De son voyage à Nantes au printemps 1790, Jacques Louis David rapporta une vaste composition allégorique, inspirée par l'esprit révolutionnaire qui avait très tôt pris racine dans la cité portuaire. Le présent essai en propose une analyse serrée soulignant que, lors de son séjour dans le premier port négrier de France, le peintre fut inévitablement confronté à la réalité du commerce des esclaves. En déchiffrant la polysémie iconographique de son dessin, Philippe Bordes y voit une métaphore de l'esclavage – ou plus exactement d'un esclavage Noir-Blanc, dans le double sens colonial et métropolitain – que David voulut y déployer. Il met en lien cette composition avec l'influence de son entourage parisien, qui comptait plusieurs membres de la Société des Amis des Noirs, et avec les vifs débats sur l'abolition de la traite négrière au sein de l'Assemblée nationale et en dehors. L'histoire renouvelée du séjour nantais de David se révèle alors comme le moment de l'entrée en Révolution de ce géant de la peinture en tant que citoyen et artiste.
Eine Ausstellung zwischen antiquarischen Büchern und der Hollywood Anti-Nazi League
En juin1937, Jacob Zeitlin inaugure une exposition d'œuvres graphiques de Käthe Kollwitz dans la galerie de sa librairie à Los Angeles. Il s'agissait de la première exposition du travail de Käthe Kollwitz en Californie du Sud. La Hollywood Anti-Nazi League for the Defense of American Democracy était co-sponsor de l'exposition et du vernissage, une soirée glamour qui vit se succéder l'écrivain et activiste allemand Ernst Toller et le compositeur américain George Antheil comme intervenants. Parmi les invités illustres, on peut citer Fritz Lang, Richard Neutra, Arnold Schönberg, George Gershwin, Kurt Weill et d'autres célébrités de l'industrie du cinéma et de la communauté d'exilés austro-allemands. L'exposition Kollwitz devint la pierre angulaire des grands champs conflictuels de la ville: bien plus qu'un simple événement culturel de la galerie-librairie de Zeitlin, elle faisait figure d'action politique ciblée de la Hollywood Anti-Nazi League. L'œuvre de Kollwitz se retrouva ainsi sous le feu croisé de la confrontation entre le combat antifasciste de la ligue et les actions violentes de groupes nazis à Los Angeles. Dans ce contexte de tensions politiques, Käthe Kollwitz fut perçue comme une artiste anti-nazi et son exposition se vit attribuer un rôle actif dans la lutte contre Hitler. Les différents chapitres de ce livre montrent comment cet événement en vint à être le carrefour de quatre itinéraires de vie: celui de Käthe Kollwitz, de Jacob Zeitlin, d'Ernst Toller et de George Antheil.
Le portrait est sans conteste le genre artistique le plus fécond du début des Temps modernes. Dans la France du XVIIe siècle, qui se distingue par une mobilité sociale inconnue jusqu'alors, le portrait permet précisément d'appuyer la revendication d'un nouveau statut social ou d'assurer un rang acquis, mais désormais remis en question. Le portrait se fait également l'écho de la discussion capitale concernant le rapport entre le corps et l'âme. Pourtant, les sources écrites parvenues jusqu'à nous, qui s'intéressent au portrait, sont étonnamment parcimonieuses. L'Académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1648, en particulier, est presque totalement muette à ce sujet. Et ce, bien que nombre de ses membres gagnent leur vie comme portraitistes et que le genre voie son importance s'accroître au cours du Grand Siècle: les portraits se multiplient, tandis que leur prix augmente constamment. Il semble que l'Académie ait sciemment passé sous silence le portrait et les débats afférents, afin de mieux célébrer comme sa véritable mission la peinture d'histoire, sur laquelle l'institution nous a laissé d'innombrables témoignages. La présente étude reconstitue les discours autour du portrait dans la France du XVIIe siècle et dévoile une discussion d'une vivacité surprenante, où d'aucuns se sont même demandé si le portrait ne méritait pas – plutôt que la peinture d'histoire – d'occuper la première place dans la hiérarchie des genres.
Franz Marc illustriert Gustave Flauberts Legende des Heiligen Julian
Ce livre est le premier à réunir la Légende de Saint Julien l'hospitalier de Flaubert et les illustrations de Franz Marc. Des traces de la lecture de Flaubert sont très tôt décelables dans l'œuvre de Marc. La lithographie du chevreuil qui meurt sous les flèches, élaborée en 1908, est inspirée par la fameuse scène de chasse du récit. À partir de 1913, Marc s'intéresse de nouveau au texte de Flaubert avec l'intention de l'illustrer. Dans son carnet d'esquisses, il réalise des dessins et des aquarelles qu'il conclut avec une étude préparatoire pour le tableau Destins d'animaux.La lecture de ce récit de Flaubert a été cruciale pour Marc. Elle a été fondatrice de son regard sur le monde. Marc superpose la figure du chasseur de Flaubert à celle du guerrier et établit un lien direct entre la chasse, l'apocalypse et la guerre. Avant même le premier conflit mondial, La Légende et son massacre cosmique sur lequel se lève un ciel ensanglanté devient pour Marc le fond sur lequel il interprète la guerre comme un sacrifice sanglant, servant à la purification de l'Europe et de l'humanité.
Für eine Geschichte der künstlerischen Beziehungen zwischen Ost und West in Europa während des Kalten Krieges
Die Auseinandersetzung mit den künstlerischen Beziehungen in Europa zwischen Ost und West während des Kalten Krieges ist eine Herausforderung. Die Einschränkung der Zirkulationsmöglichkeiten sowie die ideologische Durchdringung des künstlerischen Feldes scheinen dieses Unterfangen aussichtslos zu machen; diese Grenzen erneut in den Blick zu nehmen erfordert jedoch auch, sie in Frage zu stellen.Anhand konkreter Beispiele von Begegnungen zwischen Frankreich, der BRD, der DDR und Polen, sowohl in Kunstdiskursen als auch in der Kunst der 1960er- bis 1980er-Jahre, untersucht Mathilde Arnoux die jeweils unterschiedlichen Auslegungen der Konzepte der Wirklichkeit und des Wirklichen und beleuchtet gleichzeitig, inwiefern diese Wahrnehmungen geteilt und/oder missverstanden werden.Zeitschriften, Kataloge, Kongresse, Museen, Galerien und andere alternative künstlerische Räume erscheinen hier als Foren, in denen die Facetten der jeweiligen Interpretationen durch die verschiedenen Autoren und Akteure der Kunstgeschichte – Künstler, Kunsthistoriker und Kunstkritiker – Gestalt annehmen. Ausgehend von den herausgearbeiteten Abweichungen wie Überschneidungen können frühere Analysen kritisch zur Diskussion gestellt werden, um eine neue Perspektive auf die künstlerischen Beziehungen in Europa während des Kalten Krieges anzubieten.
Mit Théophile Gautiers Bericht über seinen Besuch im Herrenhaus Ludwigsburg 1858
À la faveur d'une mission régionale de conservation du patrimoine – la mise au jour d'une tapisserie-tableau datant du milieu du XIXe siècle au manoir de Ludwigsburg (Schleswig-Holstein, nord-ouest de l'Allemagne) - l'auteure a peu à peu découvert un lien culturel totalement inattendu entre cette bâtisse isolée et la capitale mondiale de l'art qu'était à l'époque Paris, lien qui est apparu de plus en plus important au fil de l'investigation.En effet, cette tapisserie s'est révélée être une transposition du tableau versaillais d'Horace Vernet, La prise de la smala d'Abd el-Kader, ayant pour sujet un événement contemporain de l'histoire coloniale française en Algérie. À travers des recherches minutieuses, Moya Tönnies a reconstitué les origines et les personnalités des habitants du manoir à l'époque, afin d'élucider le choix de cet inhabituel décor mural.L'enquête révèle la place centrale de la châtelaine, Joséphine von Ahlefeld, surnommée Marix. Son histoire ici relatée, ainsi que ses liens étroits avec les grandes figures littéraires parisiennes de son temps, ouvrent de nouveaux horizons sur une relation culturelle franco-allemande au caractère surprenant. Un heureux hasard a voulu que soit découvert en parallèle un texte de Théophile Gautier retraçant sa visite au domaine de Ludwigsburg, l'écrivain y ayant fait étape au cours d'un voyage plus long. Ce récit est présenté en annexe du livre.
Peint en 1808 pour une salle d'audience du Palais de Justice de Paris, le tableau de Pierre-Paul Prud'hon La Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime a toujours été considéré comme un chef-d'œuvre du romantisme français, mais rarement étudié sous l'angle de l'histoire du droit pénal. Pourtant, les débats contemporains autour de la question du libre arbitre jouèrent un rôle fondamental dans le choix de son iconographie. Selon la conception invoquée par Prud'hon, l'homme agissant librement est pleinement responsable de ses actes, y compris de ses crimes, responsabilité qui confère au législateur le droit moral de fixer des sanctions, même sévères. Les réflexions d'Emmanuel Kant revêtent dans ce contexte une importance majeure. Prud'hon en eut probablement connaissance par l'intermédiaire du commanditaire du tableau, le préfet du département de la Seine Nicolas-Thérèse-Benoît Frochot, auquel est attribuée ici la paternité du programme iconographique. À travers la présente monographie, Thomas Kirchner montre combien cette célèbre peinture est l'exact reflet des discussions juridiques et philosophiques qui animèrent la France révolutionnaire, et donnèrent naissance au nouveau Code pénal et à un nouveau Code d'instruction criminelle.
Autour de la découverte d'une œuvre monumentale de Gérard Singer dans les réserves du musée de Szczecin au début des années 2000, Szymon Kubiak, conservateur des collections d'art moderne et contemporain, a entrepris une recherche retraçant les chemins qui ont conduit Le 14 février 1950 à Nice en Pologne. À partir des questions soulevées par l'œuvre, qu'elles soient formelles ou contextuelles, l'auteur met en relation à travers une narration foisonnante les milieux artistiques et culturels communistes de France et de Pologne, rarement rassemblés par l'histoire de l'art de la seconde moitié du xxe siècle. Le recul historique lui permet d'offrir un point de vue sur les transformations qu'a connues l'analyse des pratiques artistiques communistes de l'époque stalinienne en Pologne. L'ouvrage invite ainsi à une réflexion sur le long silence de l'histoire de l'art concernant l'art des pays communistes lorsqu'il ne relève pas des avant-gardes. Il rend sensibles des distinctions fondamentales au sein de ce qui a pu être posé comme une entité communiste, qu'il s'agisse des différences entre les réalisations artistiques lorsqu'elles sont mises en œuvre dans un État socialiste ou en lien avec un parti communiste dans un État capitaliste; il pointe la place singulière des rapports à Moscou, qui à la fois forgent un sentiment de communauté et pourtant se distinguent selon les partis communistes, les échelons de la société et les époques. Par-delà les différences politiques et les frontières géographiques, l'auteur tisse des liens à travers l'Europe coupée en deux par le rideau de fer. De cette mise en relation, l'art des pays communistes, longtemps frappés de silence, ressort comme participant à la toile de fond sur laquelle se sont développés les arts plastiques de l'espace capitaliste. Plutôt que de répéter la division géopolitique de la guerre froide en limitant l'analyse des pratiques artistiques de France et de Pologne au contexte des blocs qui les ont vues naître, cet ouvrage incite à penser les interdépendances entre l'art des espaces socialistes et capitalistes, et à revoir l'évidence de l'isolement et de l'exclusion où chacun aurait pris forme.
Pour une histoire des relations artistiques entre l'Est et l'Ouest en Europe pendant la guerre froide
Traiter des relations artistiques européennes entre l'Est et l'Ouest pendant la guerre froide est un défi. Compte tenu de la limitation des circulations et de l'imprégnation du champ artistique par les idéologies rivales durant la période, la démarche peut en effet paraître illusoire. Mais considérer ces limites incite à les questionner. La recherche sur les relations artistiques en Europe durant la guerre froide engage à une réflexion sur la manière de cerner les relations artistiques et sur ce qui fait relation.Partant d'une étude révélant l'importance particulière du couple de notions réel et réalité dans les discours sur l'art et pour les pratiques artistiques des années 1960, 1970 et 1980, cet essai considère les apports d'un regard croisé autour d'une notion dans le cadre d'une recherche transnationale. À partir d'exemples concrets de relations artistiques entre la France, la RFA, la RDA et la Pologne, la réflexion porte sur les conceptions singulières des notions de réel et de réalité selon les contextes, tout en éclairant les partages, incompréhensions, malentendus. Cette démarche permet d'opérer des distinctions et d'effectuer des rapprochements qui conduisent au questionnement des lignes de divisions politiques et idéologiques ayant marqué l'analyse de la période, pour offrir un point de vue renouvelé sur les relations artistiques en Europe durant la guerre froide.
À l'occasion du 800e anniversaire de la cathédrale Notre-Dame de Reims, Willibald Sauerländer prononçait un éloge que ce livre reprend dans une version revue et augmentée. Il se concentre particulièrement sur le souvenir des pratiques sacrées et des cultes, de la vénération des reliques jusqu'au sacre des rois, qui prêtèrent à la cathédrale une intense vie liturgique dans la France prérévolutionnaire. L'auteur évoque successivement le choeur en tant que métaphore iconographique de la Jérusalem céleste, les statues de saints comme guides vers leurs châsses et leurs reliques, et la cathédrale comme lieu de l'onction et du couronnement des souverains français. Le volume se conclut par un chapitre évoquant les sculptures de la cathédrale et leur lien spirituel avec le rituel du culte et des fêtes qui animaient l'église métropolitaine.
Les origines des théories ethnologiques du fétichisme
Suite à la cérémonie d'inauguration de la statue de Louis XIV sur la Place des Victoires à Paris et les accusations d'idolâtrie faites au roi, François Lemée publie en 1688 le Traité des statues, première histoire française de la sculpture. Cette histoire de la sculpture ne traite pas de la question des modèles antiques à imiter par les modernes mais produit une étude de dimensions globales de l'idolâtrie primitive des premières sociétés humaines à partir de l'observation des pratiques africaines, indiennes, russes et japonaises. Le livre de Lemée trouva des lecteurs avides chez les critiques de religion du XVIIIe, du Président de Brosses à Ottavien de Guasco ou Quatremère de Quincy, qui tous travaillaient à montrer comment les origines de la sculpture, de la religion et du fétichisme étaient entremêlées. Les idées de Lemée et ses successeurs français furent aussi adoptées en Allemagne par Herder, Goethe et Kant dans leurs efforts de séparer fétichisme de l'œuvre d'art du jugement esthétique. Le présent ouvrage montre comment une série de textes sur les origines de la sculpture a transformé l'approche théologique de l'idolâtrie en une étude anthropologique, esthétique et psychologique du fétichisme.
Tableau-manifeste de l'art français du XVIIe siècle
La famille de Darius, tableau peint en 1660/61, marque le début de la carrière de Charles Le Brun comme peintre du roi, elle marque également le début du gouvernement personnel de Louis XIV. Cette œuvre ouvre une nouvelle époque de la peinture en France, elle montre l'importance du dialogue avec la théorie de l'art moderne d'origine italienne, et incarne également une politique royale qui poursuit l'idée d'intégrer l'art moderne à ses stratégies. Pour mieux en saisir la signification complexe, cette étude analyse l'œuvre sous divers angles, elle s'attache au point de vue de la théorie politique, comme à celui de l'historiographie ou encore à l'histoire de la psychologie.