Le monde scientifique est composé d'une myriade de spécialités, réunissant chercheurs et techniciens autour de problèmes, de méthodes ou d'objets particuliers. Mais comment ces spécialités se définissent-elles? Comment penser l'appartenance des scientifiques à des communautés spécialisées? Comment analyser l'articulation de leur organisation sociale avec les projets épistémiques qu'elles portent? Et comment évoluent ces spécialités? Qu'est-ce qui les relie et les distingue? La réponse à ces questions est déterminante pour notre compréhension du monde scientifique, de ses dynamiques et de son inscription dans nos sociétés.L'ambition de ce livre est de donner les clés d'une sociologie des sciences contemporaines menée au plus près de ces communautés de chercheurs et de techniciens. Un bref panorama des science studies permet de discuter à nouveaux frais des apports de grands auteurs et grandes autrices de ce champ, mais aussi de dessiner les axes et les contours d'une approche originale en la matière. Cette approche, intégrative et processuelle, associe des descriptions de la science " en action " à des analyses menées à grande échelle, afin d'éclairer l'évolution des conditions de production des connaissances scientifiques et de rendre compte de la façon dont ce travail est pris en charge par divers collectifs.
" Que se passe-t-il dans une fête? "C'est à cette question qu'Albert Piette s'est attelé à répondre dans cet ouvrage publié une première fois en 1988, et réédité aujourd'hui, qui pose les bases des théories que l'anthropologue a développées par la suite, tant sur le phénomène rituel, le fait religieux, l'observation des détails, le mode mineur de la réalité que sur l'être humain en général.À partir d'un ensemble comparé de six fêtes en Wallonie – carnavals, ducasses ou fêtes politiques –, l'idée est de construire une anthropologie de la fête. Que l'on regarde les peintures de Bruegel ou de Rubens: le tournoiement des couples dansant, le bariolage des couleurs et l'enchevêtrement des formes selon un rythme musical produisent cet effet d'ondoiement caractéristique de la festivité. Comment donc décrire et analyser la réalité mouvementée et ambivalente de la fête? Albert Piette propose ici une théorie centrée sur les notions de jeu et d'intervalle. L'espace-temps de la fête permet des comportements qui, sans être semblables à ceux du quotidien, ne constituent pas pour autant une rupture avec ceux-ci. La fête rend ainsi compatibles l'hypersérieux et le dérisoire le plus total.
C'est en 1934, devant un parterre de psychologues, que Marcel Mauss énonce sa célèbre conférence " Les techniques du corps ". L'enjeu est de taille car il s'agit de démontrer 1- que les gestes techniques sont une coordination de différents mouvements du corps organisés en vue d'obtenir un résultat et une certaine efficacité, 2- que les actes techniques sont valorisés par le groupe dans son ensemble, car c'est lui qui les reconnaît comme efficaces physiquement, socialement et matériellement, et 3- que le social s'insère au plus profond de l'individu non pas uniquement pour le déterminer négativement, mais aussi pour l'adapter aux différents changements de la vie sociale. En proposant cette nouvelle hypothèse, Mauss fait du corps un objet central pour la réflexion anthropologique. Dans ce livre, Jean-François Bert, spécialiste de Mauss et de l'histoire de l'anthropologie française, propose une nouvelle édition commentée de la conférence de Mauss; il retrace aussi l'histoire de sa réception et de sa diffusion en proposant un recueil des différents textes écrits à partir des années 1950 qui utilisent, discutent ou précisent les hypothèses originales de l'anthropologue.
La crise financière en 2008, puis la pandémie de 2020 ont mis au jour la fragilité des acquis de la discipline économique. C'est l'organisation même de la profession qui est en question, car elle a induit faiblesse méthodologique et absence de réflexivité épistémologique. La recherche en économie est ainsi passée d'une quête des fondements théoriques à une myriade d'analyses empiriques, mobilisant les avancées des techniques statistiques et de vastes bases de données. L'institutionnalisation de plus en plus poussée de la profession est porteuse d'incitations qui livrent de remarquables professionnels, spécialistes de la modélisation et de l'analyse statistique, mais peu de chercheurs capables de conceptualiser à nouveau les bases de la discipline. À la lumière d'Émile Durkheim, cette floraison témoigne d'une anomie dans la division du travail chez les économistes. Aussi, d'éminents titulaires du prix d'économie en l'honneur de Nobel ont-ils plaidé pour un retour réflexif sur les conséquences de la hiérarchie des revues, des procédures de recrutement et de la délégation à la bibliométrie du pilotage des orientations stratégiques de la profession. Où sont les agora qui permettraient une confrontation large, rigoureuse et permanente entre programmes de recherche et théories? Leur création pourrait être le terreau d'une bifurcation de la discipline économique, en particulier de sa réinsertion tant dans les sciences de la nature que dans celles de la société.
Sur les routes de l'exil dans l'Europe du XIXe siècle
En revisitant l'histoire d'Européens contraints au mouvement, ce livre enquête sur le phénomène de l'exil dans un continent marqué dès le XIXe siècle par d'intenses circulations de proscrits. Sans vouloir comparer terme à terme le passé et le présent, cet ouvrage éclaire d'autres crises de l'asile liées aux exilés et réfugiés que l'Europe a connues après la fin des guerres napoléoniennes et jusqu'à la fin du XIXe siècle. Qui furent ces hommes, mais aussi, dans leur sillage, ces femmes et ces enfants contraints de quitter leur patrie? Comment l'exil, de phénomène élitiste qu'il était, est devenu une expérience socialement moins sélective au fil du siècle? Quelles ont été les réactions alors apportées par les États et la société civile à l'accueil des réfugiés? Telles sont les questions auxquelles ce livre veut répondre, en éclairant la façon dont les exilés du siècle des révolutions ont inventé et pratiqué des formes d'engagement alternatif qui permettent aussi d'éclairer notre présent.
Ce livre retrace le parcours d'un Juste: Jules Molina, dit " Julot ", militant d'Algérie, habité très tôt par ses convictions, marginalisé par l'Histoire.Né en 1923 à Mohammadia dans une famille d'immigrés espagnols, il ne quittera l'Algérie qu'en 1989, à contrecoeur. Vingt ans plus tard, à la veille de sa mort, il rédige ses mémoires et les transmet à sa famille. Les voici, livrées dans un style sobre mais étonnamment vivant, accompagnées de réflexions historiques et d'entretiens que Guillaume Blanc a mené auprès des proches de Molina.Cet ouvrage raconte d'abord une histoire algérienne. Celle d'un homme entier, qui fut un soldat du contingent colonial, un indépendantiste torturé par l'armée française puis, comme une évidence, un citoyen algérien, impliqué corps et âme dans la construction du pays. Le parcours de Jules Molina fait voler en éclat les visions simplificatrices de l'Histoire, donnant à voir une expérience coloniale parfois faite d'hommes moraux dans un contexte immoral, puis une Algérie socialiste portée, aussi, par des communistes et des Algériens d'origine européenne. Ces mémoires racontent une Algérie disparue mais également une lutte sociale. La vie de Molina signale combien, pour lui, ses camarades et sa famille, le communisme a toujours relevé de l'humanisme: un combat permanent, toujours du côté des victimes, pour un monde à visage humain, comme nous le rappelle Henri Alleg en 2009, lors de l'enterrement de son ami le plus proche.
Histoire du regard occidental sur les Khoisan (XVe-XIXe siècle)
Dès leur rencontre avec les Européens, les habitants du Cap de Bonne-Espérance, à l'extrémité de l'Afrique, entrent en littérature. Visités par tous les navigateurs en route pour l'Orient, côtoyés par les résidents de la colonie, les Khoisan suscitent un intérêt démultiplié dont on rencontre l'écho dans les récits de voyage, les lettres de la Renaissance portugaise, les débats philosophiques sur l'origine des langues et des peuples, l'anthropologie des Lumières, ou encore la raciologie. Ainsi s'élabore, entre la fin du XVe et la fin du XIXe siècle, la figure du Hottentot. Une figure qui occupe une place centrale sur la scène de l'Ailleurs. Jouant les rôles, souvent paradoxaux, de l'homme premier ou liminal, de l'ignoble et du noble sauvage, le Hottentot a une histoire, qui l'éloigne des réalités africaines. Il devient un être sans chair, un sauvage de papier ô combien utile et manipulable. Du village néerlandais du Cap aux salons parisiens, des ateliers de gravure aux cabinets de dissection, des livres de bord à l'Encyclopédie, cet ouvrage retrace le destin d'un sauvage idéal.
Sport populaire, le football a conquis la planète en moins d'un siècle. Il est devenu le moyen le plus commun de découverte des particularités des nations. Par sa médiatisation à l'occasion des Coupes du monde ou des compétitions continentales, on connaît désormais une nation à travers son équipe, son style de jeu, sa composition. Les équipes nationales de football contribuent à fabriquer des " communautés nationales imaginées " qui semblent plus réelles quand elles se trouvent réduites à onze joueurs dont on connaît les noms. Tout au long du XXe siècle, transgressant la diversité des régions, des générations et des classes sociales, l'équipe nationale de football devient un emblème majeur de l'État-nation. Cependant, bien loin de constituer l'élément cristallisateur exclusif et permanent des fiertés nationales, les sélections nationales, et la passion qu'elles ont pu et peuvent susciter, sont le produit de constructions historiques bien différentes selon les sociétés envisagées. Miroir de nos sociétés et sport à fort investissement nationaliste, le football reste pourtant un objet mineur et peu légitime des sciences sociales. Ce livre collectif propose de retracer, à l'échelle européenne et par des approches monographiques, la diversité des liens entre chaque nation et le football, c'est-à-dire le rapport entretenu à la nation par le football et au football par le prisme du fait national.
Depuis le lancement de sa politique d'ouverture économique (le Ð?i m?i en 1986), le Viêt Nam s'est profondément transformé et n'a plus grand-chose à voir avec les clichés formés autour du mythe de l'Indochine coloniale qui continuent de lui coller à la peau en France. Après une brève tentative de retour dans les années 1990, l'influence de la France a fortement diminué dans ce pays. Pourtant le Viêt Nam continue d'attirer des candidats fascinés par l'émergence économique de cette région d'Asie… et par le romantisme trompeur des clichés indochinois. Très ancré dans sa région depuis vingt ans, émancipé de ses alliés et ennemis d'hier (la France, la Russie ou les États-Unis), dépendant de ses grands voisins et perméable aux idéologies occidentales, le Viêt Nam poursuit sa recherche de l'équilibre entre la Chine et l'Occident pour mieux préserver ses intérêts nationaux. Cette histoire du Viêt Nam, écrite à plusieurs mains, renouvelle profondément notre regard du pays. Cette riche synthèse – qui mêle l'étude historique, politique, économique à celles des sociétés et des cultures et s'appuie sur des sources vietnamiennes –, nous fait redécouvrir une puissance émergente, une nation dynamique au centre des enjeux stratégiques contemporains en Asie, tout en insistant sur la nouvelle identité asiatique d'un pays que l'on a longtemps cru si bien connaître.
Hayden White est, depuis plus de quarante ans, l'un des principaux théoriciens de l'histoire – certains diraient " philosophes ". Si son œuvre a été largement traduite, en polonais, en norvégien comme en japonais, elle ne l'a pas été en français, à l'exception de l'introduction à Metahistory, qui date de 1973. Le présent recueil, dont les textes ont été édités et traduits par Philippe Carrard, entend combler cette lacune en offrant un large échantillon de la production scientifique de Hayden White, des années 1960 à nos jours. Parcourant les principaux genres discursifs pratiqués par l'historien – l'essai, la recension, l'interview –, cette anthologie éclaire les positions iconoclastes et provocatrices de White vis-à-vis de l'histoire traditionnelle. La construction des faits, la mise en intrigue du matériau documentaire, les relations entre histoire et fiction, sont autant de champs de recherche dans lesquels il développe sa démarche critique. La variété des textes réunis ici, chacun précédé d'une courte notice rappelant le contexte de sa première publication, donne également un aperçu du cheminement de la pensée de Hayden White, qui explore des sujets tels que l'utopie, le passé " utilisable " (qu'il oppose au passé " historique "), ou les diverses représentations de la Shoah sous les formes du roman, du témoignage et de l'étude historique. L'introduction qui ouvre ce recueil rend compte des polémiques auxquelles elle a donné lieu, révélant ainsi l'importance de son œuvre dans l'histoire intellectuelle de la fin du XXe siècle.
Cette histoire écrite à six mains renouvelle notre regard sur le Moyen-Orient, ce vaste carrefour au cœur du vieux monde. Depuis l'avènement de la question d'Orient en 1774, jusqu'à sa résolution en 1922 par la chute de l'Empire ottoman, les puissances européennes ont réduit le Moyen-Orient à sa dimension géopolitique. De " l'Homme malade de l'Europe " à " l'Orient compliqué ", celui-ci est appréhendé de l'extérieur. Pourtant, les 15 pays qui composent cette région complexe, polarisée et en mutation rapide depuis plus d'un siècle, ont développé leurs propres modèles, et leur voie d'accès à la modernité politique et sociale. La fin de l'Empire ottoman, l'avènement par étapes de la Turquie et de l'Iran, la naissance d'un monde arabe multipolaire et hiérarchisé depuis 1918, puis celle d'Israël après 1947, ont forgé le Moyen-Orient actuel. Cette riche synthèse, qui associe l'étude politique à celle des sociétés, des économies et des cultures, permet de dépasser la question d'Orient.