A Touva, en Sibérie du sud, des individus présentant des capacités sortant de l'ordinaire sont identifiés comme chamanes. On les sollicite pour voir l'invisible, faire venir le bonheur, chasser les maladies, dénouer des affaires de sorcellerie, dialoguer avec les défunts. Aux chamanes sont réservées des usages de la parole et des formes d'action sur le monde dont les " gens simples " s'estiment incapables. Pourtant les profanes ne laissent pas de se méfier des chamanes qu'ils fréquentent et de déployer des stratégies pour tester leurs talents et identifier les " imposteurs ".Depuis les années 1990, le chamanisme fait partie du paysage urbain à Kyzyl, la capitale de la république touva. L'autorité paradoxale dont jouissent actuellement les chamanes a de quoi surprendre si l'on songe aux répressions violentes et aux interdictions qui se sont abattues sur les traditions religieuses touvas à l'époque socialiste. À quoi tient l'autorité des chamanes ? Comment un nouveau chamane advient-il et comment se manifestent ses pouvoirs ? Comment distingue-t-on à Touva un " vrai chamane " d'un " charlatan " ? Pourquoi les gens s'attendent-ils toujours à l'apparition de chamanes en dépit des bouleversements violents subis par cette société passée du nomadisme à la sédentarité au cours du xxe siècle ?A partir d'une enquête ethnographique à Touva, cet ouvrage examine les fondements cognitifs et relationnels de la rigoureuse division des compétences rituelles entre spécialistes et profanes. Repoussant le modèle classique de l'" élection " ou de l' " initiation " du chamane par les esprits, l'auteur montre que la qualité de chamane est conçue comme un fait incorporé, souvent inné, qui se développe dans la violence. Par la comparaison avec des traditions chamaniques voisines, il identifie des schémas cognitifs stables et explore les rapports entre la conception touva des êtres singuliers et certaines dispositions psychologiques universelles.
Les recherches de l'auteur chez les Tsiganes de Transylvanie (Roumanie) explorent le lien entre musique, émotion et empathie, et se concentrent sur différents contextes sociaux où musique et pleurs vont de pair (lors des mariages, des funérailles, des baptêmes et des petites fêtes familiales). L'approche de ces thèmes est interdisciplinaire (ethnomusicologie, anthropologie et psychologie cognitive). C'est un travail à la fois de terrain et théorique.L'ouvrage nous invite à penser l'émotion musicale comme une forme d'identification, de projection, d'empathie avec des êtres, des " agents " que la musique véhicule et porte en elle.Le DVD-rom joint à l'ouvrage inclut le film documentaire Plan-séquence d'une mort criée (62 min, couleur, soustitré, prix " Bartok " au 24ème Bilan du Film Ethnographique, 2005) ; plus de trois heures de documents audiovisuels illustrant la vie musicale des Tsiganes de Transylvanie (mariages, baptêmes, funérailles, fêtes dans le quartier tsigane) et de nombreuses animations interactives (transcriptions, analyses musicales du répértoire instrumental et des lamentations funéraires). Ce support multimédia - riche en contenu et simple en utilisation - permet au lecteur de s'immerger à la fois dans la vie des protagonistes de l'ouvrage et dans le cheminement analytique proposé par l'auteur.
Pendant huit ans, Fabienne Martin a suivi le quotidien des résidents d'une communauté de lépreux établie dans la ville de Jodhpur au Nord de l'Inde. Cette communauté est née de la volonté de recouvrer une existence et une place dans une société surdéterminée par les appartenances collectives et dont les individus lépreux ont été détachés, dépossédés.Comment vivre avec la lèpre ? Pour les lépreux qui ont fondé la communauté et pour leurs descendants qui y sont nés, cette question impérieuse, existentielle au sens le plus littéral et le plus concret, anime sans relâche leur quotidien. Pour le chercheur, elle invite à examiner comment la vie peut se trouver radicalement redéfinie par un événement, et, à partir de l'éclairage de cette reformulation même, à appréhender le sens que les individus lui prêtent.Placés devant l'incertitude de l'inconnu, accompagnés par la violence de l'exclusion et les douleurs du corps, les lépreux ont constamment opéré des choix. Ils ont exploré des possibles et en ont aussi créés. C'est là que réside leur particularité, à la fois en deçà et au-delà de la communauté qu'ils ont formée, dans ce qui précède et ce qui suit sa constitution : dans une certaine manière de construire du commun, dans une certaine manière d'être en commun. Cet ouvrage s'intéresse à ces choix, ces parcours et ces élaborations qui exposent dans une certaine nudité ce qu'il est rarement donné d'observer : la fabrique en cours de nouvelles formes sociales d'existences.
Organisation sociale et logique symbolique en pays ouatchi (Togo)
Cet ouvrage est une étude de l'organisation sociale et de la vie religieuse des Ouatchi du Sud-Est Togo.Son argument principal consiste à mettre en évidence une corrélation systématique entre les deux axes – agnatique et utérin – de la parenté ouatchi, et deux modes logiques de la pensée symbolique – contiguïté et substitution. La parenté cesse ainsi de constituer un domaine parmi d'autres, pour devenir la clé de tous les domaines de la société – que ce soit les récits d'origine, la morphologie spatiale, le système matrimonial, les rites funéraires, l'art religieux, le code culinaire, les pratiques initiatiques ou la sorcellerie.
Les Aït Ba'amran, un exil en terre d'arganiers (Sud Maroc)
Et si la frontière était le centre du territoire ? Et si l'origine n'était pas un événement premier mais un événement répété et donc à venir ?Autant de questions posées par l'accueil de l'étranger aux frontières d'une tribu berbérophone du Sud marocain, les Aït Ba'amran, composée en grande partie de bannis venus des quatre coins du Maghreb et par-delà. Car l'étranger, l'ethnologue y compris, est ici invité à habiter les frontières du territoire politique pour incarner au mieux les valeurs d'une fondation axées sur le principe de conquête et non sur celui d'autochtonie. Quand l'altérité se joue de l'histoire, le dernier arrivant devient le premier venu, ou encore un juif errant le digne descendant du prophète de l'Islam.Seul l'exil est à même de susciter une si particulière manière de s'inscrire dans le sol et c'est à l'ombre des arganiers, dans les dernières montagnes arides du Sud ouest marocain avant le Sahara, que Romain Simenel a pu tirer parti de l'originalité du contexte ethnographique pour revisiter dans cet ouvrage certains paradigmes incontournables de l'Anthropologie Maghrébine : Comment aujourd'hui encore le territoire tribal articule-t-il segmentarité et sainteté ? Quelle place occupe le rituel dans la perception du territoire et du corps ? En quoi le mariage arabe renverse-t-il tant les fondements de la théorie de l'Alliance ? Comment l'héritage façonne la généalogie ? Plus encore, loin des préjugés sur l'influence que peut exercer la religion musulmane sur la manière de penser le rapport à l'environnement, et riche d'une configuration où les humains se sentent étrangers aux autres existants (plantes, animaux, génies) qu'ils côtoient en ces terres, Romain Simenel projette le Maroc sur le devant de la scène des réflexions menées par l'Anthropologie de la Nature. L'ouvrage délivre aussi les clefs de compréhension de quelques grandes énigmes de l'histoire sociale musulmane comme celle concernant la multiplication des descendants du prophète Mohammed. Enfin, l'auteur ouvre sur de nouvelles perspectives anthropologiques relatives à la cognition humaine en soulevant notamment l'existence d'une conception biologique de la transmission du langage cohabitant avec un apprentissage horizontal de la langue berbère par les enfants-bergers. La langue, le territoire, l'environnement, la parenté, le rituel et l'histoire, sont ainsi vus à la lumière de l'exil sous la forme d'un récit qui rend hommage aux sociétés humaines pour leur capacité à se définir par l'ailleurs.
Une approche anthropologique des joutes poétiques de Sardaigne
La joute poétique (Gara poetica) de tradition orale, pratiquée en Sardaigne lors des fêtes patronales, oppose deux ou trois poètes qui s'affrontent à partir de thèmes tirés au sort. Ils se répondent en chantant, accompagnés par un petit choeur polyphonique.Partant de l'observation des textes d'une centaine de joutes ainsi que de leur performance et des dires des poètes et du public, le livre démontre que la gara est une représentation de la vie humaine, comme un combat où le poète - à travers son improvisation - relève un défi contre le hasard et prend en main son destin.En fin de volume figure une joute entièrement transcrite et traduite, dont l'enregistrement est fourni sur un CD mp3.
Luc de Heusch examine les rapports entre l'anthropologie et la discipline baptisée Histoire. À titre d'essai, inaugurant une voie originale, il analyse ici du point de vue structural les relations permanentes et changeantes que le pouvoir entretient avec la religion.L'anthropologie sociale et culturelle (plus connue en France sous le nom d'ethnologie), considérée à tort comme une science coloniale périmée, nous livre une institution caractéristique des sociétés centralisées dépourvues d'écriture : la chefferie ou la royauté sacrée. L'auteur la décrypte comme structure symbolique arrachant le pouvoir au seul contrôle de la parenté.Elle transforme un homme, détenteur du pouvoir suprême, en une espèce de fétiche vivant, condamné à mort à plus ou moins brève échéance.L'Histoire, de son côté, a souvent affaire à une institution politicoreligieuse qui confère à un homme projeté au sommet du pouvoir un statut quasi divinisé. Le monothéisme s'est emparé de cette vision ; il fait du roi un prêtre d'une espèce particulière. Luc de Heusch analyse les avatars de ce continuum qui rend compte du devenir politique. Il prend le parti de Hobbes contre Rousseau et constate que la démocratie en tant que Léviathan a bien du chemin à parcourir avant d'être désacralisée.
Publié une première fois en 1994, repris et augmenté pour cette deuxième édition, ce livre propose une nouvelle approche de l'action rituelle, à partir d'une analyse de l'ensemble de comportements que les Iatmüls de Nouvelle-Guinée appellent naven. Cette analyse offre ainsi l'occasion de reprendre et de développer, sur de nouvelles bases ethnographiques et théoriques, les idées formulées par Gregory Bateson, dans les années 1930, sur ce rituel de travestissement. Bateson voyait dans le naven un premier modèle pour l'étude des modalités culturelles de la communication. Les auteurs montrent que l'action rituelle implique la mise en place de réseaux complexes de relations, engendrés par la condensation de modes relationnels contradictoires. Ce nouveau cadre conduit à la construction d'identités complexes et de formes spécifiques de l'interaction qui définissent l'univers de vérité du rituel.Ce livre vise donc à articuler l'histoire de la pensée anthropologique, l'analyse détaillée de l'ethnographie et la recherche théorique. La première partie examine les interprétations du naven formulées par Bateson et ses successeurs ; la deuxième offre une nouvelle interprétation du rituel à partir de l'ethnographie récente ; la troisième propose une nouvelle approche de l'action rituelle et suggère, à partir de l'analyse de nouveaux cas ethnographiques, une méthode pour formuler une théorie générale.
Représentations du travail en pays sénoufo (Côte d'Ivoire)
Les Sénoufo du nord de la Côte d'ivoire mettent au travail agricole une ardeur que les observateurs ont soulignée dès le 19e siècle. Pour ces cultivateurs, le travail puise sa valeur dans la souffrance qu'il occasionne plutôt que dans sa finalité productive. Les concours de travail agricole mettent ainsi en scène des champions prêts à affronter cette souffrance au péril de leur vie. De même, la musique qui accompagne certaines tâches, loin de les rendre moins pénibles, en redouble le caractère répétitif. Elle y introduit de surcroît, à travers l'évocation de thèmes douloureux, la part de souffrance morale inséparable du travail aux yeux des Sénoufo. Cette part est volontiers assignée aux femmes, notamment dans ces travaux que sont les soins funéraires et les gestes rituels.Dans ce livre, l'auteure explore la conception sénoufo du travail et nous donne matière à interroger la nôtre. Parce qu'aucune société ne le réduit à sa dimension économique, le travail constitue une catégorie proprement anthropologique.