Écrire l'événement : de la phénoménologie aux trauma studies
La prolifération des conflits armés, des accidents nucléaires, des catastrophes naturelles nous renvoie, plus que jamais, à l'événementialité du monde. Concept au croisement de la phénoménologie, des disaster studies, de la philosophie politique et des trauma studies, l'événement défie la somme des possibles, des concepts et des mots qui s'articulent pour nous en monde. Imprévisible, bouleversant, l'événement creuse un écart temporel entre son arrivée et notre réceptivité: il est en devenir à travers les réécritures et interprétations que nous en faisons. Chaque événement défait et refait monde, engageant une redéfinition de l'ipséité et une herméneutique sans cesse renouvelée, réflexion au cœur de l'écriture littéraire, de la thérapie et de la médecine narratives. Sur le plan politique, sa mise en récits est essentielle à l'élaboration des politiques de justice réparatrice, jouant un rôle déterminant dans la reconfiguration de l'identité collective.
Qui a lu Alexandre Dumas sait à quel point le commencement est dans ses œuvres un moment essentiel, qui correspond à une plongée savamment mise en scène dans un univers fortement référentiel sur le plan géographique, historique ou moral. Les premières phrases ou les premières répliques, l'apparition d'un nom, les pages inaugurales fixent un imaginaire puissant, souvent un cadre spatio-temporel précis, à l'intérieur duquel se meuvent bientôt les personnages. Le début est ainsi chez Dumas un capteur d'attention, conçu pour inciter le lecteur à tourner rapidement la page, le spectateur à attendre avec impatience la scène suivante; c'est un lieu de rencontre crucial entre l'écrivain et son public. En abordant, sans exclusive, tous les genres illustrés par l'auteur, ce numéro d'Elseneur interroge les "seuils" de l'œuvre dumasienne, qu'ils soient théoriques (préfaces, introductions, avant-propos, commentaires liminaires), fictionnels (incipit, scènes d'exposition) ou autobiographiques (souvenir personnel, point de départ puisé dans la vie de l'auteur, dans les récits autobiographiques eux-mêmes ou dans des œuvres fictionnelles qui en sont inspirées).
Dans la "France galante" du XVIIe siècle, écrire est un exercice social, et les œuvres de plumitifs abondent. Mais comme le montrent les neuf contributions du présent numéro, les pratiques sont bien plus diverses, et elles sont loin de se limiter aux cercles de sociabilité mondaine. Tantôt manuscrites et réservées à des lecteurs choisis, tantôt imprimées et vendues avec plus ou moins de succès, les productions se caractérisent par une grande diversité, à l'instar de leurs auteurs et des visées qu'ils poursuivent. Le présent volume se propose d'explorer ce vaste champ des Pratiques d'amateurs au XVIIe siècle et d'offrir ainsi un éclairage sur des usages souvent encore mal- voire méconnus aujourd'hui
La forme versifiée du dialogue dans les genres narratifs (XVe-XVIIe siècles)
La structure métrique peut se mettre au service du dialogue entre des personnages d'un récit et inversement le dialogue soutenir le séquençage introduit par le mètre et la rime. C'est l'interaction entre ces deux principes d'agencement textuel que le présent numéro se propose d'explorer pour une période allant du XVe au XVIIe siècle. L'approche s'avère en l'occurrence résolument stylistique. Les contributions envisagent la rencontre de la conversation et de la forme vers dans différentes œuvres narratives en considérant des aspects comme le choix du mètre, la pratique de la rime, la structure de la strophe, les traits d'écriture des genres, les cadres rhétoriques du discours, les stratégies argumentatives et la représentation de l'oral.
Écrit sur l'écorce, la pierre, la neige... Les supports matériels du poème (période moderne et contemporaine)
Que le grain de la matière soit réellement convoqué dans certaines pratiques de la poésie in situ, ou qu'il soit rêvé dans le texte lui-même, l'intérêt suscité par la matière élémentaire dans la poésie contemporaine relève du paradoxe: la scène contemporaine de l'écriture poétique est visitée par un imaginaire archaïque venu d'un temps difficilement situable, celui des inscriptions ou des empreintes qui, des épitaphes funéraires aux initiales entrelacées des amants gravées dans l'écorce, portent la trace humaine dans le monde sensible pour l'éterniser. Comment se conjuguent cette fascination pour l'archaïque et les gestes de notre modernité? En réunissant des chercheurs en littérature française, en littérature comparée et en littérature hispanophone, les contributions de ce numéro entendent explorer la circulation entre les inscriptions passées dont les traces s'impriment dans la mémoire et celles proposées en relais par les poètes d'aujourd'hui.
Dans l'œuvre de Claude Simon, les descriptions de corps ont un rôle primordial. Ils y apparaissent d'abord directement exposés aux rigueurs de la nature et aux violences guerrières. Puis, la réflexion est infléchie par la prise en compte de la place du corps de l'artiste et, en particulier, l'importance des dessins de la main de l'auteur. Dès lors, les analyses portent sur la représentation des corps, ils sont donc abordés indirectement comme des objets artistiques mais encore comme les lieux d'une tension entre eros et thanatos. Une autre forme de discordance anime la construction des récits qui thématisent leur impossible fin. Loin de mener à un constat d'échec, elle ouvre à la relecture et ranime la passion des lecteurs.
Porté par une "passion poétique" pour les sciences, J.-H. Rosny aîné (1856-1940) a voulu faire du roman le lieu d'une nouvelle compréhension du monde et de l'histoire de l'humanité. Méditations scientifiques tout autant que productions de l'imaginaire, ses romans, hybrides et pluriels, ont ouvert la voie dès le début du XXe siècle à une littérature promise à un grand succès: celle de la science-fiction et de la fantasy. Les articles rassemblés dans ce volume témoignent de l'étonnante variété d'une œuvre où science et poésie conjuguent constamment leurs savoirs et leurs effets. Ils mettent en lumière le regard panoramique que Rosny a voulu porter sur l'histoire de l'humanité, de ses origines jusqu'à sa fin annoncée.
Qu'il les déplore ou qu'il s'en félicite, l'écrivain du XIXe siècle ne peut ignorer les nouveaux pouvoirs de la publicité appliquée à la littérature. Si de nombreux auteurs ont affiché une résistance farouche contre cette nouvelle donne commerciale qui fait de la littérature une marchandise, d'autres se sont montrés bien plus coopérants. En se généralisant au cours du siècle, la publicité éditoriale a poussé les auteurs à prendre une part de plus en plus active à la promotion commerciale de leurs œuvres et de leur personnage médiatique. Comment ont-ils répondu à cette double injonction ? C'est la question à laquelle les contributeurs de ce volume se proposent de répondre.
Sur la paroi nocturne. L'art pariétal dans les littératures des XXe et XXIe siècles
Depuis leur découverte, les grottes ornées préhistoriques fascinent et éblouissent. La sûreté du trait, la qualité des compositions, adaptées aux rotondités et aux creux des parois, impressionnent. Les fresques demeurent une énigme admirable qui inspire les créateurs des XXe et XXIe siècles. Ce numéro de la revue Elseneur en constitue le témoignage. Il débute par un essai de Renaud Ego qui évoque le bouleversement existentiel entraîné par son étude des peintures des San en Afrique du Sud. Il est organisé ensuite autour de quatre thématiques: " Tracés sur la pierre ", " Commune présence ", " Dans la caverne de la pensée " et " Préhistoires d'aujourd'hui ". Ces chapitres permettent de rendre compte des diverses manières dont cet art ancien marque son empreinte sur les œuvres contemporaines. Celles-ci renouvellent son approche tout en maintenant ouvert le mystère de sa beauté.