Dans le second XIXe siècle, la révolution industrielle change le rapport au travail et à la question sociale. Les usines se développent et la main-d'œuvre ouvrière est un maillon essentiel dans la France industrielle, celle des travailleurs du fer qui œuvrent à la lueur des hauts-fourneaux, des travailleurs de l'industrie textile dans le Nord, confrontés à l'enfer des tisseurs, et des travailleurs du feu, avec leurs cueilleurs et leurs souffleurs. Cet univers des ouvriers verriers sert de cadre à une pièce inédite de Georges Darien: La Viande à feu (1907). À la tâche, on ne trouve pas simplement des adultes, mais des enfants affrontant la violence des patrons, la faim, l'indignité, et les brasiers des fours, des enfants en somme devenus de la " viande à feu ". C'est dans ce contexte que Georges Darien, dramaturge de sensibilité anarchiste, choisit de mettre en scène une enfance sacrifiée, tout en prenant soin d'associer ce motif révoltant à d'autres thématiques: la fausse philanthropie, le bourgeois sans scrupule pour qui seul compte l'argent, le prêtre devenu un " monstre en soutane " œuvrant à de basses besognes – esclavagisme, complicité d'attentats à la pudeur. À travers une pièce qui emprunte à la société du début du XXe siècle, qui lui est contemporaine, Darien esquisse la peinture d'une " Comédie Inhumaine " ouvrière, manière pour lui de proposer un nouveau " Théâtre Social ", théâtre qui questionne et qui tout à la fois fait date, tant pour ce qui est du ton adopté que des rapports qu'il entretient avec le genre dramatique.
La formation du prince chrétien occupe au Grand Siècle une place de choix dans les préoccupations des pères de la Compagnie de Jésus dont on connaît l'engagement en matière de pédagogie. Composé de textes jésuites d'origine française ressortissant à l'éloge du prince et puisant à des genres littéraires variés (discours parénétiques, poèmes allégoriques, traités, relations de festivité), ce corpus en français et en latin porte l'enquête sur l'éducation des deux dauphins devenus rois sous le nom de Louis XIII et Louis XIV. Du Catéchisme royal de Richeome imprimé à l'occasion du baptême du futur Louis XIII, à l'Eloge du roy Louis XIV. Dieu-donné paru en 1651, discours testamentaire et politique à travers lequel le père Nicolas Caussin envisage à nouveaux frais les rapports de l'Église et de l'État, ces textes portent tout à la fois des ambitions panégyriques et didactiques en proposant des suites d'exhortations et de conseils destinés à l'institution du prince. Ils livrent un témoignage éclairant sur l'histoire des idées religieuses, politiques et éducatives, l'histoire des comportements et des représentations de la première moitié du xviie siècle en France.
Pierre Corneille (1606-1684), dramaturge du " Grand Siècle ", auteur du Cid, poète rouennais peu enclin à la vie de cour parisienne fut, de son vivant déjà, l'objet d'anecdotes. Ses personnages contribuent notamment à façonner le portrait de l'homme de lettres, dans un effet constant de spécularité. Aux côtés de Molière, homme et écrivain du rire, et de Racine, homme et écrivain de la passion, Corneille homme et écrivain du miroir, incarne à tour de rôle la loyauté, la vertu et la dignité.L'histoire littéraire construit donc un Corneille-personnage qui vient parachever le portrait de l'écrivain. Aussi les légendes de la querelle littéraire, de l'aimable père de famille rouennais à l'écart de l'agitation courtisane ou de l'inégalé versificateur n'ont-elles rien à envier à celle du Cid.Or au XVIIIe et au XIXe siècles, le phénomène prend de l'ampleur : des commémorations et des célébrations impliquant non seulement la représentation de pièces de Corneille mais aussi des pièces de circonstance ont Corneille pour personnage. Montrant le père, l'époux, le frère et le dramaturge à sa table de travail, elles invitent au spectacle d'un double devenir Corneille. Avec en point d'orgue deux questions qui président à la réalisation d'un tel spectacle : comment un juriste provincial est-il devenu un grand auteur, comment l'histoire littéraire a-t-elle fabriqué sa mythologie ?
Liminaires des recueils français de narrations plaisantes (XVe-XVIIe siècles)
Les recueils de narrations plaisantes et facétieux devis, publiés par dizaines en France entre les débuts de l'imprimerie et la fin du XVIIe siècle sont, pour la plupart, dotés de textes liminaires variés et nombreux. Préfaces, introductions, avis aux lecteurs, remarques de l'imprimeur-libraire, épîtres dédicatoires et autres poèmes rédigés par les amis de l'auteur constituent, pour les lecteurs de la première modernité, des " seuils " familiers qui renseignent sur les enjeux de cette littérature plaisante.Le présent volume fait donc entendre les propos qui ont été tenus à la fois sur et à côté des histoires récréatives. Rassemblant des considérations pragmatiques, stylistiques, morales, publicitaires, tantôt sérieuses, tantôt humoristiques, les pièces ici réunies invitent à la (re)découverte d'un ensemble d'une cinquantaine d'œuvres, des Cent Nouvelles nouvelles à la Gibecière de Mome. Dans leur profusion et leur variété, ces discours réinscrivent les récits qu'ils accompagnent dans des pratiques attestées de divertissement, tout en nourrissant un imaginaire du rire comme antidote aux tourments de l'existence.
De l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres à la lieutenance des habitants de la ville de Reims, le parcours intellectuel et social de Levesque de Pouilly (1691-1750) fut accompagné d'échanges avec nombre de personnages célèbres: philosophes, écrivains, scientifiques et hommes politiques. Sa Théorie des sentiments agréables, dont on donne ici la première édition critique en se fondant sur la dernière version remaniée par l'auteur, est le fruit d'une assez longue réflexion encouragée par ses plus proches amis. Largement diffusée et rééditée encore de manière posthume en 1774, cette œuvre qui associe l'analyse du sentiment moral à une réflexion sur les arts et la rhétorique ne se réduit pas à un simple hédonisme: enracinée dans une excellente connaissance de la culture gréco-latine, la Théorie des sentiments agréables combat les idées de Bayle tout en prolongeant les réflexions engagées par les philosophes anglais; dans son théisme, elle demeure notamment marquée par la méthode newtonienne et par les choix des Modernes. L'Encyclopédie reprendra plusieurs de ses analyses, montrant ainsi que l'ouvrage s'inscrit dans le mouvement des Lumières.
Corps sensuels et alanguis, harmonie des formes et des couleurs, culte de la beauté et de la sensation: c'est au Royaume-Uni, au cours du dernier tiers du règne de Victoria (1837-1901), que naît l'esthétisme, sur lequel cet ouvrage a l'ambition d'offrir un éclairage pour un public francophone.Courant artistique et littéraire multiple et contradictoire, associé à des peintres tels que Burne-Jones, Leighton, ou Whistler, à des écrivains comme Pater, Ruskin, Swinburne ou Wilde, l'esthétisme est à la fois intrinsèquement britannique – fondé sur un prolongement de l'art préraphaélite et le rejet d'une industrialisation qui a radicalement transformé les paysages et les modes de vie du Royaume-Uni au fil du xixe siècle – et résolument européen, puisant ses sources dans la philosophie allemande et chez des écrivains français comme Baudelaire ou Gautier. Le mouvement esthétique est également trans-artistique et ne saurait se saisir qu'à travers la mise en regard du texte et de l'image – l'étude de l'influence réciproque de la peinture et de la littérature et l'examen d'une critique d'art subjective et créatrice.Ce volume se propose de cerner les contours de ce mouvement polymorphe, qui trouble les genres et les catégories, à travers la traduction richement annotée de quelques-uns des écrits critiques clefs qui en définissent ou en illustrent les principes. La seconde partie de l'ouvrage réunit quatre études rédigées par des spécialistes du champ. Elles portent sur les motifs fondateurs de l'esthétisme et interrogent les rapports inter-artistiques au cœur d'un mouvement qui se situe au seuil de la modernité et dont l'influence excède les frontières strictes du Royaume-Uni.
Somme mythographique exceptionnelle par son ampleur et sa postérité, la Mythologie de Natale Conti constitue une référence incontournable pour les lettrés, les penseurs, les éducateurs et les artistes européens des xvie et xviie siècles. On s'y reporte pour attester l'existence d'une version méconnue d'un mythe ou citer un fragment de texte antique, pour représenter une divinité avec des attributs rarement vus ou pour découvrir des interprétations aptes à stimuler la réflexion. Aujourd'hui comme autrefois, qui veut comprendre une expression peu usitée ou un aspect surprenant dans le traitement d'un sujet mythologique y trouve le plus souvent l'explication qu'il cherche. Le premier de ses dix livres, édité ici, introduit cette riche matière. Il définit l'utilité des fables et leur différence avec l'apologue, analyse leur lien avec le divin et décrit les rites et les sacrifices des anciens peuples. Magasin, manuel, anthologie poétique et haut lieu de savoir, la Mythologie connut de continuelles métamorphoses dues à son auteur, à ses éditeurs, correcteurs, commentateurs, traducteurs et illustrateurs. La présente édition s'attache à rendre compte de ces transformations, tout en éclairant leur contexte et leurs significations. Elle donne pour cela le dernier état français du texte, paru en 1627 à l'initiative de Jean Baudoin. Traducteur, commentateur et éditeur, Jean Baudoin, qui fut l'un des premiers membres de l'Académie française, sut, selon ses propres termes, embellir l'ouvrage et lui donner sa forme achevée. Il participa ainsi au rayonnement remarquable de cette œuvre essentielle à la culture européenne de la première modernité.
Le cycle peint par Rubens à la gloire de Marie de Médicis est un des plus importants et des plus audacieux de la première modernité, sur le plan pictural comme sur le plan politique. Ce livre ambitionne de faire revivre cette galerie, telle que les visiteurs la contemplèrent au palais du Luxembourg de son inauguration en 1625 à son démantèlement en 1780. Il en réunit une dizaine de descriptions, rédigées en latin, italien ou français – certaines sont inédites, d'autres traduites pour la première fois –, ainsi que des extraits du débat sur les allégories. Tous ces textes sont précisément annotés et complétés par une série d'études associant historiens, historiens de l'art et philologues.Ces descriptions anciennes sont d'autant plus précieuses que le langage de la galerie est volontairement chiffré: en s'assimilant secrètement aux déesses Junon et Minerve, et même à la Vierge, Marie de Médicis réécrit l'histoire pour laisser un monument à la gloire de son règne. Le langage allégorique de Rubens, empreint d'une immense érudition numismatique et archéologique, dissimule le formidable orgueil et les constantes transgressions de la reine. Ce retour aux sources contemporaines du cycle jette une nouvelle lumière sur sa signification, tout en proposant autant de visites virtuelles, de récits de l'histoire de France et de leçons de peinture. Ce Memento Marie rend hommage au génie pictural et politique de Rubens, artisan de la mémoire de la médicéenne.
Auteur reconnu à l'époque victorienne, ami de John Ruskin et de Lewis Carroll, George MacDonald semble s'être évanoui dans les vapeurs épaisses de la révolution industrielle. " La Princesse légère " fait néanmoins partie des récits de cet écrivain écossais qui ont traversé le temps – et la Manche – avec succès. Cette histoire morale d'une princesse sans gravité enthousiasme encore les petits britanniques lesquels n'ont pas toujours un accès direct au texte, puisqu'ils se contentent d'explorer le royaume de Lagobel en empruntant d'autres chemins médiatiques, comme ceux de l'album, du film (BBC, 1985) ou de la comédie musicale.Or même s'il reste peu connu Outre-Manche, George MacDonald n'en demeure pas moins une des grandes figures du patrimoine littéraire anglais. Ses contes merveilleux, dont il renouvelle la forme et les enjeux, fondent le genre de la fantasy moderne et ont inspiré des auteurs de premier ordre, tels C. S. Lewis, J. R. R. Tolkien ou Madeleine L'Engle. Pour autant, la dernière traduction française de son best-seller, " La Princesse légère " remonte à 1981, et d'autres récits de MacDonald sont encore aujourd'hui introuvables, même en langue anglaise. En rassemblant une sélection de contes, cette nouvelle traduction, qui réunit plusieurs études critiques, cherche à pallier ce manque.