On connaît cette thèse de Bachelard: " Il n'y a pas de vérités premières, il n'y a que des erreurs premières ". Cet intérêt très vif pour l'erreur remonte en fait au XIXe siècle, lorsque les théories génétiques de l'esprit d'une part, la méthodologie expérimentale et les approches probabilistes d'autre part, lui confèrent un statut dont elle était auparavant privée. L'erreur funeste qui nous fait trébucher et nous détourne du vrai est remplacée par l'erreur instructive, censée nous renseigner sur les lois fondamentales de l'esprit humain, la logique du jugement, la normativité du vivant.Le thème de l'erreur est mis au programme des lycées, comme une question qui recoupe logique et psychologie. Victor Brochard lui consacre sa thèse, qui fait apparaître les ambiguïtés de l'intellectualisme et du volontarisme. Si tant d'auteurs s'intéressent à cette question – parmi lesquels Cournot, Duhem, Lagneau, Meyerson…–, c'est parce qu'il est le révélateur de toutes les grandes problématiques épistémologiques et gnoséologiques de la séquence historique ici envisagée, de sorte que c'est tout un pan de la philosophie française que l'on peut revisiter sous cet angle.
Τὸ ὃν λέγεται πολλαχῶς. Ces mots d'Aristote interdisent de l'oublier : l'être s'expose dans le langage et s'est dit une première fois en grec. Mais s'il se dit pluriellement, l'être parle aussi plusieurs langues. L'histoire de l'ontologie est celle de leur essentiel dialogue. Métaphysique nomme donc aussi irréductiblement une tradition qu'une science, et la clarté qu'atteint l'être en la pensée brille toujours à la faveur périlleuse de l'opacité des caractères, des alphabets étranges et des traductions. Cette situation offre aux textes réunis ici leur problème initial. Si nos langues tissent un texte en lequel l'être se trame, chacune en entrelace toutefois le fil d'une étoffe différente. Une telle variété épouse-t-elle alors la richesse de l'être lui-même ou signale-t-elle au contraire sa dispersion dans l'élément fini du langage ? Cet ouvrage ne traite pourtant pas uniquement de cette dimension linguistique de l'être et de la métaphysique. Il s'enquiert encore, à l'inverse, de la teneur métaphysique du langage et des différents idiomes. Mettre en évidence la façon dont la métaphysique s'enracine problématiquement dans la langue et dont celle-ci profère toujours une ontologie constituent donc les deux voies principales que le questionnement poursuit ici. Elles se laissent rassembler en une question : la pensée et l'être n'ont-ils pas dans la langue leur élément le plus propre ?