Une pensée nouvelle n'est pas là pour réjouir, elle est là pour déranger. Cela, Adorno le savait, lui qui, à l'été 1966, écrivait: " L'auteur s'attend aux résistances auxquelles la Dialectique négatives'expose ". Par un paradoxe assumé, Adorno affirme que la philosophie fait preuve de sa plus grande actualité au moment même où elle est la plus intempestive, c'est-à-dire lorsqu'elle n'esquive pas le difficile combat promis à qui veut critiquer les positions établies.Issu d'un colloque tenu à Nanterre en mars 2017, l'ouvrage collectif Adorno contre son tempspropose de revisiter l'œuvre d'Adorno à la lumière de ce pas de côté qu'elle a toujours su faire pour échapper à la pensée dominante de son temps. Il s'agit par là de tracer une transversale à même de parcourir ses différents aspects, de la philosophie à l'esthétique, et de la sociologie à la politique.Un parcours qui revient aussi à interroger l'actualité de la pensée adornienne, car en tant que penseurcontreson temps, il se pourrait qu'Adorno soit aussi un penseur pournotre temps, et que les combats d'hier fassent encore sens aujourd'hui.
Si c'est " malgré tout " qu'il faut défendre la sociologie, c'est malgré ce qu'elle est devenue. Bien loin de ses grandes espérances initiales et des splendeurs que nous ont léguées les Durkheim, Weber, Simmel, Mead, Elias, Mauss, etc. Ce que l'on appelle sociologie s'est peu à peu recroquevillé jusqu'à apparaître comme la " science (ou la pseudo science) des restes ", la science de ce dont ne parlent ni les philosophes, ni les économistes, ni les historiens, ni les anthropologues, ni les théoriciens de la littérature, etc. Éclatée en de multiples chapelles théoriques ou idéologiques, privée de colonne vertébrale paradigmatique et institutionnelle, elle ne croit plus pouvoir trouver son unité que dans une référence de plus en plus incantatoire au " terrain " et à l'empirisme, et dans ses querelles infinies sur ce qui fait la bonne méthode ou le bon terrain.La sociologie classique, celle qu'il nous faut faire revivre et actualiser, se présentait tout autrement. Elle revendiquait hautement une approche empirique de la réalité et le souci d'établir des faits, elle aussi, mais elle n'imaginait pas que ce puisse être accompli hors-théorie et sans enjeux normatifs, c'est-à-dire éthiques et politiques... Dit autrement, elle se vivait comme le lieu et le moment généraliste de la science sociale générale. C'est cette sociologie là, autrement dit la science sociale générale, qui nous fait désormais défaut et qu'on appelle ici à renaître de ses cendres.