En 1905, lors de la séparation des Églises et de l'État, les protestants français sont massivement de confession réformée, dotés d'une forte identité politique, sociale et culturelle qui les place au coeur de la République. En un siècle, leur visage se modifie profondément, devient plus urbain et d'origines plusvariées. Leur comportement électoral se diversifie. Le poids des sensibilités évangéliques s'accroît considérablement. C'est l'histoire de cette mutation qu'éclaire l'ouvrage qui leur est consacré ici. L'auteur fait aussi la part entre réalités et représentations dans l'appréhension d'une minorité religieuse composite et souvent méconnue.
Ce numéro varia éclaire les usages du religieux comme catégorie, principe de régulation et institution.C. Clémentin-Ojha montre comment la traduction de secular dans la Constitution indienne révèle les tensions entre droit, État et définition de la catégorie " religion " dans l'hindouisme. Dans son analyse de la judiciarisation du blasphème au Pakistan, P. Rollier souligne que catégoriser un acte comme contraire à la religion ne relève pas seulement de modes de croire, mais aussi de logiques issues d'une histoire juridique et coloniale.L. Seurat et J. Safar éclairent ensuite les enjeux de régulation du religieux, à travers le cas du marché du hajj en France, où contrôle des mobilités et fabrication d'un " islam de France " s'entrecroisent. C. Vincent-Cassy retrace l'essor du culte de l'archange Raphaël sous Charles II, instrument de protection et de légitimation dynastique.E. C. Calabrese aborde le Hezbollah comme une institution à la fois religieuse, politique et militaire. À l'inverse, M. Colin montre que les membres du Temple Satanique se réapproprient la figure de Satan comme symbole d'émancipation envers la contrainte institutionnelle.Enfin, M. S. Chaidron s'intéresse à la récupération catholique de Claude Bernard, posant la question – centrale pour les sciences sociales des religions – des frontières entre science et religion.
Dans le cadre de leurs cultes, les dieux et les déesses des Grecs reçoivent des épithètes dont le nombre et la diversité participent du caractère fondamentalement polythéiste du système religieux hellénique. Au cœur de cette richesse onomastique, qui caractérise nombre de divinités, Zeus est incontestablement le mieux doté, quantitativement aussi bien que qualitativement. Une telle abondance de dénominations constitue dès lors un moyen d'accès à une meilleure connaissance de la morphologie de Zeus, tout autant qu'un défi à sa cohérence en tant que puissance divine. C'est notamment le cas à Athènes, dont la documentation, un peu moins lacunaire qu'ailleurs, permet un examen systématique et contextualisé de l'ensemble des épithètes cultuelles du dieu. Une telle étude rend compte tant de la pluralité des domaines d'intervention de celui qui est entre autres 'Au-sommet' (Epakrios), 'Des-bornes' (Horios), 'Des-biens' (Ktèsios) ou 'Olympien' (Olumpios), que de la multiplicité des logiques à l'œuvre dans ses modes d'action. Elle témoigne également de la place structurante de Zeus au sein du panthéon d'une cité dominé par Athéna, dont la position tutélaire est indéniablement soutenue par le déploiement des fonctions de son père.
Cet ouvrage rend hommage à Françoise Moreil, maîtresse de conférences en histoire moderne et grande spécialiste du protestantisme méridional, en compilant ses articles les plus importants. Il met en lumière le cas particulier que représente la principauté d'Orange, longtemps terre de tolérance pour les protestants comme pour les catholiques.
Après avoir rendu hommage é l'historien du christianisme contemporain Claude Langlois (1937-2024) et avant les nombreuses recensions qui sont le socle de sa tradition, le Bulletin bibliographique s'ouvre cette année à une variété toujours plus importante de contributions réflexives sur la diversification des formes de l'historiographie et les conditions de l'analyse sociologique des faits religieux. Les Ateliers s'interrogent, théoriquement et pratiquement, sur les nouvelles écritures des sciences sociales du fait religieux, autour d'études des socialisations islamiques et du statut de l'image — deux textes qui nous feront entrer d'une part dans le détail vivant de l'image d'un monastère, et d'autre part dans l'hétérographie.Les quatre Notes critiques qui suivent reviennent sur les approches actuelles de l'islam africain; sur les voies par lesquelles une même génération de clercs s'est convertie a une carrière éditoriale dans le second xxe siécle. Elles proposent également un premier point d'étape posthume sur l'oeuvre de BrunoLatour (1947—2022), a l'occasion de la publication de ses premières recherches théologiques et écologiques, et une présentation des avancées actuelles del'histoire de la théologie, ou l'on retrouvera la grande figure de Claude Langlois. Enfin, deux Lectures croisées traversent — sans risquer dc l'épuiser — le récentDictionnaire critique de I'Eglise coordonné par Dominique Iogna-Prat, Frédéric Gabriel et Alain Rauwel et s'intéressent aux importants travaux de Jean During sur la place et le sens du son musical dans la culture spirituelle soufie.
À la fois "?don de soi?" et valeur d'accomplissement personnel, la notion de vocation relève d'un registre intime mais ne prend sens qu'au regard des normes collectives qui l'organisent. D'origine religieuse, elle n'a cessé de circuler sur un registre laïcisé, à la fois reprise et déconstruite, pour qualifier les engagements professionnels et publics les plus divers et en produire la critique. Inscrite dans la durée des vies individuelles, elle peut être l'objet de retours sur soi, de déplacements ou de ruptures, qui mettent les institutions à l'épreuve et les contraignent au changement.Cette livraison des Archives ouvre ses pages à un groupe de jeunes chercheurs et chercheuses, spécialistes du catholicisme contemporain, qui décrivent les vocations religieuses comme un fait social à part entière, à la lumière de terrains nouveaux et d'archives récemment ouvertes. Au croisement entre histoire, sociologie et anthropologie, ils et elles en font aussi l'observatoire de questions transverses, le genre, le vieillissement, l'engagement dans la cité ou le retrait à distance d'elle. Ce dossier est enfin l'occasion de lire en conclusion l'un des tout derniers textes écrits par l'historien Claude Langlois, quelques semaines avant sa mort en mai 2024.
Très présente dans les débats publics actuels, la mondialisation est envisagée avant tout dans son sens économique de libéralisation des échanges de biens, de personnes et d'informations. Mais elle peut être pensée de manière bien plus large et sur le temps long, les contacts entre les différentes parties de la planète, qu'ils soient économiques, politiques, culturels ou religieux ayant façonné l'histoire des sociétés. L'Islam lui-même est né de ces échanges, de ces circulations, de ces mondialisations, que nous avons choisi de penser au pluriel. Le présent volume entend soulever la question de l'Islam dans les mondialisations à travers différents angles d'approche, de la circulation des savoirs et des idées à la représentation de l'autre, des enjeux financiers à la circulation de l'information, des réflexions théologiques aux idées révolutionnaires.
L'indignation mondiale suscitée par les caricatures de Mahomet et l'attentat terroriste contre Charlie Hebdo en 2015 l'ont clairement montré : le blasphème n'est pas une relique de l'Inquisition, il est plus actuel aujourd'hui qu'il y a cent ans. Celui qui rabaisse ce qui est sacré pour les autres doit s'attendre à des réactions violentes, et celui qui se défend contre les discours blasphématoires peut mobiliser de nombreux censeurs.Gerd Schwerhoff propose ici une grande histoire du blasphème de l'Antiquité à nos jours, en passant par le Moyen Âge et les Lumières. Il explique pourquoi, depuis plus de deux mille ans, les hommes insultent Dieu, les prophètes ou les saints, et pour quelles raisons ces paroles et ces actes déchaînent les passions. Il nous donne à voir les figures changeantes du blasphème au fil des époques, depuis les paysans qui jurent au Moyen Âge et les réformateurs condamnés à mort pour avoir insulté des statues religieuses jusqu'aux tensions actuelles autour de la laïcité, en passant par le combat de Voltaire contre le délit de blasphème ou encore la Femen Josephine Witt accusée de blesser les sentiments religieux en montant sur l'autel de la cathédrale de Cologne.L'historien montre que ceux " d'en haut " sont presque toujours vilipendés par ceux " d'en bas ", poussés par l'impuissance et la colère contre les dirigeants, contre un Dieu apparemment indifférent ou contre d'autres religions. Et l'on peut ainsi voir les récentes affaires de blasphème d'un autre œil : la frontière entre la moquerie et l'insulte s'efface, l'outrage s'inscrit dans un conflit plus large, et peut entraîner une violence extrême.
Quand la foi s'incarnait dans une praxis collective, le christianisme était l'élément structurant des sociétés européennes. Rupture majeure avec le Moyen Âge, les réformes du XVIe siècle provoquèrent des guerres intestines, ponctuées d'atrocités, mais la compétition entre catholiques et protestants fut aussi un moteur de modernisation sociale, à travers les processus de scolarisation, de catéchisation, et l'essor de l'imprimé. La confessionnalisation ne fit pas disparaître pour autant les minorités religieuses. Celles-ci doivent être appréhendées à plusieurs échelles, chrétiens et non-chrétiens n'étant pas régis par les mêmes règles.
Le thème du sacrifice humain ne peut laisser indifférent et continue de susciter bien des interrogations, entre fascination et dégoût. Historiens et anthropologues se divisent sur l'historicité supposée du phénomène. Pour sortir de l'impasse, cet ouvrage se penche sur la manière dont les cultures se représentent le sacrifice humain, le leur ou celui des autres, fût-il réel ou symbolique. Comment une société fait-elle face à ce qui est – ou ce qu'elle croit être – son passé cruel et sanglant? Quelles sont les valeurs dont le sacrifice humain, et d'autres concepts proches, comme l'anthropophagie, se trouvent chargés en vertu des normes indigènes? Comment ces perceptions ont-elles persisté dans la longue durée et comment se sont-elles adaptées aux idéologies changeantes? Le cœur du volume est consacré au dossier hellénique, remarquablement documenté par les Grecs eux-mêmes. À ce dossier répondent en contrepoint plusieurs articles sur la Chine ancienne, les Aztèques, et la Rome antique, qui projettent un regard différent et sont autant de raisons de remettre cent fois sur le métier cet objet fascinant.
Interactions culturelles et co-constructions religieuses chez les Nanaï du bassin de l'Amour, Extrême-Orient de la Russie
Cet ouvrage est consacré à l'évolution des pratiques religieuses chez les Nanaï de l'Extrême-Orient, entre la Russie et la Chine : la disparition progressive des chamanes a-t-elle signifié la fin du chamanisme ou faut-il parler d'adaptations et de transformations ? Grâce à des terrains dans la région de l'Amour entre 2011 et 2015, Anne Dalles Maréchal rend compte des stratégies culturelles de ce peuple de la rivière : les changements d'interprétation du registre mythique et rituel qui permettent de comprendre comment les Nanaï abordent le monde qui change ; les conversions aux christianismes, où ruptures et continuités répondent aux logiques de l'histoire ; enfin, la broderie dont le savoir-faire ancien permet aujourd'hui de créer des identités visuelles dans le cadre de la patrimonialisation des minorités de Russie.Grâce à l'Auteure, on mesure le dynamisme reconstructeur de la " tradition " et l'agentivité d'un peuple autochtone minoritaire face à une culture dominante pluriséculaire.
Les quatre puruṣārtha ou " buts de l'homme " canoniques pourraient être rangés sur une échelle dont le dharma occupe, bien souvent, l'étage le plus élevé ; les notions de profit (artha), d'éros (kāma) et de délivrance (mokṣa) sont alors comme résorbées dans ce dharma ultime, par-delà de toute hiérarchie. Pourtant, le caractère normatif du dharma se décline selon les dispositions et les actes individuels de l'homme qui l'incarne et qui en est la véritable mesure.Cet ouvrage aborde le concept de dharma par une mise en perspective selon les époques et les domaines, et permet d'en mettre en lumière les différents " visages " : non pas tel ou tel aspects du dharma, mais à chaque fois ce " tout " du système qui tire sa force d'une longue histoire et en même temps d'une capacité à se transformer, et à composer avec des situations ambigües voire contradictoires. Les articles réunis dans ce volume présentent quelques visages du dharma ainsi recomposés, considérés dans différents domaines de la culture indienne, de la poésie védique à la grammaire, des épopées au théâtre, de l'arthaśāstra aux traditions (religieuses et philosophiques) sectaires - les premières écoles bouddhiques, la Mīmāṃsā, le tantrisme, le yoga -, et jusqu'à la jurisprudence indienne au XIXe siècle, avec deux éclairages inédits sur le dharma des femmes.