur la régulation judiciaire de la parentalité post-conjugale?Cet ouvrage, issu d'une thèse de doctorat en sociologie, propose une analyse des mobilisations de pères séparés, dans une perspective comparative (France-Québec) à destination d'un public universitaire, associatif et militant. À la lumière d'une enquête de terrain au sein de groupes de pères séparés, Aurélie Fillod-Chabaud montre combien ces mobilisations s'inscrivent dans une mouvance réactionnaire et antiféministe, critiquant par essence la " féminisation " de la société et des grands corps de l'État.
Apports et limites de l'économie expérimentale du développement
Ce livre porte sur la méthode expérimentale utilisée par les chercheurs du J-PAL en économie du développement. La volonté des chercheurs du J-PAL est double: (1) produire des preuves d'efficacité des programmes de développement, (2) afin de guider la décision politique. L'objectif est de mener une analyse épistémologique de l'approche du J-PAL. Cette analyse s'offre d'étudier une double dimension: une dimension méthodologique et une dimension théorique.Tout d'abord, la dimension méthodologique vise à interroger la méthode utilisée par le J-PAL: la randomisation. Elle permet de questionner alors les modes d'inférence que la randomisation permet de produire, la fiabilité des résultats obtenus par la randomisation, ainsi que la possible utilisation par la sphère politique de ces résultats. Dès lors, deux principales questions guident cette analyse méthodologique: (1) la nature de gold standard méthodologique de la randomisation, (2) et la possible transposition des résultats obtenus par le J-PAL dans la sphère politique. La seconde dimension (théorique) questionne l'apport du J-PAL aux débats théoriques qui ont traversé l'économie du développement ces dix dernières années. Cette dimension s'interroge sur le tournant que le J-PAL a ou non opéré en économie du développement. La question est de savoir s'il s'agit d'un unique tournant empirique ou s'il est aussi question d'un tournant théorique et politique. S'intéresser à ces deux dimensions permet d'examiner l'approche du J-PAL dans son ensemble.Il est montré qu'alors même que cette approche offre des résultats dont la validité interne est importante mais dont la validité externe est faible, l'utilisation de tels résultats dans la sphère politique est difficile. Cette tension entre la validité interne et la validité externe montre l'antagonisme des deux objectifs que se fixe le J-PAL et définit un problème épistémologique: le refus de théorie ainsi que l'absence de mise en évidence des mécanismes qui sous-tendent les résultats obtenus par le J-PAL empêche ce dernier de produire des recommandations politiques claires.
Cet ouvrage propose une analyse inédite de la place et de la fonction de l'histoire, de la politique et de la culture françaises dans la formation et la réflexion d'Antonio Gramsci. Gramsci pense la France, son histoire, sa politique et sa culture, mais son intention vise bien au-delà. La France lui sert à penser l'Italie et sa place dans un " monde grand et terrible ", bouleversé par la Grande Guerre, la révolution russe, l'émergence des fascismes, les débuts de l'hégémonie des États-Unis. Constitué d'allers et retours permanents entre la France, point de comparaison plus que modèle, l'Italie et le monde, ce volume examine à partir des textes – au premier rang desquels les Cahiers de prison – certains de ses concepts les plus importants, à l'instar du jacobinisme ou du national-populaire et plusieurs de ses thématiques historiques, des Lumières à la Révolution française. Le livre explore aussi le volet politique et culturel de la pensée de Gramsci, lorsqu'il s'intéresse à l'Action française et à la pensée de Charles Maurras, au coup d'État manqué du général Boulanger ou aux épisodes de l'affaire Dreyfus. Mais en définitive, c'est bien toujours une double perspective, indissociablement européenne et internationaliste, qui est sous-jacente à cette " France de Gramsci ".
Comment le socialisme doit-il articuler les deux exigences qui l'ont toujours défini: " à chacun selon ses besoins " et " à chacun selon ses mérites "? Aujourd'hui où l'objectif d'un calcul rigoureux des mérites, rebaptisé égalité des chances ou équité, est devenu non seulement la valeur dominante mais parfois la valeur unique d'un socialisme à l'agonie, il peut être opportun d'effectuer un voyage dans le temps. Et ainsi, d'observer des situations où ces deux exigences, besoin et mérite, étaient articulées bien différemment et nourrissaient alors des espoirs et des savoirs émancipateurs plus audacieux.Ce court essai propose un retour aux origines. Dans l'une de ses belles formulations, Pierre Leroux écrivait, " le socialisme paraît, et l'aube du jour c'est 1830 ". Procédant ici de quelques portraits, ceux notamment de Louis Blanc et Constantin Pecqueur, de François-Vincent Raspail et de George Sand, cet essai signale comment en cette période de genèse, qui inventa même le terme de " socialisme ", l'exigence du besoin fut considérée comme rectrice. Loin d'être toutefois niée, l'exigence du mérite demeurait néanmoins auxiliaire de l'exigence du besoin.En ces temps déjà de premières déferlantes libérales, cette articulation originelle permit alors au socialisme de s'identifier d'abord, de résister ensuite et de créer enfin, tant dans le domaine des idées que dans celui des expérimentations, des voies nouvelles à l'émancipation et au progrès social, économique et politique. Cette option consistant à résolument situer le pari du socialisme au-delà de la seule égalité des chances, aussi rigoureusement définie soit-elle, mérite dès lors d'être rappelée et ruminée aujourd'hui.
L'encadrement inégalitaire des séparations conjugales en France et au Québec
This book combines several fields (socio-legal studies, intersectionality studies, public policy analysis, and the sociology of work) in order to assess a prime concern on the social and political agenda, that of the legal regulation of
L'anthologie en deux volumes des textes de Benito Mussolini sur la littérature et la religion est le fruit d'un travail de plusieurs années, mené par une équipe de traducteurs et de chercheurs à l'ENS de Lyon. On trouvera, dans ce premier volume, une sélection très variée d'écrits et de discours rédigés entre la fin de son adolescence et l'été 1918, au moment où il officialise sa rupture définitive avec le socialisme.L'objectif de cette anthologie n'est pas seulement de proposer au public français une traduction établie avec une rigueur autant philologique qu'historique, mais aussi de lui faire découvrir un corpus original de textes méconnus, choisis au sein de la très volumineuse production de Mussolini, et qui n'avaient, dans leur très grande majorité, encore jamais été traduits en français. Ces textes donnent à voir l'importance du fait littéraire et religieux dans la formation et dans la pensée politique de Mussolini et permettent notamment de repenser la place de la culture et des formes de liturgies politiques dans la conception du totalitarisme italien.
Depuis les années 1980, l'eau est devenue un objet de préoccupation au sein de la communauté internationale. Cette substance vitale a désormais acquis une valeur marchande qui dicte, au travers de programmes de privatisation du droit à l'eau, la conditionnalité de l'aide au développement dans les Pays du Sud.Le forage hydraulique est au cœur de la réforme de privatisation qui traverse le Sénégal. Pour appréhender cette infrastructure, l'auteur revisite une posture ethnographique popularisée par l'École de Manchester: l'entrée sur le terrain par les conflits. En mettant en lumière les différents dysfonctionnements que connaissent les forages, elle interroge les processus au travers desquels se négocient et se construisent autorité publique et légitimité politique dans le Sénégal contemporain.Cette étude ethnographique minutieuse montre le processus de formation de l'État au carrefour de l'anthropologie politique, de l'anthropologie juridique et de l'anthropologie du développement. Le forage apparaîtra ici comme un lieu de l'État et pour l'État.À ce dernier, le forage permet de se construire et de se reproduire sur son territoire. Aux sciences sociales, de répondre aux questions suivantes: comment penser l'État? Comment fonctionne-t-il en Afrique ?
Lecture du Livre du plaisir partagé en amitié (Kitab al-imta? wa-l-mu?anasa) d'Abu ?ayyan al-Taw?idi
Les relations entre les intellectuels et le pouvoir constituent un enjeu majeur des sociétés arabes contemporaines. Cet ouvrage, qui fait remonter cette problématique au cœur de la société savante de l'époque arabe médiévale, actualise un débat des plus modernes en s'efforçant de montrer comment le progrès de la connaissance, le choix des mots, la transgression sont autant d'outils à disposition de l'homme de lettres à la cour pour défier l'autorité par ses seuls écrits, et partant, pour appeler à la réformer.Réputé ardu en raison de sa prose difficile d'accès, le Livre du plaisir partagé en amitié de Tawhīdī est souvent assimilé à une galerie de récits plaisants susceptibles d'édifier le public, à l'image de la vocation première des belles lettres arabes de l'époque médiévale. Cette étude vise en outre à montrer que le message de l'œuvre dépasse cette perspective pour plonger le lecteur au cœur d'une démarche qui tend à faire du savant le concurrent direct du gouvernant.