Dans cet ouvrage, le livre est envisagé comme étant au départ sinon à l'origine des nombreuses variations non seulement du temps vécu, mais aussi de la structure même du temps.Qu'en est-il alors du temps dans son rapport au livre? Le temps ou plutôt les temps du livre dépendent de l'a priori formel de celui-ci. Si le livre se présente comme une forme spatiale irréductible, un bloc, une forme compacte, enserrant un temps presque apprivoisé, il est aussi un espace poreux. Il est cet espace d'où s'évaporent et s'épanouissent les temps multiples liés à l'histoire, à la mémoire… L'espace du livre se transforme en temps du livre.Le livre serait cette possibilité d'extériorisation du temps propre à la lecture et au lecteur telle qu'elle s'effectue par leur médiation. Il n'est rien d'autre qu'une humanisation du temps. Lire un livre, c'est prendre du temps au temps, devenir humain grâce au temps, c'est produire un temps humain.
Les différents articles présentés dans cet ouvrage mettent en lumière la dimension corporelle du livre. Toutefois, les analyses développées dans Le Livre au corps ne se contentent pas de l'analogie qui associe le corps à l'objet-livre à travers les mots d'un vocabulaire commun à l'instar de ceux de tête, pied, dos, nerfs… Loin d'un anthropomorphisme manifeste, aisément repérable et vite accessible, le projet de ce livre est surtout de mettre au jour la profondeur de liens sensibles et l'articulation de rapports visibles et invisibles entre le livre et le corps dans l'histoire – au Moyen Âge, à la Renaissance – mais aussi dans leur propre production et reproduction artistique autonome.Qu'il soit un objet investi d'esprit ou immédiatement un corps selon Edmund Husserl ou une modalité de notre être selon Emmanuel Lévinas, le livre n'est rien sans son lecteur dont il révèle la corporéité sensible, le livre étant lui-même une forme d'incarnation de l'œuvre et une mise en œuvre du corps dans l'acte de lecture.Avec Henri Michaux, Saint-John Perse ou encore Wols, Le Livre au corps montre que le corps comme le livre sont saisis par une poétique de leur génération ou de leur engendrement réciproque.
Ce livre est né de la volonté de décliner une piste que nous n'avions pu aborder dans notre précédent ouvrage, Le Livre et ses espaces, qui envisageait le livre dans sa mise en scène spatiale, réelle et métaphorique, que ce soit à travers l'espace du livre - ses dimensions -, l'espace dans le livre - la typologie de la page -, ou l'espace hors du livre - la bibliothèque par exemple. Dans L'Esthétique du livre par contre, c'est le livre comme lieu d'expériences sensibles que nous souhaitons traiter. Mais que l'on ne s'y méprenne pas ; c'est plus la question de la perception du livre comme objet, industriel ou non, que ses liens éventuels avec la création artistique qui nous intéresse. Et plutôt que d'en rester à la simple analyse du beau livre avec les deux sous-entendus qui l'accompagnent : le beau livre serait le livre d'artiste ou le livre d'art, et l'esthétique du livre l'affaire exclusive des bibliophiles, nous avons préféré partir des perceptions suscitées par l'objet livre pour creuser ses dimensions esthétiques et les impressions qu'il engendre.
La connaissance du livre se rattache ici a la mise en jeu dialectique de termes apparemment éloignés: "livre" et "espace". Le livre ne se réduit donc pas à son support matériel. Notre intention n'est pas non plus de délimiter tous les espaces possibles du livre qu'ils soient physique, esthétique, littéraire, métaphorique ou anthropologique. Il s'agit plutôt de proposer au lecteur un voyage à travers l'espace dans le livre-la page, le texte..., l'espace pour le livre – la bibliothèque, la collection..., l'espace hors du livre – l'œuvre d'art, l'hypertexte... Le livre utopique de Lévinas, Blanchot ou Deleuze, la poésie plastique de Mallarmé, Apollinaire ou Claudel, le récit littéraire de Kundera, Le Clézio, ou Perec, l'espace pictural de Matisse, Kandinsky ou Gris, seront autant de jalons pour mieux mesurer l'étendue de ces espaces infinis que le livre invente.