Publié en 1699, ce roman retrace l'histoire de l'entrée des musulmans en Espagne et s'oppose aux historiens espagnols qui prônent la pureté de sang : le romancier français insiste sur l'importance des mariages mixtes et l'amitié nécessaire et bénéfique entre chrétiens et musulmans. Le dernier roi Goth, Rodrigue, est en fait lui-même le fruit d'une union mixte et la " race espagnole " ne doit sa supériorité qu'au mélange des cultures. Les combats deviennent des rencontres, favorisant l'amour et l'amitié entre les membres des deux armées. Défendant à chaque page cette spécificité de l'histoire espagnole particulièrement romanesque, le roman insiste sur les ressemblances entre chrétiens et musulmans et rappelle l'incompréhensible injustice que les chrétiens ont fait subir aux juifs en 1492 et aux descendants des musulmans par la suite. Anonyme, deux fois publié aux Pays-Bas, le roman a vraisemblablement plu aux lecteurs protestants de l'époque car le message de tolérance religieuse et de nécessaire mixité ne pouvait que rappeler la situation des victimes de la révocation de l'Edit de Nantes. Reprenant les codes du roman historique, cette Relation n'est pas sans humour et offre un récit romanesque et agréable de la naissance d'une Espagne des trois cultures qui devient l'exemple admirable et littéraire de la tolérance religieuse.
Le Silène insensé constitue l'un des seuls titres de gloire d'Hélie Coignée de Bourron : après la parution de ce court roman en 1613, cet auteur poitevin assez obscur ne se signale plus que par une pastorale dramatique (Iris, 1620), promise elle aussi à un rapide oubli. En pareil contexte, il semblerait bien illusoire de prétendre " réhabiliter " le Silène : l'œuvre recèle trop d'imperfections manifestes pour accéder au statut de chef-d'œuvre véritable. Néanmoins, elle n'est pas sans intérêt et brille par une étrangeté assez paradoxale : le texte illustre parfaitement certaines tendances de la prose narrative contemporaine (le choix de la veine pastorale, les nombreux poèmes insérés, la complexité de l'intrigue, un certain maniérisme de style…) mais semble dans le même temps absolument irréductible à un quelconque modèle : les fées s'y évaporent à l'approche des satyres ou tiennent congrès en Islande pour débattre des mérites comparés du Narcisse et de la Marguerite ; les bergères les suivent à dos d'aigle, puis surveillent les agissement du malheureux Silène depuis une litière tirée par des dragons ; une fin barbare et sanglante punit la fourberie d'un satyre ; les amants, comme dans quelque fable ovidienne, subissent les bonheurs et les affres de la métamorphose ; la leçon – car leçon il y a – hésite entre les deux facettes contradictoires d'une morale singulièrement ambiguë ; le style enfin, savoureux jusque dans ses outrances, ses maladresses ou ses faux brillants, propose un singulier mélange d'archaïsme et de modernité, car " l'automne de la Renaissance " tend ici les bras à la vénusté baroque dans sa plus troublante séduction.