La création délibérée d'une ville est un acte que l'on observe dès l'antiquité et dans toutes les régions et civilisations du monde : ainsi les villes grecques de colonisation, les " bastides " du moyen âge français, etc. Ce phénomène s'est largement amplifié au cours du XXème siècle, notamment en France, en Grande Bretagne, dans les pays de la zone soviétique et aujourd'hui en Chine. Quels sont les mots et les discours qui construisent et accompagnent ce phénomène?Cet ouvrage montre que, plutôt que des mots nouveaux pour des villes nouvelles, le vocabulaire s'inscrit dans le discours de l'urbanisme et dans les images d'une " ville idéale ".Les exemples de villes nouvelles grecques, britanniques, marocaines, françaises, allemandes (RDA), montrent que le vocabulaire et la nomination des lieux et des catégories d'espace font l'objet de luttes politiques aiguës qui redoublent les luttes pour les aménagements urbains.Le discours est en effet traversé, à divers moments et en divers lieux, par des lignes de forces sociales, politiques, culturelles et idéologiques. Le discours et ses mots ne sont pas seulement l'indice de transformations sociales et urbaines, ils jouent un rôle actif dans la fabrication même de la ville, de la " ville nouvelle ".
"Banlieue", "bidonville", "ghetto", "slum", "taudis"… Souvent un mot désignant un espace urbain qualifie en même temps les populations auxquelles on l'associe, en leur assignant une identité comme concentrée en un vocable. Directe ou biaisée, brutale ou euphémisée, la stigmatisation urbaine concerne des lieux marqués par la pauvreté, la dégradation, toutes sortes de menace sur lesquelles est porté un regard inquiet par les classes supérieures, les mouvements de réforme et les législations sanitaires… Du Brésil aux États-Unis d'Amérique, en passant par le monde arabe, la Turquie, la Grande-Bretagne et la France, le livre montre comment les mots de la ville interviennent dans la stigmatisation urbaine. Il traite des enjeux sociaux et politiques dont ils sont tantôt les instruments tantôt les enjeux et aux divers remaniements de sens, conversions ou inversions sémantiques opérés aussi bien par l'usage ordinaire que par les classifications savantes ou techniques.
Les mots de la ville constituent parfois des nœuds d'affrontements sociaux et politiques, entre langue administrative et langue populaire, entre langues régionales et identités nationales. Mais ils ont aussi leur vie propre et parcourent les siècles et les milieux en changeant de sens, migrant d'un registre de discours à l'autre, selon les acteurs et les groupes qui les portent et les utilisent. Émergences, affrontements, parcours : autant de perspectives qu'explorent et analysent les contributions de cet ouvrage, qui nous permettent de mieux appréhender les enjeux du discours en milieu urbain, de Tunis à Buenos Aires, de Zagreb à São Paulo parmi d'autres lieux.
Les villes ont depuis longtemps été divisées en parties distinctes. Et le nom que ces quartiers reçoivent dépend de celui qui les nomme : habitant, administrateur ou sociologue. Les mots sont des formes d'objectivation de la diversité spatiale et sociale des villes, et des moyens pour s'y mouvoir et en jouer. L'ouvrage postule que prendre les mots des divisions de la ville, c'est en mieux comprendre les divisions. C'est à ce pari que nous convie l'ensemble des études de cas empruntés à l'Occident et à l'Orient, à l'Afrique ou à l'Amérique, depuis les mises en ordre entreprises au siècle des Lumières, jusqu'aux explosions urbaines contemporaines.
Savants ou ordinaires, les mots qualifient, structurent l'espace urbain : ils classent les différents types d'agglomération, à l'intérieur de la ville ils en marquent les divisions, en désignent les éléments constitutifs, et le langage quotidien inscrit dans des territoires individuels et collectifs des identités qui sont à la fois sociales et spatiales. À partir de cette problématique, la nouvelle collection "Les mots de la ville" propose des ouvrages qui, en privilégiant la comparaison, appréhendent la ville à travers ses mots, à partir de sources écrites ou iconographiques et d'enquêtes orales. Ce premier volume, consacré ici aux nouveaux territoires urbains, montre comment la richesse des lexiques reflète la grande variété des modèles de croissance des villes qui n'exclut ni la monotonie des paysages ni la violence de la modernité.