L'impuissance de la littérature est de nos jours une question centrale dans la création littéraire et dans la critique. Ce livre collectif examine cette question selon deux axes : en amont de l'œuvre, l'impossibilité d'écrire ; en aval de l'œuvre : l'interrogation sur l'action ou l'inaction de la littérature face au monde réel et à l'Histoire.Cette interrogation n'est pas pessimiste : l'impuissance peut être féconde. L'un des paradoxes de la littérature, c'est que, de cette impuissance, l'écrivain va tirer des œuvres particulièrement intenses, bouleversantes par la singularité d'un style, d'une voix, et toujours riches d'effets sur le lecteur.C'est sur fond d'impuissance que la littérature continue de s'élever. L'impuissance est créatrice, et c'est bien avec un double sens qu'il faut entendre l'expression " impuissance créatrice " : impuissance à créer, et impuissance qui crée, qui incite à créer.La littérature persiste obstinément à être parole de résistance. Fragile, mais résistante. Ce n'est pas une parole de pouvoir, mais de contre-pouvoir : " hors-pouvoir ", comme le disait Barthes dans sa Leçon. À long terme, la parole littéraire se révèle gagnante, elle contribue à mieux humaniser l'homme. Sa réception, de générations en générations, invente de nouvelles formes de sensibilité, de subjectivation, de vie. Impuissante souvent dans son présent – puissante dans le temps.
Pour commémorer l'obtention par Camus du prix Nobel de littérature en 1957, de nombreux chercheurs de tous horizons se sont réunis à Tunis cinquante ans après, à l'initiative de l'Unité de recherche Poétique théorique et pratique, avec le concours de l'École Normale Supérieure de Tunis, de l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis et de l'Institut Supérieur des Études appliquées en Humanités de Zaghouan. Les échanges visaient à explorer la question des limites et des frontières dans la pensée, l'esthétique et l'écriture d'Albert Camus.L'oeuvre camusienne pratique en effet constamment le chevauchement des genres en se jouant de leurs marges et de leurs codes. Elle se fonde sur des points de tension entre plusieurs pôles opposés, plusieurs claviers énonciatifs et donne à lire des textes hybrides qui sont refus du sens unifié et réducteur.Cet ouvrage rassemble les études échangées qui, privilégiant les champs de la poétique et de la stylistique sans que cela exclue les éclairages philosophiques, portent sur les brouillages de frontières génériques et esthétiques, l'" expérience " des limites, l'hybridation d'une telle oeuvre. Il incite à repenser le texte camusien dans le sens d'une poétique générale qui pose la question du style et du lien entre esthétique et vision du monde.La collection " Entrelacs " a l'ambition de resserrer les fils du dialogue ininterrompu entre chercheurs en lettres et sciences humaines de France et du Maghreb, et d'assurer la meilleure diffusion aux résultats les plus remarquables de ce dialogue. Sud Éditions et les Presses universitaires de Bordeaux, avec l'appui du service de coopération et d'action culturelle de l'Ambassade de France en Tunisie, souhaitent ainsi illustrer la vitalité du " français en partage " sur les deux rives de la Méditerranée.
Les didascalies, "textes à ne pas dire", sont des éléments constitutifs de l'écriture théâtrale : formulant, au moins, certaines des conditions d'exercice du dialogue dramatique, elles sont susceptibles de se transformer, à la représentation, en messages paralinguistiques (visuels, sonores ou kinésiques). Cette couche textuelle paradoxale et fondamentale bénéficie depuis quelques années d'un intérêt renouvelé de la critique. Les concepts de "voix", de "double énonciation", de "performativité", de "discours injonctif", de "fonction métalinguistique" et de "signe paralinguistique" viennent éclairer une réalité a priori déroutante.Les études réunies dans ce volume se proposent d'interroger les tensions créées par les didascalies entre texte et représentation, dialogue et hors-texte, énonciation et co-énonciation, et d'en repérer les indices, le statut et le fonctionnement. On y observe, depuis l'Antiquité jusque dans les créations les plus contemporaines, de multiples phénomènes de transgression, de déplacement, voire de contamination du texte didascalique par des genres voisins – phénomènes qui permettent alors de traiter cette frange textuelle en termes de "romanisation" ou de "poétisation" du texte théâtral. C'est cette hybridation progressive qui retient particulièrement, aujourd'hui, l'intérêt de la critique et des lecteurs.
L'auteure réussit à nous convaincre que le pictural est, pour le regard difficile de Beckett, ce qui fonde poïétiquement son activité fiévreuse. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la peinture n'est pas un art "rétinien" (pour parler comme Duchamp) — pas plus que le théâtre. Beckett supportait mal qu'on puisse "regarder" ses pièces… Le pictural, dans la peinture et ailleurs, somme les yeux d'aller plus loin que les apparences. Il perce la membrane eidétique du sensible, pour démarquer la morphè, structure secrète du réel. C'est en ceci que la "chose" devient cosa mentale. Murphy est-il une chose ? Il est la morphè de l'humain, selon Beckett. La structure intime et indiciblement complexe de la réalité (choseté ?) humaine, — si malléable, en fait, dans sa complexité, qu'elle est ouverte, comme toute œuvre, à sa propre création.
"Attiré par des amis à Sidi-bou-Saïd, j'y avais trouvé une chose inespérée : un de ces moments d'équilibre, d'accord mystérieux entre le faire humain, les mouvements de la terre, du ciel et de la mer. Un silence où viennent s'inscrire, des plissements à peine perceptibles aux rugissements les plus barbares, les accords et les dissonances de l'immense clavier des eaux, des arbres et des vents. […] Des gens simples que l'on retrouve chez l'épicier ou dans la rue, qui vous confient leurs joies, leurs soucis, vous écoutent. Des bourgeois de vieille souche, prenant le frais au soir dans les rues qui longent la mer, vêtus de leurs djebbas blanches impeccables ; quelques artistes attachés à l'esprit de ce lieu. Des orangers amers, des jasmins, des agaves, et des bougainvillées. Une vieille maison au bout du village, adossée à la colline, une seule pièce lézardée, penchée comme un balcon sur le large."