Les contributions réunies dans ce volume mettent en évidence une complexité des Lumières que leur postérité, également illustrée ici par différents témoignages littéraires ou philosophiques, n'a eu que trop tendance à réduire. Du fait d'un esprit critique qui en est le propre, l'apport des Lumières est traversé de nombreuses tensions et contradictions. Y contribuent sans aucun doute les échanges entre intellectuels des différents pays européens et " l'arpentage du monde " entrepris par les voyageurs européens, dont cet ouvrage étudie de nombreux exemples. Cela pose d'emblée le problème, abordé ici sous des angles divers, de l'identité d'une époque qui a eu conscience de représenter un tournant historique. Dans quelques-unes des contributions, la réflexion sur les Lumières prend la forme d'une réflexion sur notre présent. Création d'un esprit européen nourri des héritages grec, juif et chrétien, les valeurs humanistes des Lumières sont-elles forcloses dans le contexte mondialisé et hyperrationalisé qui est le nôtre et dont elles ont été à maints égards la matrice? Elles ont notamment accéléré un processus de laïcisation qui est un élément décisif de l'identité européenne. Sans Europe pas de Lumières. Sans Lumières pas d'Europe. Sauf à consentir à ne plus être qu'un espace commercial parmi d'autres, l'Europe ne peut être sans Lumières, c'est-à-dire sans être le vecteur d'une certaine idée de l'homme et de la cité.
Réseaux journalistiques et pouvoirs dans l'Allemagne des Lumières
Dès le 18e siècle et l'émergence d'une opinion publique dans le monde germanique se pose la question des interactions entre presse et pouvoir. Les interprétations qu'on associe habituellement à cette problématique ont l'apparence de la simplicité. Soit on évoque une connivence entre les médias et le pouvoir politique, soit on souligne leur rivalité. Cette perception des rapports entre presse et pouvoir ne rend pas compte d'une situation beaucoup plus complexe. En combinant reconstitution des réseaux journalistiques et étude contextualisée des débats publics au tournant du XVIIIe au XIXe siècle, Tristan Coignard propose, pour cette période fondamentale de l'histoire européenne, une interprétation des enjeux politiques qui tient compte des filiations intellectuelles, des luttes de pouvoir ainsi que des forces et des faiblesses dont font preuve les autorités, au moment où le Saint Empire s'enfonce dans la crise puis disparaît. Se dessine alors le tableau d'une Allemagne à la croisée des chemins, dont l'avenir va se nourrir des débats d'idées retracés dans ce livre.
Le célèbre article de Kant, Qu'est-ce que les lumières ? (Was ist Aufklärung ?), paru en décembre 1784 dans la Berlinische Monatsschrift, constitue le centre de ce recueil. Mais il a paru intéressant de donner au lecteur français la possibilité de prendre connaissance d'autres réflexions sur le même thème. On trouvera donc aussi la réponse de Mendelssohn, les articles de Biester et de Zöllner à l'origine du débat, et d'autres textes - dont quelques-uns réédités ici et traduits pour la première fois - ayant pour auteurs des grands et des moins grands noms des lettres allemandes (Herder, Wieland, mais aussi Bahrdt, Klein, Knoblauch, Riem, Wekhrlin, Weishaupt). Tous devraient contribuer à une meilleure perception de l'intertextualité des années 80 et donc à une meilleure compréhension de cette période, dite de la Spätaufklärung.
L'hypothèse jusnaturaliste de l'universalité de la nature humaine qui sous-tend la réflexion anthropologique du XVIIIe siècle prédisposait peu à percevoir de façon claire et positive l'originalité, la singularité des autres cultures. En même temps, ce siècle fut aussi celui des voyages et lentement le réflexe européocentrique, qui avait tendance à voir dans les autres nations et cultures des variations sur la culture princeps, la culture de l'Europe de l'ouest, dut prendre en compte des altérités radicales, des singularités non escamotables.Mais il fallut du temps pour s'approprier ces nouvelles cultures soit en gommant parfois trop les différences soit au contraire en les accusant ou en les grossissant de façon démesurée. Ce sont ces variations dans l'observation et l'appréciation des autres, des étrangers, qui sont étudiées ici.
La nouvelle collection "E18", dédiée aux études sur le 18e siècle et aux écrits produits en ce même siècle, s'ouvre par la publication de quatre textes contemporains (fin des années 1990), inédits en français en totalité ou en partie, de l'historien américain, spécialiste des Lumières françaises. Synthèse du travail et de la pensée de l'historien, elle illustre de manière exemplaire la spécificité de la recherche dix-huitiémiste, époque matricielle d'où sort la modernité. En cela la confrontation avec notre temps est inévitable car comme le dit Darnton "Quiconque a un compte à régler ou une cause à défendre en revient aux Lumières". Deux rubriques regroupent les analyses ; celle de la polémique qui comprend un plaidoyer en faveur des Lumières, suivi d'un texte remettant en question les options méthodologiques adoptées par l'historien et favorisant la discussion scientifique ; enfin la rubrique illustrant les méthodes de l'historien dix-huitiémiste (méthodes, outils conceptuels, domaines privilégiés d'études ...)
Qu'est-ce que les Lumières ? Posée dès la fin du 18e siècle, cette question n'a jamais cessé de se poser ensuite, tout en s'enrichissant de deux autres questions subsidiaires : où y-a-t-il eu des Lumières et quand ? Parti à la recherche des Lumières en Suède, l'auteur a été amené à remettre en cause la nature et l'étendue jusque-là admises de cette présence. Révision souvent déchirante qui a, dans son pays, provoqué bien des discussions passionnées. Mais ses réponses nous interrogent à notre tour et nous incitent à faire preuve, vis-à-vis de nos propres Lumières, de la même rigueur investigatrice. Elles nous invitent à préciser les évolutions, à nous méfier des idées reçues et des formules convenues.