Violence et pouvoir à Houaïlou (Nouvelle-Calédonie)
Quel est le fil conducteur qui mène un anthropologue enquêtant à Houaïlou, en Nouvelle-Calédonie, à s'intéresser à la fois aux opérations de répression coloniale menées en 1856, à la chasse anti-sorciers de 1955, à la mobilisation indépendantiste des années 1980 et aux règlements de compte villageois des années 2000 ? La violence, le conflit, la guerre. Autrement dit, quelles sont les conventions d'usage de la violence ? Comment contrôler la violence pour éviter la guerre, ou pour la préparer en secret ?Michel Naepels décrit et analyse les pratiques guerrières, les figures du massacre, la question de l'anthropophagie, les " objets de guerre ". À travers cette archéologie de la violence, il rend compte de l'inventivité pratique, de l'intelligence et de la ruse des Kanaks impliqués dans des rapports conflictuels, souvent violents. Les archives et le recours aux récits recueillis auprès des habitants actuels de Houaïlou restituent l'épaisseur de ces moments historiques, les contextes emboîtés de l'action politique qui s'y déploie, tout en interrogeant la valeur et les limites de l'enquête de terrain.Ces épisodes sont autant de séquences de changement dans l'organisation sociale, administrative, foncière ou politique : ils permettent de comprendre, depuis la prise de possession par la France jusqu'à nos jours, les modalités réelles de mise en oeuvre de la gouvernementalité coloniale et postcoloniale. L'attention portée à l'invention, à l'importation ou à l'adaptation des techniques répressives, massivement liées à l'expérience française en Algérie, ouvre à une véritable géopolitique de la colonisation. À travers cette description minutieuse des logiques sociales du conflit, Michel Naepels invite aussi à une réflexion sur la place des fantasmes européens sur la violence ethnique, sur les représentations de l'altérité.
Aux prises avec des tensions interethniques exacerbées à la fin des années 1960, le gouvernement malaisien a mis en place des réformes économiques orientées vers la croissance, mais dont l'objectif premier était la cohésion nationale. Or ce sont les effets massifs et durables de ces réformes qui ont forgé l'exceptionnel développement économique du pays. Au croisement d'interrogations sur la dynamique de la croissance, le développement asiatique, le poids des structures coloniales, le rôle de l'État et ses ambiguïtés, cette recherche sur les causes et les modalités du développement malaisien conduit à repenser la mondialisation. En effet, l'exemple malaisien éclaire de manière originale l'hypothèse d'un dépassement de l'État au sein d'une globalisation néolibérale : la souveraineté dont fait preuve le gouvernement malaisien sur la longue durée contraste avec la situation objective de ce petit pays dépendant de grands partenaires économiques et financiers qui sont aussi ses prescripteurs technologiques et culturels. La Malaisie révèle ainsi la possibilité politique de se frayer une voie singulière et autonome dans la mondialisation.
Contribution à une nouvelle facette des études anthropologiques sur le sang, ce dossier accorde la priorité à ce sang qui est celui des spécialistes de la santé publique et du domaine biomédical. Loin de laisser de côté le symbolique ou le surnaturel, il s'attache à montrer de quelle façon le social, le culturel et le religieux s'immiscent dans des contextes où, pensait-on communément, ils n'avaient guère leur place.
Publié une première fois en 1994, repris et augmenté pour cette deuxième édition, ce livre propose une nouvelle approche de l'action rituelle, à partir d'une analyse de l'ensemble de comportements que les Iatmüls de Nouvelle-Guinée appellent naven. Cette analyse offre ainsi l'occasion de reprendre et de développer, sur de nouvelles bases ethnographiques et théoriques, les idées formulées par Gregory Bateson, dans les années 1930, sur ce rituel de travestissement. Bateson voyait dans le naven un premier modèle pour l'étude des modalités culturelles de la communication. Les auteurs montrent que l'action rituelle implique la mise en place de réseaux complexes de relations, engendrés par la condensation de modes relationnels contradictoires. Ce nouveau cadre conduit à la construction d'identités complexes et de formes spécifiques de l'interaction qui définissent l'univers de vérité du rituel.Ce livre vise donc à articuler l'histoire de la pensée anthropologique, l'analyse détaillée de l'ethnographie et la recherche théorique. La première partie examine les interprétations du naven formulées par Bateson et ses successeurs ; la deuxième offre une nouvelle interprétation du rituel à partir de l'ethnographie récente ; la troisième propose une nouvelle approche de l'action rituelle et suggère, à partir de l'analyse de nouveaux cas ethnographiques, une méthode pour formuler une théorie générale.
Les interfaces sont apparues comme des lignes fluctuantes dans le temps et l'espace. Les dynamiques côtières, celles des écotones ou des vecteurs de maladies, celles qui président à la construction du fait urbain ressortissent de l'impermanence spatio-temporelle. D'irrémédiables ruptures ou de possibles cicatrisations. Les guerres et les catastrophes figurent parmi ces ruptures. Mais certains conflits, tels ceux de l'Afrique de l'Est, n'augurent pas de possibles résolutions durables. Des catastrophes naturelles peuvent aboutir à des mesures de relèvement et préventives efficientes, grâce à l'utilisation d'outils appropriés. Provenant de dissemblances exacerbées, atténuées ou aux formes nouvelles. Des contrastes socio-économiques entre des lieux géographiques au déterminisme physique s'estompent ou se modifient. C'est le cas dans les massifs d'Afrique de l'Est, dans la péninsule indochinoise et dans les petites îles tropicales. Les lieux touristiques sont des interfaces édifiées à partir de l'altérité. Elle y est émoussée, exploitée ou mise en scène. Sources de flux, d'échanges et de néo-constructions. Le franchissement légal ou non des frontières politiques, celui des barrières spécifiques (maladies), des hommes, des marchandises et des capitaux, naissent de l'interface. Les mécanismes, déclencheurs des migrations et leur nature, sont très divers. Ils trouvent leur source dans le contraste entre les entités en confrontation. Avec une édification en devenir. Objet de l'application de stratégies variées dans le temps et l'espace, l'interface est un système qui ne se fige pas. Le littoral en est l'un des exemples les plus probants. Les îles le sont aussi.
Ce livre retrace les grandes étapes d'une forte poussée de fièvre millénariste dans l'île de Tanna (République de Vanuatu), lieu de naissance à la fin des années 1930 du culte de John Frum, l'un des plus célèbres cultes du Cargo mélanésiens. À l'occasion d'une catastrophe naturelle en l'an 2000, les craintes eschatologiques liées au passage du troisième millénaire, ont contribué à déclencher une série d'événements dramatiques, survenant au cours même de l'enquête de terrain. Replaçant dans un tableau historique d'ensemble l'héritage culturel que représente ce mouvement politico-religieux pour ses adeptes, l'auteur souligne l'intérêt du culte de John Frum pour notre compréhension des processus culturels d'adaptation aux réalités complexes et changeantes de la modernité. L'analyse de ce revivalisme millénariste l'amène à contester les anciens schémas anthropologiques qui assimilaient les cultes du Cargo à d'éphémères réactions à la domination coloniale. La remarquable persistance et l'incessant renouvellement des croyances en John Frum démontrent au contraire la capacité de leurs inspirateurs à pérenniser culturellement une quête identitaire et spirituelle des plus originales.
En quoi les savoir-faire écologiques des Kasua de Nouvelle-Guinée seraient-ils plus à même de préserver la présence humaine et l'extraordinaire biodiversité tropicale, aussi complexe que fragile ?Pour résoudre cette énigme, Florence Brunois nous entraîne au cœur de ce monde forestier où cohabitent plus d'un millier d'êtres vivants et d'êtres spirituels avec lesquels les Kasua entrent quotidiennement en interaction au cours de leurs multiples activités forestières. C'est à partir d'une description systématique des relations que cette population expérimente avec l'ensemble des êtres forestiers, sur les plans de l'écologie, des techniques, de l'imaginaire, du mythe, du rituel, du rêve, et finalement des émotions, que l'auteur dresse une analyse critique de l'immense somme de connaissances naturalistes, éthologiques et écologiques mises en pratique par cette société forestière. Ce faisant, Florence Brunois, qui séjourne régulièrement chez les Kasua de Nouvelle-Guinée, propose une nouvelle manière d'appréhender la société humaine. Dans ce livre, elle révèle un savoir-être "avec" la pluralité des non-humains qui reconnaît que la régénération de la vie sociale est absolument interdépendante de la régénération de la vie sous toutes ses formes et des relations qui les unissent.Son ouvrage réintroduit l'ethnologie de la Nouvelle-Guinée au centre des débats qui animent l'anthropologie de la nature, ainsi que ceux qui agitent notre propre société quant aux manières de penser la place de l'homme dans l'environnement.
Ancêtres, lignages et communautés idéales, 16e-20e siècle
Les communautés humaines, les lignages ou les individus ont parfois la tentation de se donner des ascendances fabuleuses, fausses mais crédibles et efficaces, qui rehaussent leur dignité aux yeux de leurs contemporains. La construction de ces "généalogies imaginaires" a pu, selon les moments, les besoins et les individus, ou encore les valeurs dominantes du temps, s'inscrire dans deux ordres bien différents : celui du religieux qui amène à revendiquer une adhésion très ancienne à la religion dominante (ou la fidélité à sa forme les plus pure) ; celui de la culture laïque, qui affectionne les ascendances légendaires propres à légitimer les vertus que l'on revendique pour soi-même. De Benedict Anderson à Pierre Nora ou Colette Beaune, les études sur la naissance des identités nationales ont pris en compte cette dimension. Ici, en dehors des identités nationales, d'autres niveaux de l'appartenance identitaire sont explorés : en deçà, celui de l'appartenance locale ou ethnique ; au-delà, celui de la place que l'on se donne, à l'époque moderne, au sein d'une chrétienté qui se fragmente ou, un peu plus tard, de tel ou tel empire qui se disloque. L'analyse a été centrée sur les sociétés européennes qui se sont étendues de part et d'autres des mers et, à travers quelques exemples, elle a également pris en compte les redéfinitions identitaires de groupes colonisés. La vigueur des patriotismes locaux, les défis liés aux déplacements des migrants et à leur enracinement outre mer, les défis lancés aux peuples dominés, nous offrent en effet un beau terrain d'observation.
Ce livre nous présente les résultats d'une vaste enquête ethnographique menée en Amérique indienne et en Océanie. Il analyse nombre de dispositifs visuels, tout en étudiant les contextes d'énonciation rituelle qu'ils impliquent, et démontre qu'il existe une voie de la représentation chimérique par laquelle s'inventent des arts de la mémoire non occidentaux. Un nouveau champ de recherche s'ouvre grâce à l'étude de ces traditions iconographiques et orales qui concerne l'histoire des arts autant que l'ensemble des sciences sociales – une anthropologie de la mémoire.
Le volume comporte un dossier suivi de contributions diverses. Dans la partie dossier, les archéogéographes poursuivent leur travail de relecture de l'histoire des paysages. Deux réflexions font remonter à la protohistoire la planimétrie rurale, laquelle n'est pas née avec la cadastration romaine mais lui est antérieure. Trois autres contributions revisitent la structure des paysages médiévaux et modernes : transmissions et créations sont au cœur de ces entreprises. L'un des principaux apports de ce dossier tient au fait qu'il nous livre de nouveaux chapitres de l'histoire cadastrale relative à des périodes où celle-ci est méconnue. La question de la fiscalité y reçoit un éclairage nouveau. Les trois contributions hors dossier explorent les formes délimitées du jardin, de la plantation et de l'étang et interrogent les enjeux qui les sous-tendent. La contribution suivante montre la façon dont les sociétés touarègues apprécient la texture et la saveur des aliments. Enfin un dernier article analyse le fonctionnement d'un syndicat paysan basque.