À la fin du XIXe siècle, à plusieurs milliers de kilomètres de Paris, au Brésil, les idées d'Auguste Comte vont se diffuser au Brésil, un pays à l'économie encore traditionnelle mais avide de progrès. Dans les années 1900, les premiers manuels de sociologie sont publiés à Rio de Janeiro et São Paulo par des intellectuels polygraphes habitués aux sciences juridiques. Un demi-siècle plus tard, la première véritable génération de sociologues brésiliens formés sur place prend la direction de la recherche et de l'enseignement de cette discipline relativement nouvelle. Comment la sociologie s'est-elle développée et affirmée entre ces deux dates dans le géant de l'Amérique latine ? Cette question est importante car le Brésil est un grand pays de sociologie qui a formé ses premiers sociologues professionnels dans les années 1930, soit avant les Français, et qui n'a cessé d'attirer des chercheurs et des enseignants de premier plan venus d'Europe ou des États-Unis. Ce livre invite donc à un voyage dans le temps et l'espace à la recherche des pionniers de la sociologie au Brésil. Il montre que les juristes ont été les premiers à pratiquer et à enseigner la discipline à Recife, Rio et São Paulo. Il raconte le travail des missions universitaires venues d'Europe et des États-Unis pour faire fonctionner les premiers départements de sciences sociales. Il permet aussi de restituer l'ensemble des acteurs de cette histoire mouvementée: autodidactes, polygraphes, avocats, catholiques pratiquants, agrégés français, héritiers de l'ethnographie américaine. On y suit les démêlés de ces gens d'origines diverses, aux quatre coins du pays, dans des institutions soumises à des pressions politiques et où la concurrence pour les premiers postes est féroce. L'histoire intellectuelle que nous proposons n'est ainsi pas une histoire des idées: elle s'efforce de montrer l'activité collective de personnes précises occupées à donner des cours, chercher des contrats de recherche, écrire des manuels. Elle ne se limite pas à raconter une fois de plus l'arrivée de Levi-Strauss et de Bastide à São Paulo et le développement de la sociologie uspienne, arbre qui en est venu à cacher la forêt. D'une façon originale et vivante, il s'agit de proposer au lecteur une approche concrète de l'institutionnalisation d'une science qui ne se limite pas à exposer les idées des fondateurs.
Contrairement à une idée reçue, les Français sont présents dans la guerre de Sécession, épisode capital de l'histoire des États-Unis. Au moment de l'appel aux armes, plus de cent mille d'entre eux vivent à l'ombre de la bannière étoilée. Isolément ou par petits groupes, certains de leurs compatriotes, tels que les princes d'Orléans, n'hésitent pas à traverser l'océan Atlantique pour offrir leur épée à la cause de leur choix et tenter de renouveler l'exploit de La Fayette. Mêlés bon gré mal gré aux péripéties d'une lutte fratricide appelée à sceller les destinées d'une nation dont Alexis de Tocqueville venait de prédire l'essor, les Français n'en ont pas été de simples spectateurs ; à l'instar des autres groupes d'immigrants, ils en ont été à la fois les témoins, les acteurs et les victimes. Au milieu du fracas des armes, la proclamation de neutralité de Napoléon III n'a guère été prise en compte. Géographiquement dispersés, idéologiquement divisés et jusque-là réfractaires à l'alliage américain, les Français rompent peu à peu les amarres qui les liaient à la mère patrie pour céder à la marée montante de l'américanisation et s'attacher définitivement à leur pays d'adoption. L'expérience de la guerre civile constitue pour eux un terreau propice à l'assimilation. À mi-chemin entre l'indépendance des États-Unis et le premier conflit mondial, les événements dramatiques qui se sont succédé de 1861 à 1865 ont ouvert un chapitre insolite et totalement méconnu de l'histoire des relations franco-américaines.
Le régime militaire brésilien (1964-1985) a peu marqué les consciences européennes : d'abord parce qu'il fut plus précoce et moins meurtrier que ses voisins argentin et chilien, mais aussi parce qu'il n'a pas affiché au monde une unique figure de dictateur. Ici nul Pinochet aux éternelles lunettes fumées, nul Videla à la rigueur émaciée pour donner un visage à l'autoritarisme d'État : au Brésil ce sont cinq généraux-présidents qui se sont succédé au pouvoir pendant vingt-et-un ans. Ils sont, comme la majorité des plus jeunes officiers, convaincus d'être investis d'une mission : rétablir l'ordre et sauver la patrie de la subversion communiste. Or l'ordre, dans l'armée, c'est la discipline, le respect des règles disciplinaires, et bien sûr l'absence de prise de position et d'engagement politiques : autant de comportements qui, le putsch consommé, sont de nouveau exigés des échelons inférieurs des forces armées, quelque fanatiques qu'ils soient, quelque engagés qu'ils aient été dans la conspiration, et quelque désireux qu'ils demeurent de participer au pouvoir. Débute alors un débat, puis un conflit politique au cœur même de l'extrême-droite militaire : sur quelles épaules repose la " Révolution démocratique et rédemptrice ", appellation officielle du coup d'État et de la dictature qui lui fait suite ? À partir d'archives inédites et de la collecte de nombreux entretiens, ce livre raconte cette vie politique clandestine et paradoxale : celle qui a subsisté au sein d'une institution militaire et sous un pouvoir dictatorial, et en a largement orienté le devenir.
Cet ouvrage porte sur la migration d'environ 3 000 engagés irlandais qui se sont établis sur les bords de la Chesapeake, en Virginie et au Maryland, au cours du XVIIe siècle. Exportatrices de tabac, ces deux colonies ont eu massivement recours au système de l'engagement, issu de l'apprentissage (apprenticeship) et du travail du journalier (husbandry). Cette étude, placée dans un contexte comparatif et atlantique, dresse un portrait démographique et socioculturel de ces engagés et de leurs propriétaires. Ainsi, l'engagement (entre 70 000 et 105 000 individus) a joué un rôle essentiel dans le peuplement et le développement de la Chesapeake, de même qu'au sein de l'économie impériale et atlantique avant de céder la place à l'esclavage. Néanmoins, les colons virginiens et marylandais ont été confrontés à un paradoxe qu'ils se sont attelés à résoudre tout au long du XVIIe siècle: comment concilier le besoin de main-d'œuvre et le fait que les engagés irlandais étaient catholiques, donc considérés comme des traîtres? Comment les stéréotypes dont les Irlandais étaient victimes dans l'Ancien Monde ont-ils été transportés de l'autre côté de l'Atlantique? Quelles en furent les conséquences à la fois sur leurs conditions d'engagement et sur leurs perspectives d'avenir au sein des sociétés coloniales?
Les Amériques bénéficient d'une image unique parmi les Européens, comme en témoignent les diverses vagues migratoires entre l'Ancien Monde et le Nouveau, ou encore les discours comparant les Amériques à une terre promise, un Eldorado, qu'il s'agisse des États-Unis, du Brésil, du cône sud, des West Indies par exemple. Ce sont les multiples imaginaires et pratiques de l'Ouest que cet ouvrage se propose d'analyser à travers un panel pluridisciplinaire de perspectives, de représentations et de définitions qui peuvent s'inscrire dans un processus d'hybridation. Il y est ainsi évoqué la part de l'Ouest et des projets de colonisation vers les Amériques, nés dans le Vieux Monde, et la façon dont cette expansion a marqué les esprits, des poètes aux romanciers, ou encore la façon dont les musées, de part et d'autre de l'Atlantique, gardent la mémoire de ces rêves, voire de ces catastrophes. Les contributions à ce volume montrent bien que le Grand Ouest Américain (Far West ou Wild West), région gigantesque et sauvage, convoque également le mythe de tous les possibles, fondateur des États-Unis ; l'Ouest, en tant qu'espace géographique et entité historique et culturelle, et sa représentation psychologique, littéraire et discursive, jouent alors un rôle fondamental dans la construction de la nation et la formation de l'identité nationale. L'Ouest peut également devenir une terre d'exil, de bannissement, d'opposition à l'establishment ; il peut alors être considéré comme un territoire en marge de la société, le lieu où ont été refoulés les Amérindiens, où sont aujourd'hui enterrés les déchets nucléaires. Ce volume évoque aussi le rôle de l'Ouest dans la construction des autres nations ; il met en perspective l'Ouest du Mexique et du Brésil avec celui des États-Unis tout en interrogeant également un imaginaire négatif du concept de l'Ouest.
Qu'entend-on par péronisme dans un contexte de mobilisations intenses et d'enthousiasme révolutionnaire ? Si pendant la proscription du péronisme, différents groupes récupérèrent les bases symboliques de sa période "?classique?" (1946-1955), leur concurrence se traduisit rapidement par une montée de violence. Animé par la volonté d'explorer la complexité d'un imaginaire prégnant dans la culture politique argentine, cet ouvrage porte sur les interactions entre les acteurs sociaux, le pouvoir en place et le champ de la création visuelle au cours d'une période particulièrement agitée de l'histoire de l'Amérique latine. Il s'agit donc d'un questionnement sur les usages politiques de l'image et leur rapport aux sensibilités sociales au fil d'une décennie encadrée par deux coups d'État. En analysant les ressources mobilisées par le biais de la représentation visuelle afin d'imposer un projet politique, cette étude montre que les formes de légitimation mises en œuvre s'appuient sur une démarche d'esthétisation qui va souvent de pair avec le recyclage de certains symboles et mythes historiques susceptibles de produire un impact sur la mémoire collective. Lorsqu'une lutte acharnée se déclenche au sein de ce "?péronisme tardif?" profondément hétérogène, ses différentes composantes s'emparent de certaines "?armes symboliques?" pour mener leur bataille politique. À quarante ans du coup d'État qui inaugure le chapitre le plus sombre de l'histoire de l'Argentine, cette réflexion est, sans aucun doute, pertinente et nécessaire pour comprendre sa société actuelle.
Considérée comme une " erreur de l'histoire ", la frontière américano-canadienne n'a, pendant longtemps, eu qu'une existence administrative. Plus qu'une ligne de division, elle constituait avant tout un point de contact qui a vu, au fil des siècles, de nombreux liens se tisser entre les deux voisins nord-américains. Symbole de l'avènement de ce " monde sans frontière " qui devait consacrer la fin de la guerre froide, la frontière Canada/États-Unis constituait donc un modèle d'ouverture et de pacifisme hors du commun. Cependant, en mettant l'Amérique du Nord face à la menace terroriste, les attentats du 11 septembre 2001 ont engendré une redéfinition de la politique américaine et, avec elle, des frontières américaines qui ont fait l'objet d'une politique de sécurisation de grande ampleur. Afin de la sécuriser sans toutefois entraver les flux nombreux et diversifiés dont la frontière américano-canadienne est le site et qui font d'elle la base de la plus importante relation commerciale au monde, les États-Unis et le Canada décident de re-conceptualiser la notion de frontière. Ils créent donc la " frontière intelligente ", un projet commun et novateur qui se donne comme objectifs mutuellement non-exclusifs la sécurité et la facilitation des flux. Cet ouvrage remonte donc dans le temps pour donner à voir comment la frontière américano-canadienne s'est construite et est devenue, à l'aube du 11 septembre 2001, selon l'expression consacrée " la plus longue frontière non-défendue au monde ", avant d'analyser ce concept de frontière intelligente et le faisceau de forces qui ont sous-tendu sa mise en place afin de réfléchir, enfin, sur ce que cette frontière nous apprend sur la relation soi-disant spéciale que partagent les États-Unis et le Canada.
Fort de ses deux cents millions d'habitants, le Brésil suscite un intérêt croissant maintenant que, depuis une dizaine d'années, il s'est imposé comme une des puissances émergentes d'un monde globalisé. Si les faits à l'origine de ce nouveau statut international sont incontestables, le simple constat de l'émergence occulte pourtant les nombreuses dynamiques qui font l'originalité profonde du pays. Sa trajectoire au cours du vingtième siècle enseigne en effet qu'il a surtout été une terre de possibles, non seulement pour ses habitants, mais aussi en ce qui concerne les formes d'existence collective. Ce livre veut le montrer sous différents angles, en insistant sur ce qui a fait du Brésil une société ouverte et fluide comme sur ce qui y rend difficile la vie en commun. On verra de la sorte ce que le pays doit à sa formation historique, les bouleversements qui l'ont transformé avec son urbanisation massive et l'inflexion majeure qu'ont représentées les institutions démocratiques mises en place au sortir du régime militaire en 1985. Cette perspective replace un ensemble de faits et de processus très divers dans une synthèse originale qui propose une lecture sociologique du Brésil contemporain. Elle aborde successivement la question des inégalités et ce qui les a longtemps rendues acceptables, l'idéal du métissage et ses significations, différents types de sociabilité et les tensions qui les accompagnent, avant de s'intéresser au fonctionnement politique. Elle présente ensuite les principaux défis auxquels la démocratie fait aujourd'hui face au Brésil, en faisant la part entre les transformations qu'il a connues depuis la fin de l'autoritarisme et les questions qui restent en suspens.
Avec Théodore Roosevelt les États-Unis changèrent de siècle et accédèrent à la scène mondiale. Parce qu'il était au diapason de l'opinion et mieux préparé à l'action diplomatique qu'aucun de ses prédécesseurs immédiats, le 26e président sut imposer habilement sa vision personnelle des relations internationales et marier tradition et innovation en ce domaine. Partisan convaincu de la Realpolitik, il fut aussi l'incarnation exemplaire d'une idéologie missionnaire et " exceptionnaliste " aussi vieille que la nation américaine. Leader tout indiqué pour une république impérialiste, parce qu'historien et théoricien de l'expansion, il préconisa une politique dissuasive de paix armée, promut une forme de solidarité anglo-américaine anticipant la future " relation spéciale ", affirma la suprématie de Washington aux Amériques et abandonna prudemment l'isolationnisme dans le but de réaliser un équilibre des Puissances dont il fut un artisan respecté et célébré. Adepte de la diplomatie secrète, impatient des contraintes législatives, virtuose du fait accompli, il est le premier promoteur de la " présidence impériale " du vingtième siècle. Le champion de l'" idéalisme appliqué " et du " gros bâton " montra cependant moins de mesure et de clairvoyance dans ses rapports avec les races ou peuples " inférieurs ", en Asie ou dans les Caraïbes, apparaissant de ce fait comme une sorte de Jekyll et Hyde en politique étrangère. Dans une nouvelle édition refondue et mise à jour, pensée et praxis rooseveltiennes sont au cœur de cette étude par un spécialiste français reconnu aux États-Unis.
1997… L'expression " désobéissance civile " fait son apparition dans le vocabulaire de la révolte en France lors de la contestation du projet de loi concernant la surveillance de l'hébergement des étrangers. Jusqu'alors, on parlait plutôt d'insoumission. Depuis le début des années 1990, il y a eu sept éditions de l'essai d'Henry David Thoreau, De la désobéissance civile, cinq entre 1997 et 2011. De là, l'objet de cette étude : comment et pourquoi la " désobéissance civile ", notion inspirée de la pensée américaine, s'est-elle acclimatée en France alors que nous n'avons ni la même conception de l'État, du droit, ni le même rapport au politique ni la même religion dominante que les États-Unis ? Les Français pratiquent-ils la désobéissance civile dans les mêmes domaines, avec les mêmes modes d'action, les mêmes motivations que les Américains ? Cette étude comparative des mouvements politiques, sociaux, religieux, écologiques accompagnés d'actes de désobéissance civile dans les deux pays, contre l'armée, les O.G.M., le nucléaire, contre l'avortement, pour la défense des immigrants, des sans papiers, des sans logis et de l'environnement, met en lumière les caractéristiques des pratiques et des objectifs de la désobéissance civile en France et aux États-Unis. Elle révèle les lignes de force qui traversent les deux sociétés et la crise du politique qui leur est propre.
Cet ouvrage emmène le lecteur au cœur des relations méconnues entre les Noirs américains et Haïti, et envisage Haïti comme un prisme essentiel pour comprendre comment ceux-ci pensèrent leur identité au XIXe siècle. Pour ce faire, l'auteure analyse certaines expériences haïtiennes vécues par les Noirs américains tout au long de ce siècle, depuis la première tentative d'émigration volontaire de Noirs libres vers Haïti dans les années 1820 jusqu'à l'exposition universelle de Chicago en 1893, à l'occasion de laquelle Haïti choisit de nommer Frederick Douglass (un ex-esclave devenu abolitionniste puis homme politique américain) premier commissaire de son pavillon. Tout en montrant que l'intérêt que les Noirs américains portèrent à Haïti n'était pas incompatible avec leur lutte pour l'obtention de l'émancipation puis de l'égalité et de la citoyenneté à l'intérieur des États-Unis, l'auteure s'attache ainsi à démontrer que, pour les Noirs américains, le XIXe siècle fut, d'une certaine façon, celui d'une expérience diasporique dans l'espace caribéen.
La place des imprimés dans la construction de la vie politique est étudiée sous divers aspects: auteurs, stratégies éditoriales, censure, réseaux de diffusion, lecteurs, bibliothèques privées. Loin de se limiter au livre, les analyses rassemblées dans cet ouvrage s'étendent aux autres formes d'imprimés (journaux, revues, almanachs, affiches, billets de banque), ainsi qu'aux illustrations. Elles mettent en évidence toute la capacité de l'écrit et de l'image à mobiliser les consciences, à forger l'opinion publique, à cimenter le sentiment national. Les perspectives transnationales et les approches transdisciplinaires de cet ouvrage mettent au jour les transferts culturels entre les différentes aires géographiques et linguistiques – par le biais de la traduction, la circulation de modèles, le rôle des médiateurs culturels – et offrent ainsi des éléments de comparaison avec les recherches menées par les historiens du livre sur l'édition politique en France. Les éclairages apportés par cet ouvrage sur le rôle de l'imprimé dans la construction des identités nationales sont donc du plus grand intérêt pour l'histoire du livre et des cultures politiques.