Souvent assimilée aux Lumières et aux progressistes du xixe siècle, la Franc-maçonnerie apparaît comme un mode de sociabilité éclairé. Pourtant, en analysant ses implantations outre-mer, cet ouvrage met au jour toutes les contradictions de la sociabilité maçonnique.Exclusivement Blanc, l'espace maçonnique se fait le miroir des élites coloniales. Porteurs des normes et interdits de la société coloniale, les frères se posent en piliers de l'Ordre colonial, rejetant non seulement l'homme de couleur hors du temple, mais également en érigeant toute mésalliance en ignominie à exclure. L'obédience parisienne, arbitre des querelles, s'accommode volontiers de la rhétorique ségrégationniste des frères des Iles jusqu'aux années 1830.
En 1730, une première loge maçonnique voit le jour au Bengale à Fort William, le comptoir fortifié à partir duquel opère la Compagnie anglaise des Indes orientales. Dès lors, les loges coloniales se multiplient si bien qu'en l'espace d'une décennie, la franc-maçonnerie britannique trouve un ancrage permanent sur le sous-continent indien. Sa rhétorique universaliste vise à promouvoir une véritable fraternité entre les hommes. Pourtant, les premières loges sont composées essentiellement de coloniaux et se font rapidement le relais de l'impérialisme britannique, qui postulait la supériorité naturelle du peuple colonisateur. Cette contradiction apparente entre rhétorique universaliste et participation à l'entreprise coloniale soulève un certain nombre de questions. Comment la franc-maçonnerie s'implante-t-elle et se diffuse-t-elle dans l'Inde britannique? Accepte-t-elle d'initier les autochtones? Quels liens entretient-elle avec l'impérialisme britannique? Enfin, comment parvint-elle à s'accommoder des tensions générées par la contradiction entre son idéal d'universalisme et d'égalité, et son adhésion à l'impérialisme britannique? L'Inde coloniale, de par son mode d'administration et la grande diversité de ses populations locales, constitue un terrain d'étude privilégié pour examiner les interactions entre la franc-maçonnerie et le pouvoir colonial. Cet ouvrage tente d'offrir de nouveaux éclairages sur le fonctionnement de la franc-maçonnerie tout en proposant une façon originale de penser l'impérialisme britannique, axée sur le rôle des institutions culturelles.
Un renouveau historique à la lumière des archives du Grand Orient de France
La franc-maçonnerie cubaine est une réalité peu connue du public francophone, bien qu'elle doive son origine à des membres du Grand Orient de France. Depuis l'apparition des premières loges en 1804 jusqu'à la rupture officielle des relations en 1905 entre l'obédience française et la Grande Loge de Cuba, un siècle de relations rythma l'évolution de l'Institution dans ce qui était l'une des dernières colonies espagnoles. S'appuyant sur des fonds inédits du Grand Orient de France, l'ouvrage nous invite à plonger au coeur de la diplomatie maçonnique atlantique et dans les réseaux internationaux qu'elle nourrissait et jette un éclairage nouveau sur la nature des liens qui existaient entre les membres d'obédiences cubaines, espagnoles, française et étasuniennes. Enrichie de la transcription et de la traduction d'une sélection de documents, l'étude met en évidence la prégnance de l'intervention du Grand Orient de France dans l'histoire de Fraternité à Cuba et dans l'articulation de nouvelles aspirations maçonniques, sociales et politiques, alors que progressait dans l'île une remise en question du système colonial en place et des institutions qu'il pérennisait. Dans un contexte de désintégration de l'Empire espagnol et d'émergence des nouvelles puissances coloniales européennes, les relations entre les francs-maçons des deux rives du monde atlantique dévoilent les enjeux d'une reconfiguration sociale et politique de la colonie et de la redéfinition des espaces politiques et maçonniques internationaux.
Depuis le début du XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie a le plus souvent été associée au monde masculin. Il en est de même aujourd'hui, en dépit d'évolutions significatives. Or on trouve trace d'une présence féminine dès le XVIIIe siècle, dans les loges dites " d'adoption ". Qui étaient ces premières franc-maçonnes ? Que faisaient-elles, que disaient-elles quand elles se retrouvaient dans ces espaces de sociabilité privilégiés, à l'abri des regards indiscrets ? Quelle place accordaient-elles à leurs rituels et aux actions caritatives ? Dans quelle mesure ces loges furent-elles des créations masculines ou bien au contraire de véritables lieux d'émancipation féminine, c'est bien la question de fond, et celle que posent ici avec une grande clarté Margaret Jacob et Janet Burke. On croyait que la première loge d'adoption était celle de La Haye, or il se pourrait fort qu'elle ait été bordelaise. Bien que les loges d'adoption à Paris comme en province aient surtout attiré des aristocrates telles que la princesse de Lamballe, elles ont permis à plusieurs femmes d'accéder à la culture des Lumières par des rites de passage qui leur étaient propres.