Une pensée vraiment questionnante est susceptible de projeter de la lumière sur des questions qui n'ont été explicitement élaborées que bien après sa construction, tout comme, inversement, la compréhension de l'agencement et des concepts d'un univers de réflexion minutieusement articulé exige de constants approfondissements. En présentant au lecteur quelques aspects représentatifs des travaux menés actuellement par les jeunes chercheurs qui se spécialisent dans l'étude de la pensée nietzschéenne, ce sont ces deux ambitions complémentaires, constitutives de la recherche philosophique, que se propose de souligner le présent volume.
Quelles voies l'appréhension du réel poursuit-elle avant d'aboutir à sa réalisation sous forme de signes, de mots et de langage? Et qu'en est-il de l'ingénierie herméneutique et sémiotique mobilisée dans l'élaboration de cette ressource structurante du pensable et du possible? Surtout, pourquoi faut-il tenir bien compte de la pluralité des voies empruntées dans cette entreprise? Telles sont quelques-unes des questions soulevées dans ce volume qui réunit des contributions de chercheurs dont les spécialisations vont des études indigènes aux études des systèmes de signes, en passant, entre autres, par la philosophie du langage, la sinologie, le chamanisme amazonien et l'indologie. Parmi les nombreux résultats marquants des travaux menés par ces spécialistes, nous retiendrons que, en marge des vues afférentes aux possibilités " apophantiques " du langage qui dominent actuellement en Occident, il existe d'autres pistes parfaitement viables. Certains lecteurs se demanderont même si nos sciences du langage occidentales ne gagneraient pas à être davantage à l'écoute et réceptives de ce que nous apprennent ces autres propositions.
avec deux traductions inédites de textes de Tetens et Schopenhauer
Après le moment grec, socratique et platonicien, puis le triomphe du rationalisme métaphysique de l'âge classique, les XIXe et XXe siècles allemands pourraient bien être le troisième âge d'or qu'ait connu la pensée philosophique. Comme les deux précédents, il se caractérise par la radicalité de ses innovations. Il s'en distingue par le rythme soutenu des ruptures qui, en quelques décennies, lui font explorer un spectre extraordinairement diversifié de logiques d'analyse: un âge d'or qui est aussi un âge de bronze, en quelque sorte. C'est sur quelques-unes de ces fécondes relations d'attachement et de rupture que se penche le présent volume.
Nietzsche's thought is made difficult by the new position he carves out for philosophy by ridding it of the prejudices that have always and unwittingly undermined it. Interestingly, his texts' typical difficulties, traps, pitfalls, and challenges have been noticed and gradually investigated. But commentators rarely note that Nietzsche does not merely abandon his readers to obscurity and mystery. On the contrary, he drops clues — especially during his last active years — in order to show to the rigorous reader the path of adequate reading, i.e. of philologically rigorous reading. One of his most original traits is that his texts integrate a theory on reading and offer — albeit in a disseminated and challenging way — indications as to how he wishes to be read.La pensée nietzschéenne est difficile du fait de la position sans équivalent que lui confère son souci de reconstruire la réflexion philosophique en la débarrassant des préjugés qui l'ont toujours minée à son insu. Or, si la difficulté des textes, les pièges et les défis qui sont une des marques de sa manière de procéder ont été notés, et progressivement approfondis, par les commentateurs, on a beaucoup moins remarqué que Nietzsche ne se contente pas d'abandonner son lecteur à l'obscurité et au mystère. Bien au contraire, en particulier dans les dernières années de son activité, il égrène des indices destinés à mettre le lecteur rigoureux sur la voie de la lecture adéquate, c'est-à-dire philologiquement rigoureuse. Car c'est bien là l'une de ses originalités foncières: ses textes intègrent une théorie de la lecture, et offrent, de manière il est vrai disséminée et difficile à saisir, des indications sur la manière dont il veut être lu.
Si biographiquement, l'année 1888 est une fin, philosophiquement en revanche, elle est un commencement. Et c'est bien ainsi que Nietzsche la concevait. Une nouvelle phase de son activité s'ouvre en effet avec la réalisation des textes conçus durant cette période: le passage à la mise en œuvre du renversement des valeurs. C'est fondamentalement celui-ci qui est annoncé et justifié, dans ces ouvrages composés à chaque fois de manière fulgurante, principalement à l'automne, au cours de cette année dont Nietzsche ignorait qu'elle serait la dernière de sa vie intellectuelle. C'est donc sous l'angle strictement philosophique qu'il convient d'interroger ce nouveau commencement: quelles sont les composantes essentielles que Nietzsche met en avant dans les écrits qu'il rédige en 1888? En quoi ces textes diffèrent-ils (s'ils en diffèrent) des ouvrages publiés antérieurement? En quoi l'un de ces ouvrages est-il censé inaugurer concrètement le renversement de toutes les valeurs? C'est sur ces questions qu'a choisi de se pencher le Groupe International de Recherches sur Nietzsche pour son onzième congrès, réuni à Nice cent trente ans exactement après la dernière année de la production intellectuelle du philosophe.
Le statut du discours philosophique est un fil conducteur fondamental de la philosophie allemande. Du discours transcendantal à l'exigence de système, la dialectique hégélienne, la poétique philosophique du fragment, l'émergence du discours universitaire moderne, jusqu'à cet " art nouveau du discours " revendiqué par Nietzsche, nous assistons à une période de réformes du discours philosophique d'une intensité et d'une profondeur stupéfiantes. Que signifie réfléchir sur le discours de la philosophie? Quelles sont les modalités possibles pour ce discours? Quels sont les rapports entre les théories du langage développées dans cette période historique et les formes du discours philosophique? Surtout, quelles sont les raisons d'une telle réinvention permanente de ce discours? Le présent volume collectif s'attache à étudier ces problèmes fondamentaux, et ainsi à constituer une véritable histoire du discours philosophique.
Le succès extraordinaire de la théorisation de l'interprétation, qui se traduit par la promotion d'une préoccupation, au départ relativement circonscrite, au rang de province à part entière du champ philosophique, puis peut-être même de pierre fondatrice de l'ensemble, ne signifie-t-il pas du même coup, au moment où elle en vient à prendre conscience d'elle-même, sa division et son éclatement? À tout le moins ne cesse-t-elle de relégitimer cette curiosité initiale: quelle est au juste la visée de l'interprétation? Bref, quels sont exactement les enjeux de l'herméneutique?En Allemagne: car c'est sans doute l'un des traits les plus caractéristiques de la philosophie allemande que d'avoir accordé une importance exceptionnelle à l'idée d'interprétation, et de s'être attachée opiniâtrement à la théoriser sous la forme de la construction d'herméneutiques. Mais au-delà aussi: car si l'ambition de parvenir à élaborer des théorisations, spécialisées ou globales, de l'herméneutique est une caractéristique majeure de la pensée philosophique allemande, la pratique de l'interprétation en revanche, qui ne se soucie pas nécessairement d'articuler une théorisation à visée scientifique sur la notion, voire même s'en défie, couvre un champ bien plus étendu.
Le XIXe siècle signe la découverte intellectuelle du bouddhisme par les Occidentaux, ouvrant alors de nouvelles perspectives. Cette nouvelle religion ne ressemble pas aux religions occidentales, elle désoriente et intrigue, mais remet aussi en question nos propres conceptions métaphysiques et religieuses. Ainsi, le bouddhisme est devenu un objet intellectuel dont les philosophes se sont emparés, et qui a tout à la fois influencé leur pensée, et atteint sous leur plume le statut de mythe. Ce ou ces mythes sont aussi des déformations du bouddhisme, et révèlent à quel point le christianisme a eu un impact sur la perception de celui-ci, qui restera pendant longtemps relié au néant, au pessimisme et au nihilisme, associations qui occultent sa véritable teneur.
" Ma nouvelle philosophie ": c'est en ces termes que Nietzsche évoque en 1878 les réflexions développées dans Humain, trop humain. Manifestation du " grand affranchissement " que Nietzsche dit avoir su accomplir à cette époque, mais aussi " mémorial d'un dressage rigoureux du moi " selon Ecce Homo, cet ouvrage se caractérise en effet par l'apparition d'une méthode et de modes d'investigation nouveaux (une " méthode historique ", une enquête de nature " psychologique ") qui permettent à son auteur d'approfondir le questionnement déjà amorcé par ses ouvrages antérieurs. Témoignant à la fois de la continuité de la réflexion nietzschéenne, et de la réforme de sa mise en œuvre effective à partir de 1878, Humain, trop humain apparaît comme un moment déterminant du développement de la philosophie de Nietzsche, dont le présent volume collectif s'attache à étudier la spécificité.
Ce huitième volume de la collection " Langage et Pensée " est consacré à la pensée française du XIXe siècle au début de ce XXIe siècle. Il ne se donne pas pour objectif d'en proposer un panorama, mais d'en interroger les spécificités selon deux axes: quels rouages de pensée originaux la philosophie française contemporaine met-elle en œuvre? Et simultanément, selon quels types de problématiques s'est-elle intéressée à l'univers de la langue, de la parole, et du langage? En d'autres termes, comment la confrontation au langage se combine-t-elle à l'élaboration d'innovations conceptuelles ou problématiques, comment l'inspire-t-elle et l'alimente-t-elle — fût-ce parfois, peut-être, en gênant son développement? La langue réfléchie par les philosophes, certes; mais aussi la langue pratiquée par les philosophes, qui ne s'identifie pas nécessairement à la précédente, ou, ce qui est tout différent encore, le statut du langage comme objet d'enquête pour le philosophe, ou bien encore le langage comme révélateur — parfois comme solution — de problèmes auxquels il semblait au départ totalement étranger: les textes rassemblés dans le présent ouvrage ont d'abord pour ambition de montrer l'étonnante variété des perspectives suivies par les philosophes à l'âge contemporain, la diversité des modes d'exploitation de la prise en compte de la langue, de la parole ou de l'écriture, et par là la fécondité de cette référence.
Les Grecs sont-ils imaginables sans ce que Nietzsche a écrit sur eux ? C'est de fait un monde jusqu'alors inconnu que cet helléniste doublé d'un philosophe met au jour dans ses textes du début des années 1870. Dévoilant le conformisme creux auquel se réduit le traditionnel éloge de la Grèce, ce philosophe doublé d'un helléniste révolutionne du même coup ces deux disciplines, la philologie, mais tout autant la philosophie. Car s'il n'est pas exagéré d'affirmer que, pour nous, les Grecs sont aussi Nietzsche, c'est encore parce qu'inversement, l'analyse de l'hellénité révèle la nature de l'entreprise philosophique dans son authenticité. En quoi consiste alors le " grandiose problème grec "? Et qui sont au juste ces Grecs qui " tiennent dans leurs mains notre culture et toute culture " si, contrairement au préjugé courant, les philosophes représentent le déclin, et non l'apogée, de la culture hellénique? En d'autres termes, " qu'est-ce que le dionysiaque? "
Que désigne exactement " Wagner " sous la plume de Nietzsche ? Un problème authentiquement philosophique, et non un simple ensemble de considérations biographiques, si l'on en croit l'affirmation que " le philosophe n'est pas libre d'ignorer Wagner ". Et un problème à l'enjeu suffisamment crucial pour accompagner le parcours de Nietzsche depuis son premier ouvrage jusqu'à ses textes de 1888. Mais quelle est la nature de l'interrogation à laquelle renvoie ce vocable, qui donne lieu à un corpus à part entière au sein de son œuvre?